Conversation 19232 - Le Rachi sur le premier verset
1) Qui était Rabbi Its’hak, cité dans le commentaire de Rachi, verset Ber 1 :1 ? Que lui doit le commentaire de Rachi ? A-t-il simplement écrit la première phrase (La Tora n’aurait pas dû…) ou Rachi reprend-t-il intégralement un enseignement de ce maître ? Ce que je sais, c’est que l’explication qu’il donne est à quelques mots près assez similaire à celle de Bereshit Rabba (1 :3), et qu’elle n’y figure pas à son nom mais à celui de Rabbi Josué de Sikhnin. Rabbi Its’hak lui est-il antérieur ou postérieur ? S’il est antérieur ou contemporain, le fait qu’il soit écrit « a dit » et non « dit », indiquerait-il que cet enseignement ne peut être sujet à controverse , comme l’écrit le Rav Steinsaltz dans son Guide du Talmud ? Enfin, était-il Meqoubal, comme semble le penser le Ramban ?
Certains pensent que ce serait le propre père de Rachi, que celui-ci aurait voulu honorer en citant de lui le premier enseignement de son commentaire sur le Tanakh.
La source la plus probante se trouve en Yalqout Chimoni 187 (aussi dans Tanhouma yachane avec de légers changements). Les mots "qui est la première mitsva donnée à Israël" sont un ajout explicatif de Rachi.. A partir de "Nahalat goyim", le commentaire de Rachi suit Beréchit Rabba 1, 3.
Voir la note de r. D. Chavel dans son édition de Rachi, mossad harav Kook.
2) Il me semble que le message des commentaires sur le verset Ber 1 :1(à ce stade de mon étude) est : si la Tora commence par un récit et non par un commandement, c’est que ce récit n’est pas à prendre comme tel mais comme un commandement, un développement de Anokhi H’ et Lo Yhye par exemple.
Ainsi, « Je Suis (YHVH ton El’, Dieu de Miséricorde, Je Suis YHVH Dieu de Bonté, Je Suis ton) El’, Dieu de Justice, voici la Puissance de Mes Oeuvres, voici ce que Je Donne à ceux que Je chéris, voici ce que J’Inflige si l’on Me désagrée. Adam, Je l’ai chassé du paradis, les hommes impies, Je les ai chassés du monde, les nations idolâtres, Je les ai retirées de leurs terres »
Correct ou non ?
Non, pas exactement. On peut bien sûr soumettre un "drash", mais il ne peut venir qu'une fois élucidé le propos de la Thora, et non avant, et c'est à cela que s'attache le commentaire de Rachi.
Si la Thora est le livre de la Loi de l'homme authentique devant le Dieu Vivant, alors elle doit commencer (noter la précision du vocabulaire de Rachi) par la première loi donnée à Israël.
Toutefois ce livre de la loi doit avoir une préface, sinon on ne comprendrait pas qui sont Moïse et Aharon ? qui est Israël ? que font-ils en Egypte ? qui est Hachem qui leur parle ?
Il est donc normal que cette Thora qui commence en tant que Thora-loi avec cette première mitsva donnée à Israël ait une préface (Peti'ha). Mais pour répondre à toutes ces questions, il eut suffit que la préface commence avec le verset "Voici l'histoire des engendrements des cieux et de la terre en ce qu'ils furent créés, du jour où Hachem Elokim fit terre et cieux..."
La question est donc : "pourquoi la préface (pata'h) commence avec Beréchit ?"
La question se pose parce que le récit de la création - et la notion elle-même - échappent à nos capacités d'identification au niveau du pchat de la Thora. Comme le dit Nahmanide, tout cela relève d'un secret profond que celui qui le connaît a le devoir de taire. A quoi donc sert le pchat de ce récit ? A cela répond Rachi avec le midrach : fonder la politique sur la morale.
Les similitudes entre le commentaire de Rachi sur le verset 1 :1 et le midrash 1 :3 de Bereshit Rabba sont par trop évidentes pour ne pas penser que le second a inspiré, directement ou via Rabbi Its’hak, le premier. Cependant les divergences sont assez conséquentes pour que le Ramban cite l’un ET l’autre, j’en déduis qu’il y a différentes leçons à en tirer.
