Conversation 11742 - L'amour pas la crainte!

Anonyme
Samedi 15 novembre 2003 - 23:00

A priori vous êtes le seul à répondre à mes questions et je vous en remercie.
J'aimerais vous faire part d'une réfléxion sur l'éducation juive dans les écoles juives et j'aimerais connaître votre avis.
Mes amis et moi même avons été dans les écoles juives durant toute notre scolarité.
Je constate que notre pratique religieuse est plutôt mimétique et traditionnaliste.
Ces écoles nous ont enseigné les dinims,la michna, le talmud et certaines parties de la bible.
Avec le recul, je ne vois pas le projet pédagogique qui se cache derrière cet enseignement.
En effet, nos professeurs ne nous ont jamais enseigné des choses qui nous seront utiles dans notre pratique religieuse adulte.
Par exemple, nous n'avons pas étudié la prière. Pouquoi tel verset, qui l'a écrit, pourquoi etc...alors que c'est une des choses fondamentales de la vie après l'école c'est à dire au moment ou cela n'est plus obligatoire mais requiert un choix, une décision. En fait, on nous apprend à avoir peur du péché mais pas à aimer les mitsvoths.
Ne croyez vous pas qu'il serait temps que nous consacrions du temps à comprendre plutot qu'à apprendre? à aimer plutôt qu'à craindre?
ou peut être cela n'est il pas du ressort de l'école juive, ou peut être que ce genre de réfléxion ne vient que plus tard. Ma fille a 7 ans maintenant et je constate le même genre d'écueil et je me creuse le crane pour lui faire aimer le shabbat par ex, pour elle c'est une corvée....qu'en pensez vous.
merci

Rav Elyakim Simsovic
Samedi 15 novembre 2003 - 23:00

Je pense que vous avez malheureusement sans doute raison - non sur le sujet de l'amour et de la crainte qui ne peuvent qu'être complémentaires et certainement pas concurrents - mais sur le problème pédagogique. J'ai aussi fréquenté les écoles juives de Paris pour une bonne part de ma scolarité et j'ai eu la chance et le privilège, comme tous ceux de ma génération d'ailleurs, d'avoir eu des directeurs d'école et des professeurs généreux et préoccupés, chacun à sa manière, de former leurs élèves et pas seulement de leur communiquer un savoir ou une pratique.

Certes, nous étions moins nombreux, mais il y avait aussi moins de professeurs. Il y avait moins de classes, mais nous étions quarante et cinquante par classe et pourtant j'ai souvent eu l'impression que pour le prof chacun de nous était comme le seul dont il fallait s'occuper. Bien sûr, ils n'étaient pas tous des modèles de pédagogie et souvent nous étions trop jeunes pour comprendre ce qu'ils nous apportaient, mais cela nous est resté. Pas à tous, car le facteur personnel intervient aussi, et la famille et la suite du parcours.

Aujourd'hui, la crise que vous décrivez n'est pas circonscrite à la France.
Je crois que votre phrase, même si elle n'a pas été écrite volontairement et consciemment pour exprimer cela, en est un signe manifeste :
« Ces écoles nous ont enseigné les dinims, la michna, le talmud et certaines parties de la bible. »
Certaines parties de la Bible ! Comme si cela était secondaire par rapport au reste. Bien sûr il faut savoir quoi et comment faire, mais normalement cela s'apprend à la maison avant même l'âge scolaire en voyant faire papa et maman et les frères et soeurs plus âgés.
Si vous aviez appris ce qu'est la Bible et ce qu'elle dit, vous n'auriez presque pas de question sur la Téfila. Vous sauriez reconnaître la profonde connivance entre la prophétie biblique - la parole de Dieu adressée à l'homme - et la liturgie des divers rites oraux - la parole de l'homme adressée à Dieu.
Vous sauriez aussi que le mimétisme a sa valeur propre car il nous met à l'abri du mal faire en attendant de savoir pourquoi et pour quoi faire.

Je crains que des préoccupations d'urgence face aux énormes problèmes que les sociétés et communautés juives ont eu et ont encore à affronter ne leur a pas permis de consacrer à la formation des enseignants les budgets et les efforts qui auraient été nécessaires. Ils n'ont probablement pas su retenir les meilleurs cadres qui ont trouvé dans d'autres professions mieux considérées de quoi exercer leurs talents.

Il faut toutefois se rendre compte d'une chose : la tâche était immense et souvent il fallait improviser dans des conditions chaotiques. Le peuple juif n'est pas encore sorti de la crise profonde d'identité commencée avec la haskala du 19ème siècle et dont le maintien des communautés d'exil reste paradoxalement une trace et peut-être même une plaie, plus qu'une cicatrice.

Ne cherchez pas à faire aimer le chabbat à votre fille : rendez -le aimable et elle l'aimera toute seule. Comment ? Il n'y a pas de recette, pas de "truc". Surtout, n'oubliez pas que c'est un enfant et qu'elle a le droit d'être enfant et même s'il elle doit recevoir une éducation aux mitsvoth elle n'est pas tenue de les pratiquer avec la même rigueur et la même sévérité que des adultes.
Souvent, d'ailleurs, nos enfants sont des révélateurs de ce que nous sommes, même inconsciemment. Ils ont des antennes cachées et on ne peut pas les tromper. Ils savent. Si vous êtes heureux le chabbat, elle sera heureuse. Si le chabbat est vraiment "meeyn olam haba", un avant-goût du monde qui vient, alors toute la semaine on attend quand enfin viendra le chabbat. On le prépare, on le pare comme une mariée que l'on veut belle et les petites filles adorent être demoiselles d'honneur.
Si la préparation du chabbat est toute de tension et de nervosité et ne fais pas ceci et laisse ça tranquille, ne touche pas, ne bouge pas, c'est défendu chabbat, etc. alors j'avoue que, moi non plus, je n'aimerais pas tellement le chabbat.