Conversation 12920 - Curieuses unions chez nos ancetres bibliques

Anonyme
Mardi 13 janvier 2004 - 23:00

Bonjour,

Je ne comprends pas certaines unions mentionnées dans la bible.

Je ne comprends pas notamment pourquoi les fils de Jacob ont épousé des cananéennes. On raconte en détail le processus du mariage de Isaac et les préoccupations de Abraham ne voulant pas qu’il épouse une fille de Canaan (la fille de Eliezer) car elle n’était pas digne de son fils, et que les midoths des filles de Canaan n’étaient pas bonnes et ne permettraient pas de transmettre convenablement l’héritage abrahamique (on critique par la même occasion les mariages de Ismael et Essav avec des filles pareilles).
Et voici qu’après toutes ces précautions, les fils de Jacob, les pères des 12 tribus qui étaient parfaits, après avoir expurgé de Abraham :Ismael, et de Isaac : Essav, après avoir fait ce tri sur 2 générations pour avoir des enfants parfaits, voici que ceux ci se marient avec des cananéennes ! !
J’ai beaucoup de mal à le comprendre. (Et si l’on demande avec qui auraient ils pu se marier ? Sara, Rivka, Rachel et Léa viennent toutes de la famille de Lavan, il n’aurait pas été impossible pour Hachem de faire ressortir de cette famille 12 autres filles, pourquoi voulait il qu’ils épousent des cananéennes ?).

Finalement, on stigmatise Saoul comme étant le fils de la cananéenne (Dina), alors qu’il s’agit sans doute du moins cananéen des fils des 12 chefs des tribus !

Et de façon plus large, je m’interroge sur certaines unions des chefs d’Israël :
On critique Juda pour avoir cohabité avec sa bru, s’étonne-t-on qu’il aille cohabiter avec une fille qui semblait être une prostituée ? Est-ce un comportement acceptable d’un homme dont on loue sa force morale (même si la tora n’avait pas été donnée et que ce n’était pas juridiquement interdit, c’est moralement condamnable).

Pourquoi faut-il que Moché, le plus grand des prophètes épouse une fille d’un prêtre païen, n’y avait il pas beaucoup de filles d’Israël dignes de l’épouser ? Pourquoi Hachem lui réserve t-il cette femme ?
Pourquoi faut il que le chef d’Israël, Josué, épouse encore une fois une fille étrangère et pas n’importe quelle fille, Rahav, une courtisane ! !
Et pourquoi, l’homme que l’on présente comme le plus sage de tous les hommes, Salomon, avait il besoin d’épouser plus d’un millier de femmes ? N’aurait il pas été plus beau et plus fort que cet homme, qui a construit le temple, nous montre que le plus beau des schéma est d’épouser et d’aimer une seule femme, et une femme originaire du peuple juif ?

Nathan Schwob
Lundi 9 janvier 2006 - 23:00

La question a déjà été abordée plusieurs fois sur le site, j'ai donc utilisé pour vous le MOTEUR DE RECHERCHE. La liste n'est pas exhaustive.
Avant de rentrer dans les détails il faut cependant reprendre quelques principes:
1) Puisque la Thora est l'enseignement que D. nous transmet, elle est suffisamment large pour dépasser notre logique humaine. Donc il faut la comprendre là même où elle nous semble illogique. Souvent la logique et les principes que nous avons intégrés nous mènent a une impasse: cela nous appelle à élargir et approfondir notre compréhension.
2) Il y a différents niveaux de compréhension dans la Thora. Le sens littéral doit être compris avant de passer aux autres facettes de la vérité.
3) C'est un anachronisme de comparer les commandements d'après le don de laThora avec le comportements des personnages bibliques d'avant le don de la Thora. Ce principe se retrouve déjà dans le Talmud (Avoda Zara 24a). Lorsque ce même Talmud parle des patriarches qui accomplissaient les Mitzvot, il faut le comprendre synthétiquement avec le fait qu'ils en étaient dispensés. Le principe qui régit le comportement des patriarches s'appelle "דרך ארץ קדמה לתורה" c'est-à-dire qu'il existe un comportement moral de base qu'on peut et qu'on doit acquérir même sans Thora.
4) Le but de la Thora n'est ni de nous présenter des super héros infaillibles, ni de cacher les faiblesses: Adam, le plus parfait des hommes, celui qui a été créé par D. lui même, a commencé sa vie par fauter. D. se révèle à Caïn pour lui reprocher son meurtre comme il se révèle à Avraham pour lui reprocher les rires de Sara. La Thora nous enseigne au contraire comment d'un être faible l'homme peut devenir un super héros.

De manière générale voir les No:2140, 3613, 7368, 15815, 27288.