Commentaire de Rachi : Rabbi Its’hak a dit qu’il n’aurait pas fallu commencer la Tora autrement que par « Ce mois est pour vous… », qui est la première prescription qu’Israël a reçue. Et pourquoi avoir commencé par Bereshit ? Parce que (Psaumes 111) : « Il Fit le Récit de la Puissance de Ses œuvres à Son peuple, afin de leur donner l’héritage des Nations » Parce que si les états du monde disent : « Vous êtes des brigands, qui avez conquis les terres des sept peuples », ils leur disent : toute la terre est au Saint Béni Soit-Il, Il l’a Créée et l’a Donnée à celui qui est droit à Ses yeux (Jérémie 27 :5), par Sa volonté Il la leur a Donnée et par Sa volonté Il la leur a Retirée, et nous l’a Donnée.
Bereshit Rabba 1 :3 : Rabbi Josué de Sikhnin ouvrit au nom de Rabbi Lévi : Il A Fait le Récit à Son peuple la Puissance de Ses oeuvres (Psaumes 111 :6) Pourquoi le Saint Béni Soit-Il leur A-t-Il dévoilé à Israël ce qui a été créé au premier jour et ce qui a été créé au deuxième jour ? Afin que les sept nations n’accusent pas Israël et ne leur disent : « N’êtes-vous pas une nation de pillages ? » Et Israël leur répondrait : et vous, le pillage n’est-il pas dans vos mains, n’est-il pas dit : « les Kaftorim sortis de Kaftor les ont détruits et ils se sont établis derrière eux (Deutéronome, 2 :23) » ? Le monde et tout ce qu’il contient appartiennent au Saint Béni Soit-Il. Quand Il l’a voulu, Il vous l’a donnée, quand Il l’a voulu, Il vous l’a reprise et nous l’a donnée. C’est ce qu’il est écrit (Psaumes 111 :6) : « Pour leur donner l’héritage des peuples, Il leur A fait le récit de la Puissance de Ses œuvres »
Voici les différences que je relève entre ces deux exégèses. Est-ce correct ? Y en a-t-il d’autres ?
a)Les interlocuteurs d’Israël sont les sept nations dans le Midrash (variante : les adorateurs des astres), et l’argument qui leur est rétorqué les concerne en particulier, puisqu’il porte sur une de ces nations. Dans le commentaire de Rachi, ceux qui formulent le même grief sont les états du MONDE et la réponse est un principe général : toutes les décisions de qui peuple [la terre d’Israël] sont en fin de compte aux mains de Celui qui A Créé la Terre.
b)Le commentaire de Rachi porte « brigands » et non « pilleurs » Ceci est-il dû à plusieurs versions du texte midrashique, ou veut-il amener une nuance particulière ?
c)Ce que dit le Midrash est, me semble-t-il, de type: « De quoi vous plaignez-vous ? Que vous ayez été expulsés ? Vous expulsiez vous-même ! Or, le fait que Dieu nous A fait le récit de Ses œuvres est une preuve qu’Il voulait nous Donner cette terre » Rachi, lui, explique : « POURQUOI COMMENCER par Bereshit Bara El’ ?» Parce que le transfert de propriété ne s’est pas effectué « dans l’ordre naturel des choses » où un peuple/clou chasse l’autre, mais au contraire PARCE QUE Dieu l’A Voulu, c’est une irruption de Dieu dans le cours de l’histoire.
d)Il est à noter qu’à ce propos, je me suis demandé à qui la réponse de Rachi pouvaient s’adresser : si les états du monde sont ceux de l’Antiquité, aucun d’eux (sauf l’Egypte, et encore !) n’entendrait un tel langage, idolâtres polythéistes ou philosophes aristotéliciens qu’ils sont ! S’adresserait-il aux états du monde du temps de Rachi ? Ceux qui s’apprêtaient à piller et conquérir la Terre Sainte ? Ou encore, a-t-il une portée universelle et intemporelle que je ne parviens pas encore à comprendre?
Le shana tova tikatevou ou tikhatmou !
Je pense que les diverses réponses déjà données à propos de ce verset contiennent les éléments de réponse.
Shalom Rav,
désolé de revenir avec ça, j'espère ne pas vous embêter, mais en cette période de jours redoutables je me sens particulièrement prolixe...
