Conversation 3102 - Prier sur les tombes des justes

Anonyme
Mardi 17 décembre 2002 - 23:00

Pourquoi venir prier sur les tombes des Tsadikim ?
Nos prieres y seraient elles davantage entendues ?
N'est ce pas deplace que d'embrasser leur tombe ?

Rav Benjamin David
Mardi 28 janvier 2003 - 23:00

La coutûme d'aller prier sur les tombeaux des Tsadikim, justes d'Israël, n'est pas une pratique spécialement hassidique. C'est une coutûme qui a existé de tout temps aussi bien dans le monde sépharade que ashkénaze.
La première source qui témoigne de ce rite se trouve dans la torah. Le verset (Bamidbar 13,22) nous raconte que les 12 explorateurs envoyés par Moshé Rabénou, sont "montés dans le desert du Neguev". La suite du même verset nous raconte "qu'il est arrivé à Hevron". La Guémara dans le traité de Sota (34B) s'interroge sur le fait que la première partie du verset est au pluriel alors que la deuxième partie est au singulier. Sur ce, la Guémera de nous rapporter l'explication traditionnelle selon laquelle la deuxième partie du verset parle de Kalev Ben Yefouné, qui s'est détaché du groupe des médisants, pour aller prier sur la tombe de nos patriarches, Abraham, Yitskhak et Yaakov. Kalev demande à ses ancêtres de supplier D… afin qu'il l'épargne des mauvaises intentions des autres explorateurs, qui avaient prévu dès le départ de dire du mal de la Terre d'Israël.
Cette coutûme est reprise aussi dans la Guémara, traité de Taanit (16A), qui nous rapporte deux raisons pours lesquelles il est de coutûme d'aller prier dans les cimetières les jours de jeûne. La première raison est d'éveiller les fidèles à la Téchouva, au repentir. Dans un cimetière, les gens pensent à leur mort qui s'approche et cela les pousse à faire Téchouva. La deuxième raison rapportée dans la guémara est qu'il est d'usage de demander aux défunts de prier pour nous auprès de D… pour qu'il soit miséricordieux envers nous.
La guémara, dans le traité de Yébamot, nous rapporte aussi la coutûme de se rassembler sur la tombe d'un Tsadik le jour anniversaire de sa mort.
D'après ces sources talmudiques, le Rama, indique dans le Choulkhan Aroukh (orakh haim 581,4) que dans certaines communautés, les fidèles ont coutûme d'aller pélériner dans les cimetières la veille de Roch Achana. A cette même occasion ces juifs supplient D…de leur pardonner leurs fautes et ils donnent de la tsédaka aux pauvres.
Cette coutûme semble étonnante à nos yeux. En effet un des fondements du judaïsme est que nous sommes monothéistes. Il n'existe donc pas d'autres forces que D… Comment est-il possible que nous nous retrouvions autour d'une tombe et que nous nous adressions aux morts? Cette coutûme contredit apparement un interdit de la torah: "qu'il ne se trouve personne chez toi qui…ait recours aux évocations ou aux sortilèges ou qui interroge les morts. Car l'Eternel a horreur de quiconque fait pareilles choses" (Dévarim chap 18).
Le Rambam développe ce sujet dans son commentaire sur la Michna (Sanhédrin, Perék h'élek, cinquième principe): "Seul D… doit être vénéré et aucune autre entité sous lui, y compris les anges, puisque tout dépend de D… Il est interdit de les vénérer, même si notre but est de se rapprocher de D… par leur intermédiaire. Il faut diriger nos pensées uniquement vers D…et laisser de coté toute autre dimention".
Rabbi Yossef Albo, auteur du Séfer Ahikarim (chap 17) nous enseigne qu' "aucune autre entité que D… ne peut avoir une influence sur nous. D… n'a besoin de l'aide de personne. Il n'est donc pas logique d'espérer et de demander la miséricorde par l'intermédiaire d'autrui . La miséricorde n'émane que du créateur. Il faut donc prier uniquement vers lui et non vers quelqu'un qui ne peut rien pour vous!"
Nos décisionnaires rabbiniques étaient sensibles à cette question. C'est pour cette raison qu'ils ont défini clairement dans les livres de halakha que les personnes "qui vont prier sur les tombeaux et qui racontent leurs soucis aux morts, enfraignent l'interdit d'interroger les morts" (H"ayé Adam, 138,2). "L'endroit où sont enterrés les tsadikim est un endroit saint et pur, de sorte que nos prières sont mieux acceptées, cependant il faut faire attention de ne pas prier les morts mais D… Il faut lui demander, grâce aux mérites des tsadikim, d'accorder nos demandes" (Michna Broura au nom du maaril, 581 alinéat 27). Selon ces rabbanim il est interdit de s'adresser aux morts.
Cependant certains rabbanim (le Pri Méguadim) prouvent de la prière de Kalev qui a supplié les patriarches, qu'il est autorisé de s'adresser directement aux morts! Ce n'est donc pas considéré comme de l'idolâtrie comme nous pourrions le croire. Ces mêmes rabbins expliquent la nuance entre idolâtrie et prière autorisée. Kalev n'attendait pas de récompense des patriarches. Ce qu'il a demandé, c'est que leurs âmes prient pour lui devant D… en espérant que D…exaucerait sa prière de se tenir éloigné de la médisance. Kalev avait conscience que la seule source possible de bénédiction est D…. Les tsadikim s'associent à notre prière afin que D…accorde nos demandes. c'est donc à lui et à lui seul que nous nous adressons Par contre une personne qui se tournerait vers un "saint" et lui demanderait une faveur serait idolâtre. C'est ce que dit explicitement le Zohar (Akharé Mot) au nom de Rabbi Yoss.
Le même principe est appliqué dans la Birkat Cohanim. Le Malbim (Nasso chap 6) explique que lorsqu'une personne prie, mais qu'elle n'est pas à la hauteur spirituellement pour recevoir la bénédiction divine, elle peut demander aux serviteurs de D…, les cohanim, de lui servir d'intermédiaires entre la grâce divine des cieux et elle, puisque par leurs actes et leurs prière ils sont d'un niveau plus élevé que le reste du peuple. Cependant il doit clair dans notre esprit que la bénédiction provient de D..et non des cohanim eux-même. Les cohanims expriment cela d'une facon explicite dans leurs paroles: "que D… te bénisse et te garde. Que D… t'éclaire, que D… te donne la paix". C'est pour cette raison que nous avons la coutûme de ne pas regarder les cohanim pendant qu'ils nous bénissent.
De même que le cohen peut être le lien entre l'homme et D…, le tsadik de son vivant ou son âme après sa mort peut établir ce lien.
Selon les décisionaires rabbiniques, il y a donc deux façons de prier devant les tombes. Certains nous permettent de demander aux morts de s'associer à notre prière en notre faveur. D'autres rabbanim rejettent toute possibilité de s'adresser aux défunts.
Si vous n'avez pas de tradition dans votre famille, vous pouvez choisir le chemin qui vous semble le plus approprié à votre approche de la prière et qui vous permettra de prier avec le plus de ferveur.

