Conversation 37605 - Combien dévoiler?

miky
Mardi 31 juillet 2007 - 23:00

cher rav kahn

j` adore votre travail. je suis presque en admiration devant le style et la qualite de vos reponses. j`ai encore une autre question a vous poser. concernant encore une fois la relation homme femme, que doit on devoiler?? notre vie precedente, avant le debut de la relation doit elle etre partagee?? doit on pour creer une reelle union, devoiler nos petits secrets, notre intimite??je ne pense que la halaha traite de ce sujet la, et je demande ainsi votre point de vue personnel sur le sujet.

en vous remerciant par avance

Rav Elie Kahn z''l
Dimanche 5 août 2007 - 05:41

Chalom,

Vous allez être étonné, la question est abondamment traitée dans la Halakha, elle est sujette à discussion dans la littérature halakhique, les rabbins en discutent (et se "disputent") un peu comme s'il s'agissait d'une question de cacheroute ou de Tsedaka. Si mes souvenirs sont bons, même sur Cheela, il y a différents avis sur le sujet (mais je ne peux pas vous donner les numéros des réponses).
Voici un exemple de texte halakhique qui vous permettra de vous faire une idée sur l'opinion du Rav Ovadia (Yabia Omer 8, Y.D. 32).
Une jeune femme a fait Techouva. Avant de se marier avec un jeune homme religieux, elle avait avorté d'un enfant qu'elle avait conçu hors mariage. Son mari n'en savait rien. Puis elle a mis au monde un garçon, et s'est posée la question du rachat du premier-né. Allait-elle devoir avouer à son mari ce qu'elle lui avait caché jusque là, pour éviter que la cérémonie soit tenue en vain, ou pouvait-elle ne rien dire, et on rachètera un bébé qui n'est pas premier-né et on récitera les bénédictions d'usage en vain?
Le Rav préconise de ne rien dire. Je ne rentrerai pas dans les détails techniques et halakhiques de cette décision. Il nous suffira de remarquer que le Rav ne considère pas qu'il soit nécessaire de dire la vérité en toutes circonstances.
Et voici un autre texte, cette fois-ci du Rav Moché Feinstein (Igrot Moché O.H. 4, 118). Une jeune fille, a eu des rapports avant son mariage, elle est encore célibataire. Du contexte, il est clair que cela s'est passé plus d'une fois. Elle a fait Techouva, et veut se marier avec un garçon sérieux. Elle pose au Rav la question de savoir si elle doit lui raconter son aventure. Celui-ci répond que lors de la première rencontre il lui est interdit de lui raconter. Il ne dit pas pourquoi c'est interdit, je suppose parce qu'il est interdit de se confesser devant un être humain pour les fautes que l'on a commises "ben Adam lamakom", non pas vis-à-vis d'un être humain, mais vis-à-vis de D'ieu (Rambam, Hilkhot Techouva, 2, 5).
Par contre, quand le garçon commencera à parler mariage, il faudra lui dire. Il s'agit dorénavant d'une question d'honnêteté vis-à-vis d'un être humain.
Mais même à ce moment là, il me semble que le Rav ne conseille pas de dire toute la vérité: "vous ne devez dire que ceci, qu'il est arrivé une fois, une fois où vous n'aviez pas toute votre tête, vous n'avez pas résisté à la forte insistance de votre séducteur, et que vous avez tout de suite regretté et été malheureuse de ce qui s'était passé".
Un autre cas, bien plus grave a retenu l'attention des décisionnaires. Si je ne me trompe pas, le premier qui en parle est Rabbi Yehezkel Landau (Noda Biyehouda, 1; O.H., 35 – Prague 18ème): une femme mariée a commis un adultère. Sa fille s'est mariée avec l'homme avec qui elle a fauté, et ce dernier, qui entre temps a fait Techouva pose la question, s'il doit prévenir le mari que sa femme a fauté, car il doit, selon la Halakha se séparer de son épouse adultère.
Le Noda Biyehouda rédige une longue réponse, dans laquelle on ressent ses hésitations devant la décision à prendre, pour arriver à la décision que le gendre doit prévenir son beau-père. Notons que le Noda Biyehouda est quasiment le seul à arriver à cette conclusion, et que l'immense majorité des décisionnaires disent qu'il doit garder le silence (Le Ben Ich Haï dans Rav Pealim, 1, E.H. 1; Divrey Haïm 1, 35; Rav Herzog, le Rav Ovadia Yossef et encore bien d'autres).
Ce qui m'a interpellé dans ce qu'écrivent les rabbins sur cette dernière question, c'est que, pour autant que j'ai pu m'en rendre compte, ils ne jugent pas utile de soulever la question de savoir s'il ne faudrait pas conseiller à cette femme de parler avec son mari. On dirait qu'il leur semble évident que ce n'est pas nécessaire.
Nous avons deux attitudes différentes: dire une demie vérité (Rav Feinstein), ou garder le silence (Noda Biyehouda et à plus forte raison les autres rabbins qui traitent de cette question, le Rav Ovadia Yossef dans le premier exemple).
On peut y voir deux opinions différentes en réponse à votre question, comme on peut expliquer que l'on n'agira pas de la même manière avant le mariage, où il faut dire au moins une partie de la vérité, qu'après le mariage où il faut garder le silence, la paix à l'intérieur du couple primant l'amour de la vérité.
Dans l'échelle des valeurs halakhiques, la paix est au dessus de la vérité.
En tout cas, aucun n'exige que soit dévoilée toute la vérité, dans tous ses détails et toute sa crudité.
A mon humble avis, on peut nuancer la réponse, même avant le mariage, encore plus que ne le fait le Rav Moché Feinstein, en tâtant le terrain, pour savoir si le conjoint veut savoir, ou préfère rester dans l'ignorance, ce qui est assez courant. Cela dépend beaucoup de la personnalité et de la mentalité, souvent du milieu social et de bien d'autres paramètres. Je pense que le Rav Feinstein serait d'accord que si le conjoint ne veut pas savoir; il n'y a pas lieu de lui imposer une vérité qu'il veut ignorer.
Une dernière remarque. Tous les cas évoqués dans ma réponse parlent de cas où c'est la femme qui a commis une faute.
Il est marquant que dans la Guemara Ketouvoth par exemple, le problème d'une jeune mariée qui n'arrive pas vierge au mariage est traité de long en large, alors que pas un mot n'est écrit sur la chasteté du jeune marié avant son mariage. Que la jeune femme ait eu des rapports quand elle était encore jeune fille peut être une raison pour annuler le mariage, alors que le fait que le jeune homme en ait eus ne l'est pas.
L'idée de réciprocité apparaît dans le traité de Sota, où il est écrit que le test de la femme infidèle ne sera efficace que si le mari est de son côté irréprochable.
Il me semble important de noter que de nos jours, il doit y avoir réciprocité concernant la question que vous soulevez. Si l'on se dit la vérité, on doit la dire des deux côtés. Il est impensable à mon avis, d'exiger de la jeune fille de dévoiler son passé, alors que le jeune homme ne le fera pas honnêtement.
Et je voudrais conseiller aux jeunes filles fréquentant un jeune homme qui a ce genre d'exigences, de trouver un autre futur mari. Une telle attitude n'augure rien de bon pour l'avenir.
Et merci pour vos compliments.