La traduction du Rabbinat du verset Psaumes 111 :6 (je sais, ON N’ETUDIE PAS A PARTIR D’UNE TRADUCTION !) est : «La puissance de Ses hauts faits, Il l’a révélée à son peuple, EN LUI DONNANT l’héritage des nations » Ici, le sens serait quelque peu différent de celui qu’entend Rachi dans son commentaire du verset Ber 1 :1(AFIN DE LUI DONNER…), ce serait PAR LES MIRACLES DONT ISRAËL A ETE TEMOIN DEPUIS LA SORTIE D’EGYPTE JUSQU'A LA CONQUETE EFFECTIVE DE LA TERRE DE CANAAN qu’Il Se serait Révélé à eux. Y aurait-il des commentaires qui corroboreraient cette version ?
gmar hatima tova
Je vous proposerai - puisque nous sommes avant Kippour - une tout autre lecture de ce verset : "Il a dévoilé à son peuple la puissance de ses actions (du peuple)... "
en effet, en agissant de manière droite aux yeux de Dieu, Israël obtient son héritage par son propre mérite.
Il y a aussi une allusion au contenu du verset 28 (koa'h) de la Genèse : "remplissez la terre et conquérez-la" où on apprend comment on reçoit ce que Dieu donne.
Gmar Hatima tova
2) Quel que soit le commentateur qui s’est penché sur Bereshit, il a d’abord exposé un préliminaire éclairant le verset avant de l’étudier. Pour Rachi et le Ramban, ce préliminaire semble être « pourquoi commencer par ce point ?» Or, les autres sages, Ibn Ezra, Daat Zkenim, Keli Yakar, … tiennent d’abord à nous faire remarquer que Berechit (et la Tora) commence par Beth et non Aleph etc. Pourquoi ce point a-t-il interpellé ceux-ci et non ceux-là ?
Par exemple parce que Rachi ou Nahmanide avaient déjà traité les autres aspects ?
Donc la question serait pourquoi Rachi na-t-il pas commencé par-là ? D'abord parcequ'il s'occupe du pchat. Ensuite, mais cela revient au même, parce qu'il vit au temps où les chrétiens et les musulmans se battent pour la terre d'Israël et il rappelle subtilement que c'est à Israël que cette terre appartient. Son commentaire reste grandement d'actualité.
3) Le commentaire du Ramban ne me semble pas fortement diverger de celui de Rachi, mais plutôt l’éclairer, y compris sous des angles dont Rashi n’avait sans doute pas idée :-) Cela dit, apporte-t-il d’autres enseignements qui m’auraient échappé ? Et comment faire la part entre ce qu’enseigne l’un, ce qu’ajoute l’autre ? Par exemple, la leçon « Dieu A Donné à Israël, Son peuple élu, la meilleure des terres, comme Il Avait Donné à Adam, Son être élu, le meilleur endroit de la Terre », l’ai-je déduite de Rachi, du Ramban, ou encore de ma propre imagination :-) ?
gmar hatima tova!
Pourquoi Rachi n'aurait-il pas eu l'idée de ces aspects que vous attribuez en exclusivité à Nahmanide ?
Comment savoir, concernant votre deuxième question, comment votre esprit fonctionne ? Ce genre de pensée est généralement le résultat d'une synthèse des informations enregistrées, passées au tamis de notre sensibilité.
Rabbi Its’hak avait-il compris le mot Bereshit comme André Chouraqui, à savoir « Entête » (Au commencement : Dieu Créa etc.) ? Il y aurait tout de même une faiblesse à cette hypothèse, le verset aurait dû s’écrire (à mon sens) « Bereshit : Elokim bara etc. »
Gmar hatima tova
Tsom kal
Ce n'est en tout cas pas le problème que le 1er Rachi se propose de résoudre. Je n'apprécie pas exagérément la traduction qui se veut littérale et poétique d'André Chouraqui. Toutefois, en l'occurrence, je ne vois pas exactement pourquoi cette traduction laisserait entendre que l'ordre des mots aurait dû être différent.
L'ordre du verset, indépendamment de la traduction, implique que la notion de commencement est indispensable pour comprendre l'idée de création et que celle-ci est à son tour nécessaire pour comprendre qui est (ce que signifie) Elohim.
19260
Vous me faites penser à cette question posée par Rachi dans le 2ème commentaire du verset Ber 1:1 sur le verset 6:12 d'Amos
« S’il laboure avec des bœufs » et on ne dit pas si c’est un homme qui laboure avec des bœufs. Ca signifierait que plusieurs interprétations seraient également valides (il = un homme ou Dieu)?
Gmar hatima Tova!
