Conversation 18891 - En quels caractères a été donnée la Tora?

Isreal
Mercredi 1 septembre 2004 - 23:00

Shalom,

Une question sur l'évolution de l'écriture hébreu.

A ce que j'ai pu comprendre, l''écriture hébreu a beaucoup évolué, si ce n'est complétement changé, entre la période du sinai et nos jours.

Comment comprendre que l'écriture, par exemple d'un sefer torah, a pu totalement changer (progressivement ou brutalement?) alors qu'une lettre mal formée rend un sefer torah non casher ?

Plus généralement, beaucoup d'enseignements portent sur la forme et la signification des lettres "carrées", mais comment concilier ces enseignements avec le fait que ces lettres, utilisées aujourd'hui, sont en fait celles qui été utilisées par les peuples de l'époque, et qu'elles n'auraient en définitive aucun caractère particulier (l'écriture, pas la langue).

Merci de votre réponse.

Rav Elie Kahn z''l
Lundi 20 septembre 2004 - 23:00

Les Tanaïm sont partagés sur la question de savoir si l'écriture actuelle de la Tora est l'écriture originale, ou si une réforme de l'écriture aurait été opérée à l'époque de Ezra, au retour de babylonie. (T.B. Sanhédrin 21b).
De nombreux vestiges archéologiques confortent l'opinion que l'écriture hébraïque actuelle est vraisemblablement postérieure à la date du don de la Tora.
C'est ainsi que le Ramban, après son arrivée en Israël raconta que l'on a trouvé une vieille pièce dont seuls les Samaritains savaient déchiffrer les caractères. Il s'agissait donc d'une pièce portant des caractères en hébreu ancien.
Nous n'entrerons pas dans les détails et n'essaierons pas de commenter les différentes opinions concernant cette question, mais tenterons d'expliquer l'opinion la plus "révolutionnaire", qui semble être celle à laquelle vous pensez. La Tora a été donnée en caractères hébreux anciens, et non avec les caractères que nous connaissons aujourd'hui, que nos textes appellent caractères assyriens.
Rabbi Yossef Albo (Haïkarim, 3, 14) privilégie cette thèse et y voit la preuve du dynamisme de la Tora et de la Halakha. Selon lui, Ezra, au retour de l'exil de Babylone réforme le calendrier et l'écriture.
Cette théorie a fait scandale et Rabbi Moché Alchaker (74) écrit à son sujet "qu'elle n'a ni sel, ni épice, ni goût, ni odeur"!! Notons que Rabbi David ben Zimra aussi (3, 442) rejette catégoriquement l'éventualité que l'écriture ait changé du tout au tout. Selon eux, la question ne se pose même pas.
Les questions que vous soulevez font écho aux arguments sur lesquels ils se basent. Si l'écriture avec laquelle on écrit les sifré Tora est un emprunt, comment expliquer tous les commentaires qui voient de multiples allusions dans la forme des lettres, et comment comprendre que des lettres malformées rendent le sefer non conforme à la Halakha?
Comment donc comprendre l'opinion de Rabbi Yossef Albo, qui envisage la possibilité d'un changement d'écriture par Ezra?
A la première question on répondra que ces commentaires reflètent l'opinion de ceux qui pensent que l'écriture n'a pas été changée, et que les tenants de l'opinion de Rabbi Yossef Albo ne se livrent pas à ce genre de commentaires.
Les malformations de lettres rendent le sefer Tora impropre à la lecture car quand Ezra a opéré la réforme de l'écriture, il a institué des règles très strictes. Quand les rabbins ont institué plus tard d'autres nouvelles lois, ils l'ont aussi fait avec de multiples détails. Pensez par exemple aux lois de Hannouca, œuvre rabbinique, truffées d'autant de détails que les lois de la Tora.
Mais la question principale est bien entendu de savoir comment Ezra a-t-il pu avoir une telle audace?
C'est le justement le point sur lequel insiste Rabbi Yossef Albo, et qui rend sa théorie à la fois si dangereuse et si critiquée (l'un entraînant l'autre). La Tora n'est pas si immobile que nous avons tendance à le croire, et quand cela est nécessaire, peut venir une personnalité hors du commun, un nouveau Moché Rabbénou et opérer le changement nécessaire dans l'intérêt même de la Tora.
Notons tout de même que les partisans de cette opinion prennent garde d'ajouter que Ezra ne l'aurait pas fait s'il n'avait pas trouvé d'allusion dans la Tora à la possibilité de le faire.
Et surtout que nous ne conseillons à personne aujourd'hui de se prendre pour Ezra.

Isreal
Mardi 21 septembre 2004 - 23:00

Suite à la question 18891,

Je vous remercie de votre réponse.
A sa lecture, je crois comprendre que l’on se trouve devant une alternative :

- Soit, nous adhérons à la thèse selon laquelle l’écriture a changé avec Ezra. Et dans ce cas, par la même, nous ne pouvons pas adhérer aux commentaires et enseignements sur la forme des lettres, leur signification etc…

- Soit, nous estimons que la thèse ci-dessus est fausse. Donc nous estimons que l’écriture n’a jamais changé, qu’elle est immuable. Et dans ce cas, les commentaires gardent tout leur sens.

Le problème, c’est que dans la 2ème alternative, nous nous obligeons à faire totalement abstraction de ce qui semble être une réalité objective et aujourd’hui reconnue.
Des pièces en hébreu ancien ont en effet été retrouvées en Israël, et même des objets provenant probablement du beit hamikdach.
Je renvoie notamment à une page du site modia concernant l’écriture : Cf. http://www.modia.org/etapes-vie/jeunes/lettres.html.

Il est vrai que nous avons du mal à imaginer que notre familière écriture carrée est en fait un emprunt assez récent, de peuples en outre qui furent nos ennemis. Ce ne sera d’ailleurs pas la dernière fois (cf par exemple les habits hassidiques qui sont des emprunts aux nobles polonais du 16e-17e siècles et qui sont aujourd’hui perçus comme l’illustration parfaite du juif orthodoxe…)

Shana tova

Rav Elie Kahn z''l
Jeudi 30 septembre 2004 - 23:00

C'est en effet ce que j'ai écrit.
Notons cependant qu'il est possible à la rigueur de concilier l'opinion que l'écriture a été réformée par Ezra, et tous les commentaires sur la forme des lettres de la manière suivante: cette écriture n'a pas été choisie par hasard, la réforme de Ezra était empreinte du sceau divin. Nous sommes les seuls détenteurs de cette écriture aujourd'hui, et elle a une signification sacrée, qui échappait à ceux qui s'en servaient à l'origine.