Les fils de Yaacov: Voir la No10314.
Vous avez décidé, dans votre question, que les Cananéennes n'étaient pas dignes de se marier avec les fils de Yaacov (raisons à l'appui), et que D' aurait dû organiser l'histoire autrement.
Il y a cependant une différence de fond entre les patriarches qui construisent le peuple d'Israël en se séparant des autres peuples et les fils de Yaakov qui construisent à l'intérieur du peuple d'Israël. Cela explique par exemple pourquoi Avraham qui habitait avec Anèr Echkol et Mamré, ses alliés, les bons Cananéens, ne voulait pas de leurs filles pour Yitzhak (Berechit 14,13 et 24). Le but de la création du Peuple d'Israël était de montrer à l'humanité en échec, comment servir D', chaque peuple suivant son originalité. Pour cela la démarche à été double: Avraham se sépare des peuples idolâtres ainsi que de sa famille, mais il ramène à lui les dernières étincelles de la connaissance de D' qui se trouve encore dans sa famille (Sara de la branche de son frère Haran, suivant le Midrach, puis Rivka de son frère Nah'or, puis Léa et Rah'el descendantes de Nah'or, Betouel et Lavan). Puis, Yaakov et Lavan concluent une alliance dont le fond est qu'ils ne se rencontreront plus (Berechit 31,44). À ce stade le peuple d'Israël montre comment on peut servir D' même si on est araméen. Aram n'a plus d'excuses. Les deux peuples suivant desquels le futur peuple d'Israël va puiser les bonnes qualités pour montrer comment les mettre au service de D', seront Canaan et l'Egypte. Les enfants de Yaakov se marient avec des cananéennes et Yossef avec une égyptienne. Puis se sera la séparation (Vayikra 18-3, Devarim 23-8, Chemot 34,15 etc…). Canaan et l'Egypte n'ont plus d'excuses. Ainsi à chaque époque et dans chaque exil, le peuple d'Israël intériorise les qualités particulières des peuples qu'il côtoie. Lorsqu'il consacre en suite ces qualités au service divin, il sert de lumière aux nations et "la Thora sort de Tzion", mais lorsqu'il ne se sert de ces qualités que pour être comme tout le monde, alors c'est l'assimilation et la disparition d'une branche morte.

Chaoul le fils de la cananéenne: (Beréchit 46-10, Bamidbar 26-12) Difficile à dire si cette précision stigmatise ce Chaoul. Pour Rachi et nos sages, il serait le fils de Dina et de H'amor son agresseur. Il est rattaché à la tribu de Chimeone car il fut élevé par lui. En effet, lorsque Chimeone et Lévy ont "récupéré" Dina, Chimeone se serait engagé envers sa sœur de subvenir à tous ses besoins matériels. Pour Rachi la précision est donc positive.

Yehouda: Voir les No: 3942, 5051, 6111.

Yehouda comme son nom l'indique (Berèchit 49-8), c'est la vertu de la reconnaissance, qu'il a appris de Léa sa mère (Beréchit 29-35). Reconnaître les bienfaits de D', reconnaître ses erreurs (Beréchit 38-25), reconnaître la vérité là où elle se trouve. Le roi David son descendant a les même qualités grâce auxquelles il sauve son règne malgré ses fautes. Le Machiah', qui lui aussi descend de Yehouda et David a comme rôle principal d'amener l'humanité à reconnaître ses erreurs et à reconnaître que la vérité se trouve ailleurs. Pour cela il faut quelqu'un qui sache ce que cela veut dire fauter et reconnaître. Le texte nous enseigne que le Machiah' ne pouvait et ne pourra naître que dans le mouvement qui relie la faiblesse humaine à sa grandeur: la reconnaissance. L'humanité n'aura pas d'excuses.

Moché: Voir les No: 11918,15680.
Le Maharal de Prague (Guevourot Hachem Ch.19) explique le mariage de Moché avec Tzipora de la manière suivante. Moché portait en lui, synthétisait et englobait la totalité des qualités spirituelles du peuple d'Israël. À l'opposé, les hébreux esclaves des égyptiens souffraient aussi d'une situation spirituelle lamentable ou tout au moins bien incomplète et affaiblie. Il n'y avait pas, alors, dans le peuple d'Israël, une femme portant en elle une vision spirituelle suffisamment globale pour servir d'âme sœur au plus grand des prophètes. Yitro et sa famille, par contre, finissaient leur cheminement spirituel qui les avait mené aux pieds de toutes les idolâtries de l'époque, pour finalement conclure qu'aucune d'entre elles n'était en mesure d'unifier la totalité des sentiments de vérité et de justice qu'ils recherchaient. Tzipora est décrite par nos sages comme la plus active et la plus raffinée spirituellement. Sa soif de D' ne pouvait être étanchée que par un mari comme Moché.

Josué et Rah'av:
Vous faites allusion au Talmud Meguila 14b qui raconte que Josué a pris Rah'av comme femme et de cette union sont sortis huit prophètes. Nos sages nous proposent ici de voir un point commun supplémentaire entre Moché et son disciple. Relisez les paroles de Rah'av, sans avoir à l'esprit qui elle étaient et vous y trouverez une similitude marquée avec les paroles de Yitro. D'ailleurs le mot "rah'av" signifie "large". L'explication du Maharal de Prague pour Moché peut donc aussi se rapporter à Josué. Pour l'un dans le contexte de la sortie d'Egypte et pour l'autre dans celui de l'entrée en terre d'Israël.

Salomon: Voir les No: 15365, 17171.
Le texte biblique est très critique envers le roi Salomon, nos sages aussi n'ont pas lésiné.
Rav Yehouda enseigne (Talmud Chabbat 56b) que Salomon le Juste aurait préféré servir de bûcheron et puiser de l'eau même pour des idolâtres plutôt que D' fasse écrire pour l'éternité dans le Livre des Livres à son propos: "Chlomo fit le mal aux yeux de D'" (Rois 1,11,6)
Ce même Rav Yehouda enseigne aussi que Rome (qui détruisit le second Temple) fut la conséquence métaphysique du mariage avec la fille du Pharaon.
Rav et Chemouel (Talmud Sahherine21a)) discutent de savoir si le roi Salomon a réintégré son poste de roi après avoie été destitué. Leur avis est unanime par contre sur ce dernier point.
Il n'empêche que ce même roi Salomon fut l'auteur de Chir Hachirim, de Kohelet et de bien des Proverbes: difficile d'échapper à l'ambivalence qui caractérise nos héros bibliques qui, pour reprendre cette belle phrase du Rav Simsovic, étaient comme nous des hommes mais n'étaient pas des hommes comme nous.