Tsom kal
Non, pas vraiment. Le verset que vous citez fait partie d'une suite illustrative du propos de Rachi pour dire que le Tanakh se sert parfois d'expressions élusives sans expliciter complètement le sujet du verbe ou les référents. Cela suppose donc qu'il y a des évidences préalables au discours et qui en sont la condition de compréhensibilité. La Thora parle à des interlocuteurs qui parle hébreu, c'est-à-dire initiés au lachone haqodèche, héritiers d'une tradition et éduqués à une sensibilité qui leurs permettent de comprendre ce que la Thora leur dit. Les commentateurs viennent palier à notre débilité en ce domaine : il faut donc comprendre qu'en ce sens leurs explications précèdent le verset et ne le suivent pas : ils nous restituent, chacun à sa manière, l'épaisseur de "culture" hébraïque nécessaire pour comprendre directement par nous-même ce que le verset nous dit.
A ne pas confondre, Dieu préserve, avec les explications de texte réductrices du type "l'auteur a voulu dire..."
L'auteur a toujours voulu dire exactement ce qu'il a dit et rien d'autre ; et s'il avait "voulu dire" il aurait dit. Ou alors, ce n'est pas un "auteur" et l'exercice est vain.
Méfiez-vous beaucoup de cela : les rabbins ne viennent pas ajouter leur opinion à la Thora. Il y aurait là une grossièreté incommensurable. J'espère être suffisamment clair.
19260
Ce que je tire de cette traduction, à laquelle je ne m’attendais vraiment pas!, pourrait m’ouvrir à une compréhension que je ne soupçonnais pas davantage… si ce que j’ai compris était vraiment à comprendre au départ de cette exégèse…
Adam n’aurait donc pas créé “Superman devenu malingre après avoir désobéi à Dieu”, c’était un homme comme un autre, à ceci près qu’il était le premier et que Dieu Etait avec lui. De même que privée de Dieu, Israël est mise en déroute par un seul homme (Haazinou), de même qu’avec Dieu à ses côtés, un seul homme pourrait avoir la supériorité morale et physique sur toutes les créatures, et être craint et respecté par elles … A l’image de Dieu en somme…
Mais, encore une fois, ai-je compris ou élucubré ce qui précède à partir de l’interprétation que vous avez donnée ?
Un grand merci pour toutes les réponses sur le premier verset que vous avez fournies. Soyez sûr qu'elles seront lues et relues!
Bivrakha neemana
A l'image de Dieu, signifie à l'image que Dieu se fait de l'homme, c'est-à-dire qu'il est créé en conformité avec un projet pour lui (tselem) et la capacité de le réaliser (demout) qui lui donne son nom (adam).
Si je traduis ce que vous avez écrit en français, cela veut dire que ce n'est pas comme sur-homme que l'homme a été créé. La splendeur de son statut d'être créé des mains de Dieu rejaillissait sur lui. La faute l'a dénué (ou dénudé) de cette splendeur et il devra vivre désormais dans un monde correspondant à ce qu'impliquait son acte (voir Rachi sur "aroura haadama baavourèkha") et sa tâche qui consiste à distinguer le bien du mal, à les séparer afin de pouvoir subjuguer le mal et le soumettre au projet du bien, sera plus dure.
Suite à vos réponses sur le 1er commentaire de Rachi,
1) Vous écrivez ne pas vous souvenir que Nahmanide ait déclaré l'histoire de la génération du déluge et celles qui l'ont suivi comme étant d'un intérêt mineur.