Après cette analyse hilkhatique du sujet rajoutons quelques mots d'ordre éducatif.
La Guémara, dans le traité de bérakhot (19B), nous enseigne que "même après leur mort, les tsadikim sont considérés comme vivants". Ces justes ont dirigé toutes leurs actions vers les mitsvot et l'étude de la torah, l'application de la volonté divine. Par cette attitude, les tsadikim se sont rattachés à D… qui est infini et éternel. Lorsque nous continuons à étudier et à appliquer l'enseignement de ces justes, nous perpétuons cette dimension éternelle qui est en eux. A ce moment le juste est parmi nous et "ses lèvres bougent dans son tombeau". En allant sur leur tombe, nous exprimons notre respect envers notre histoire et notre patrimoine spirituel. Il serait donc bien d'étudier sur la tombe des tsadikim une partie de leurs enseignements, et de décider de continuer leur chemin. Cette étude est donc d'un niveau spirituel plus élevé que l'allumage de bougies ou de faire une Séouda, un repas en l'honneur du tsadik.
Si cette facon de procéder ne vous convient pas, vous n'êtes pas obligé de vous associer aux pélerinages. Mais d'un autre coté il ne faut pas dénigrer les personnes qui ont choisi ce chemin pour se rapprocher de D…
Nos rabbanim contemporains nous ont aussi prévenus d'autres dangers qui risquent d'apparaitre durant les rassemblements populaires, à l'ocasion de la Hiloula des tsadikim. Certains profitent de ces évènements pour faire du "Bisness" douteux, en vendant des amulettes ou toutes autres sortes d'objets qui frisent l'idolâtrie. Il ya aussi des problèmes de Tsniout, pudeur, lorsque des hommes et des femmes sont affalés pendant plusieurs jours et font des "méchouis", en l'honneur du tsadik. A lieu de prier et d'étudier, ils perdent leur temps. Il faut donc faire attention à ne pas transformer cette coutûme en avéra.