Conversation 14254 - Le mot de la faim, c'est Tsom ou Taanit, ?

Anonyme
Mercredi 3 mars 2004 - 23:00

Cher Rav,
1) Quelle est la différence en hébreu entre "tsom" et "taanit"?
Pourquoi le jeune de guédalia, le 10 tevet, le 17 tamouz et 9 av sont des "tsoms" alors que le jeune d'esther, le jeune des premiers nés sont des "taanits"?
Je suppose que la traduction des 2 signifie Jeûne, mais dans ce cas là pourquoi tous les jeûnes ne s'appellent pas "taanit" par exemple?

2) Qu'en est -il de Yom kippour? Est ce un "taanit" ou un "tsom"?

Merci.

Rav Elyakim Simsovic
Vendredi 5 mars 2004 - 23:00

Je devrai répondre succinctement bien que cela pourrait donner lieu à un long développements explicatif.
Il est vrai que du point de vue pratique, non seulement les deux mots reviennent au fait que nous ne mangeons pas. Toutefois, la différence des mots indique une différence dans la finalité du jeune. Taanit se relie à la notion de inouy, c'est-à-dire très approximativement une attitude de "mortification" alors que le mot tsom (pluriel tsomoth) est plutôt lié à une notion de retenue, d'abstention.
Les quatre premier jeûnes que vous avez cités sont en relation avec la destruction du Temple (deux fois) ; quand on est deuil, on n'éprouve pas le désir de manger. L'institution de ces jeûnes vient en ritualiser le comportement afin de les transformer d'une tendance autodestructrice liée à l'expérience du malheur en attitude réflexive orientée vers l'amendement, la réparation, la reconstruction. C'est pourquoi aussi le prophète annonce que ces jours deviendront des jours de réjouissance.

L'événement de Pourim est lié à l'attitude assimilationiste de la communauté juive de ce temps qui a participé aux banquets d'Assuérus. L'intervention d'Esther qui va risquer sa vie pour le salut de son peuple doit s'accompagner d'une attitude de réparation sur le même plan que celui de la faute. C'est pourquoi c'est un taanith. En contrepartie, Pourim, est la fête où le corps va retrouver sa fonction cachère.

Le jeûne des premiers-nés la veille de Pessa'h a une double signification : d'une part, tous les premiers-nés auraient dû périr et ceux d'Israël ont été sauvés dans la mesure où ils ont fait acte de solidarité avec leur peuple (le sang sur les linteaux et le fronton des maisons hébraïques). Mais le fait même que cela doive se produire, et les conditions dans lesquelles cela se produit, et le prix que cela va coûter : la vie des premiers-nés d'Egypte, tout cela doit conduire à une prise de conscience de la responsabilité que les aînés d'une famille ont à l'égard de leur famille et de leur peuple. Ils sont porteurs privilégiés de l'élan de vie et à ce titre ils peuvent se considérer comme les possesseurs du monde (le problème commence avec Cain). Le taanith, à la veille même du jour de la libération vient museler d'abord cet appétit d'être et le réorienter dans la perspective à la fois d'une responsabilité et d'un mérite à obtenir a posteriori d'une condition.

Yom Kippour est appelé Tsom. Là, tout se passe à un tout autre niveau. La halakha nous enseigne qu'en voyage, on doit pratiquer à la manière de la communauté visitée. Quand les anges on rendu visite à Abraham, ils ont "mangé" chez lui à la manière des hommes. Quand Moïse est monté recevoir la Thora, il est resté 40 jours et 40 nuits sans manger (trois fois 40 jours et quarante nuits...)
A Yom Kippour, nous témoignons que si nous étions des anges, nous pourrions faire comme eux. Mais c'est avec un corps que Dieu nous a créés, et il a donné à ce corps des besoins, tendances et pulsions que nous pouvons tenter de maîtriser sans toujours y parvenir. Or, ce n'est que parce que nous avons besoin de satisfaire ces appétits que nous sommes conduits à fauter. C'est pourquoi le jeûne de Kippour a valeur d'expiation.