Je ne l’ai pas dit non plus, je pense m’être mal m’exprimé en traduisant le passage suivant : …vekol shakhen sipour dor hamaboul vehaplaga, sheein hatsorekh behem gadol, veyaspik leanshei hatora biladei haktouvim haele…
Je réécris donc le commentaire du Ramban tel que je l’ai compris : bien que la création ex nihilo soit une croyance primordiale (;-), le secret de l’acte de Création est trop profond pour être compris à partie des écritures. La formule “Bereshit bara Elokim” est en elle-même une formule simplifiée de réalités inaccessibles aux êtres de chair et de sang, si l’on en croit le Rambam. C’est pourquoi un bref intitulé comme « car six jours YHVH Fit le ciel et la terre et la mer et tout ce qu’il y a dedans et Il Se reposa le septième jour » (ou, comme vous le mentionnez dans la réponse xxxxx, le verset Ber 2 :4) aurait suffi à enseigner cette croyance fondamentale. Et tout ce qui est rapporté, les créations du premier jour, ce qui a été fait au deuxième jour, etc. et ce qui concerne l’histoire de la génération du Déluge et la compagnie, tout cela n’est pas d’un grand intérêt pour étayer cette croyance ou plus simplement, il suffit de connaître le principe sans devoir entrer dans les détails. Alors pourquoi avoir raconté tout cela ? Pour expliquer qu’Adam, privilégié parmi les êtres, a été chassé du jardin d’Eden à cause de son pêché, les hommes du monde, à l’exception du juste et des siens, et que même dans la descendance de ces privilégiés, leurs pêchés les ont conduits à errer et à vivre dans un cycle “un peuple/clou chasse l’autre”. C’est ce qu’expriment nos maîtres dans B“R 1 :3. Néanmoins, même ces privilégiés, qui Le reconnaissent et Le servent savent qu’ils ne jouiront de la terre d’Israël qu’en Le servant, mais que s’ils pêchent envers Lui, la terre les vomira comme elle a vomi les peuples qui y étaient avant eux.
Si ceci est conforme à ce que vous aviez compris à la précédente lecture, je vous serais gré de m’expliquer plus profondément votre précédente réponse, car je ne l’aurai visiblement pas comprise la première fois. Dans le cas contraire, désolé de la maldonne.
2) je ne suis pas encore arrivé là, mais il me semble que ce qui différencie Abraham de ses prédécesseurs, est qu’il a connu le chemin inverse de ceux-ci. Adam, par exemple, avait été créé avec une cuillère en argent dans la bouche, a fauté et se retrouva éprouvé sa vie durant, par la misère de sa condition, par Caïn et Abel, par l’iniquité des hommes (puisqu’il a malheureusement vécu assez longtemps pour voir leur dégradation morale et dépravation physique) etc. Par contre, Abraham était un paria dès sa naissance, obligé de se réfugier dans une grotte pour échapper à ses persécuteurs. Il a subi épreuve sur épreuve (10 selon la Michna), a redécouvert l’existence de Dieu et ne Lui a jamais désobéi. Alors qu’Adam a “vu” s’éteindre presque toute sa descendance dans le Déluge (bien que techniquement, il était déjà mort à ce moment-là), Abram est devenu Abraham père de la multitude, de tous les croyants même, pour reprendre l’expression des musulmans, ce qui doit faire actuellement plus de la moitié de la population humaine sur la planète…
3) Par ailleurs, ce que vous dites sur la question de la création me plaît beaucoup quant à la façon d’interpréter, mais elle m’ennuie quelque peu quant à sa portée pratique : certes, d’un côté, cela traduit parfaitement ma propre intuition que je n’avais pu exprimer, mais d’un autre côté, l’ami apikoros dont je vous avais parlé (cf 16514, entre autres) me dirait qu’on aurait pu croire cela au temps du Ramban, mais qu’on sait de nos jours que le cerveau, qui est une part du corps humain comme une autre, ni plus ni moins particulière qu’une autre, quand on pense à la complexité d’un coeur, d’un foie ou d’une glande surrénale, est une machine à penser, voire à penser la pensée. En conséquent, point ne serait besoin d’imaginer ce que vous avez nommé le "quelqu'un" qu'il est en tant que sujet de sa propre histoire. Selon lui, cette conscience du soi n’en serait elle aussi qu’une partie ni plus ni moins particulière qu’une autre. (Au secours, je l’entends même quand il n’est pas là !!!)
Et ce ne sont malheureusement pas des arguments d’apikoros : je lis en ce moment un petit essai de Lionel Naccache, (qui, lui, se définit comme Juif pharisien et neurologue parisien, et se plaît à trouver des hidoushim au Talmud à la lumière de ses expériences cliniques) “Quatre exercices de pensée juive pour cerveaux réfléchis – le judaïsme à la lumière des neurosciences”, et plus particulièrement le chapitre “L’âme, l’esprit et le corps, conception dualiste ou matérialiste ? Monisme matérialiste et dualisme éthique !” qui traite de ce sujet de la même manière… Cet argument ne me paraît donc pas suffisant pour convaincre (au sens du Kuzari) de la création du monde… (à moins que vous ne me démontiez ces contre-arguments, ce dont, je dois le dire, je vous serais fort gré)
Vous pensez bien que Nahmanide ne peut pas dire ce que la phrase citée semble exprimer après avoir expliqué en détail que la Thora est dictée à Moïse de la bouche de Dieu et même qu'elle préexiste écrite feu noir sur feu blanc à la création du monde, etc. Et qu'il ne dit pas que la Création est incompréhensible puisque ses secrets ont été révélés en détail à Moïse ainsi qu'il l'explique.
Votre ami apikoros ne se rend pas bien compte du fait que son argumentation se détruit d'elle-même. Et surtout qu'elle a déjà été depuis longtemps réfutée par Bergson qui répondait à ce genre de raisonnements mécanistes réductionnistes..
Il ne s'agit pas de convaincre qui que ce soit qui n'y croit pas de la création du monde. Et il ne s'est jamais agi de cela. Il suffit que celui qui en a l'intuition y trouve la confirmation qui lui est nécesaire.
J'ajouterai encore un point. Le problème n'est pas métaphysique, mais moral. Se connaître comme créature, c'est accepter d'assumer une dette contractée de ce fait même.
Les argumentations ne manquent pas, par lesquelles l'homme tente de se prouver à lui-même qu'il ne doit rien à personne. Quand on y regarde de près, on s'aperçoit que de ce fait il se réduit lui-même à néant, ce qui est le plus souvent le signe d'un très grand orgueil ou d'une profonde détresse (parfois les deux).
Abraham n'a pas commencé son existence comme vous le dites. Il l'a choisie, ce qui est différend.
Je ne connais pas l'oeuvre de M. Lionel Naccache et ai très peu de goût (peut-être à tort) pour ce genre de littérature. Je ne saurais donc pas démonter des contre-arguments que je ne connais pas. Tout ce que je peux dire c'est que la plupart du temps il n'y a rien du tout à démonter parce que nous ne nous situons pas sur même plan. L'homme dont ils parlent, ce n'est pas nous. Et cela depuis le début de Beréchit, comme pour nous dire simplement ceci : la Thora s'adresse à celui qui SAIT (pas qui croit à la manière d'un crédo) que le monde est créé. Et qui comprend ce que cela implique pour la vie morale. Aux autres, elle n'a rien à dire. Elle ne polémique pas avec eux. Moi non plus.
19398 Vous dites que "Nahmanide ne peut pas dire ce que la phrase citée semble exprimer après avoir expliqué etc."
Je me suis creusé sur cette phrase depuis 4 jours sans parvenir à la comprendre comme il le faudrait. Auriez-vous la gentillesse de m'expliquer comment il faut la percevoir?
Grand merci d'avance
Si vous relisez ce passage, vous vous rendrez compte qu'il n'expose pas la "thèse" de Nahmanide, mais explicite la logique de la question de rabbi Yitzhaq : pourquoi la Thora ne devrait-elle commencer qu'avec la première mitsva donnée à Israël ? Entre autre parce que tels quels, à lecture non informée, les récits du début de la Thora paraissent soit incompréhensibles, inaccessibles, soit sans grand intérêt pour qui a déjà reçu la Thora et se préoccupe uniquement d'en pratiquer les commandements (j'ajoute : sans s'interroger sur le sens de la destinée humaine et l'objet des commandements).
19453
Tilt
Merci beaucoup!
Vous avez droit à une partie gratuite...
19551 Ah, puisque c'est proposé si gentiment, figurez-vous que vous m'épargnez l'embarras de vous prier de ne pas considérer ceci comme une de mes 3 questions quotidiennes, d’abord parce que ce n'est pas à proprement parler une question mais un point sur la question, ensuite parce que j’étais en train de la pondre hier lorsque ma montre me signala qu’il était temps de tracer pour arriver au colloque.
La Tora, dit Rabbi Its’hak, n’aurait pas dû commencer autrement que par la première prescription.
On pourrait s’interroger s’il s’agit du début de sa lecture par l’homme (ou de sa dictée à Moïse, ce qui revient au même) ou de sa “rédaction” par Dieu, mais si l’on a en tête la préface de Nahmanide, où la Tora était feu noir sur feu blanc, la question tombe sous le sens. Dieu Ayant consulté la Tora comme un architecte ses plans, il faut bien qu’elle commence par le commencement…
Cependant, pourquoi devrait-il en être ainsi, alors que les trois premiers mots de la Bible, Commencement absolu, création ex nihilo, Créateur, forment le substrat d’une croyance primordiale, le fondement de la rationalité de la Thora ?
A cela répond Nahmanide en disant que l’Acte de Création, du premier jour au Shabbat, est un secret trop profond pour être compris à partir de la lecture littérale, qu’il faut pour cela avoir Reçu la tradition depuis Moshé Rabbenou qui l’entendit de la Bouche de la Puissance (de Dieu) et que ce sont bien entendu des secrets à ne pas mettre entre toutes les oreilles.
Un bref récapitulatif suffirait lors de l’énoncé des Dix Commandements. Et pour qui ne se soucie que d’appliquer les préceptes de la Tora sans chercher à comprendre leur sens profond, et donc l’histoire humaine qui a motivé leur mise en décrets, l’histoire du Déluge est sans intérêt.
Cependant, le but de la Tora n’est pas de former des automates rythmés sur des rites, mais des hommes accomplissant le dessein de Dieu.
C’est cela qu’explique Rabbi Its’hak en reprenant B”R 1 :3, ou, si l’on préfère, c’est comme ça qu’il explique le Midrash. Que veut nous apprendre la Tora, outre la puissance divine au-delà de l’entendement humain ? Que Dieu Avait créé un être privilégié, à Son image, à Sa ressemblance, lui Avait Donné tout pouvoir sur ce que fouleraient ses pieds et le plus bel endroit du monde pour résidence. Ce qui l’en a chassé, puisque nous ses descendants, sortons d’Egypte et ne vivons pas au paradis ? Sa révolte contre Dieu. Cette histoire se renouvelle à l’envi. Les hommes (et les animaux) péchant, ils sont exclus du monde. Les privilégiés y ayant échappé, du fait des mérites de leur ancêtre Noé, se dispersent sur des terres qui ne leur ont pas été données, juste allouées tant qu’ils n’ajoutent pas à leurs péchés.
“Moralité” : Il Est seul propriétaire du monde, Lui son Créateur (voici pour le rapport du Midrash avec le premier verset), Lui seul décide de qui l’habite. Il Exclut ceux qui se révoltent contre Lui et Installe ceux qui le servent. Ceux-ci, ayant entendu le récit de Ses œuvres, savent qu’ils en jouiront en Le servant, mais que s’ils pêchent envers Lui, la terre les vomira comme elle a vomi les peuples qui y étaient avant eux. Et qui sont ceux qui le servent sinon les dépositaires de Son Enseignement qui l’appliquent, ne cherchant ni à convertir ni à persécuter ceux qui ne le suivent pas. (Voilà pour le hidoush)
Ca y est, y suis-je (même provisoirement)?
Dans l'ensemble, oui, sous réserve de définir certaines notions clés telles que le "service de Dieu" ; si on entend par là le culte et la pratique des mitsvoth en signe de soumission à sa volonté, non.
Si on entend par là oeuvrer pour faire réussir le projet de la création qui est l'engendrement de l'identité humaine authentique, oui.
Un détail, concernant Noé puisque nous venons de lire la paracha : la Thora nous a bien dit que Noé a trouvé grâce. Cela signifie qu'a priori lui aussi était inclus dans le décret. Il a eu la vie sauve avec sa famille non pour son mérite mais pour le mérite d'un avenir encore possible qui se réalise en Avraham : le verset otékha raïti tsaddiq léfanay" signifie j'ai vu en toi le signe de celui qui sera juste DEVANT moi (A Avraham il est dit "Marche devant moi et sois intègre" alors que de Noé il est dit "il marchait avec Dieu". La Thora nous enseigne par ailleurs qu'il était juste, parce que, dit Rachi, "il faut rappeler le souvenir des justes", ce qui signifie que cela n'a pas de rapport avec les événements et que ce n'est pas pour justifier son salut. Mais puisqu'il a trouvé grâce dans une génération dépravée, la Thora ne veut pas que nous croyions qu'il était dépravé comme les autres ; mais elle ne veut pas non plus que nous croyions qu'il a dû son salut à ses mérites.
Ce qui a la conséquence suivante sur l'ensemble du développement : marcher avec Dieu = culte, service, obéissance, soumission. C'est insuffisant pour sauver le monde. Et même pour se sauver soi-même.
Il faut Abraham : engagement, combat, aller vers autrui, détruire les idôles, faire connaître les grâces de Dieu. Alors seulement l'avenir redevient possible : l'homme ouvre la voie de Dieu.
(Suite de la question 19588)
Vous allez rire (du moins je l’espère !), mais, comme d’habitude, après avoir réuni, comparé, réexaminé, synthétisé, questionné, interrogé, sollicité, synthétisé et enfin fait le point sur le 1er commentaire du verset 1 :1 du Livre de la Genèse, voilà que, en lisant la parachat Noah dans son pchat le plus élémentaire, je trouve déjà une éventuelle nouvelle explication tellement simple !
Que lisons-nous dans la Parachat Noah (et à aucun moment dans Bereshit, notons, alors que le temps s’écoule tout de même en années) ? Au tantième jour du tantième mois (le septième mois, dix-septième jour du mois, par exemple) Tantième mois ? Quel fut le premier ?
Cela ne pourrait-il pas également être cela, la remarque de Rabbi Its’hak ? Pourquoi ouvrir avec Bereshit, non pas parce qu'on y traite du récit de la création, mais parce qu’une indication temporelle survient abruptement dans la deuxième péricope, alors que la référence de cette temporalité n’est explicitée que dans Exode 12:2 (et même là-dessus, fait remarquer Rabbi Juda Halévy, était-ce le premier mois des Egyptiens ou des Chaldéens ?)
Selon cette explication, Rabbi Its’hak n’interrogerait donc pas quant à la pertinence de relater certaines parashiot voire un Livre entier, mais sur l’ordre qu’il aurait fallu donner à la narration de ces récits.
Quant à sa réponse, selon cette hypothèse, elle serait : peu importe le commencement DE LA NARRATION de la Tora, il importe de connaître le commencement de la Tora, car il contient ce principe antérieur absolu, puisque de toute éternité, qui dit que le monde a été créé par Elokim, midat hadin, et que “lorsque le peuple ajoute à son pêché, il disparaît de sa place, et un autre peuple vient s’octroyer sa terre.”
(Il serait remarquable avec cette explication-là, si elle était avérée, de remarquer qu’elle ne remet aucunement les commentaires de Rachi et de Ramban en question, bien au contraire, elle pourrait s’y intégrer fort harmonieusement.)
Accesoirement, cette explication permettrait de trancher, fût-ce partiellement, à la question du moment du don de la Tora (je sais ce que vous avez répondu, mais il semblerait que d’autres hypothèses existent, dont une que les Israélites possédaient déjà le Livre de Bereshit en Egypte) : que ce soit sur le mont Sinaï ou dans les plaines de Moab, c’était de toute façon après que Moshé ait donné la première loi à Israël, donc pas en Egypte.
Cette hypothèse est-elle juste?
Il existe un principe d'exégèse qui dit : eyn méchivim al ha-drash. Ce qui signifie qu'il s'agit de comprendre ce qu'une certaine lecture suggère dans son ensemble sans en décortiquer les éléments qui peuvent éventuellement prêter à discussion. C'est un peu le cas ici. Je laisserai donc de côté les éléments "midat hadin" puisque précisément la midat harahamim y est associée dans la patience de Dieu pour que l'histoire humaine ait une chance d'aboutir.
On pourrait donc relire ce que vous dites de la manière suivante : pourquoi commencer avec un récit qui débute a Tishri (les lettres de berechit peuvent se lire betichri) puisque l'histoire d'Israël sera finalement indexée à Nissan ? C'est parce quil est important de savoir que l'histoire d'Israël ne doit pas "décrocher" de l'histoire universelle qui est quant à elle comptée depuis Tichri, mais au contraire la réaliser.
19588
Martin Buber zal a écrit une très belle phrase sur le sujet : la tradition est la plus noble des libertés pour qui l'accueille activement (je paraphrase un peu...) et le plus vil des esclavages pour qui la recueille par paresse d'esprit (là je ne paraphrase pas)
Martin Buber est un sophiste.
Ce qui est vrai est vrai indépendamment de l'état d'esprit de celui qui l'entend. Ce n'est pas mon acquiescement qui vérifie la vérité, ni mon déni qui la rend fausse.
La question n'est donc pas du tout celle que présente Buber. La question c'est : recueillant la vérité que vais-je en faire et quelle influence aura-t-elle sur moi ? Vais-je la laisser paresseusement glisser sur moi et continuerai-je à vivre et penser comme par le passé, ou chercherai-je à l'approfondir pour l'intégrer à mon être et progresser grâce elle vers mon perfectionnement.