Conversation 5260 - Vendre son hamets. C'est serieux?

Anonyme
Mercredi 19 mars 2003 - 23:00

A l'approche de Pessah', nous nous appretons comme tous les ans a vendre notre h'amets a notre rabbin. Je ne peux m'empecher de penser que cela ne fait pas tres serieux, et que nous roulons la Halakha.
Qu'en pensez-vous?

Rav Elie Kahn z''l
Mercredi 19 mars 2003 - 23:00

Votre question va nous permettre de faire une petite mise au point concernant la vente du hamets, qui est tres repandue, mais n'est pas toujours justifiee. Voici donc un bref historique de la vente du h'amets(1).
On trouve a l'epoque talmudique, (2) une vente de h'amets d'un juif a un non juif, mais il s'agit d'une vente qui s'effectue dans des conditions particulieres, puisqu'il s'agit d'un voyage en bateau, donc un cas de force majeure, le juif ne pouvant rester sans provisions durant tout le voyage.
Les conditions particulieres dans lesquelles une telle vente est autorisee n'apparaissent pas dans le Choulhane Aroukh (3), preuve que Rabbi Yosseph Karo n'a pas considere que c'etait une condition sine qua non, mais plutot une illustration d'un cas ou une telle vente serait necessaire. Il note cependant expressement qu'il s'agit d'une veritable vente, qu'elle n'a aucune clause limitative, et que le h'amets se trouve effectivement en dehors de la maison du juif. L'acheteur prend le h'amets chez lui. Ce que cette vente a de special, c'est que le vendeur et l'acheteur, au moment de la transaction ont bien l'intention d'effectuer une transaction inverse apres Pessah'.
C'est en Pologne, vers le 16-17eme siecle, que se pose le probleme de maniere plus cruciale. Un des principaux metiers juif est le commerce d'eau de vie h'amets. Livrer des quantites commerciales a la maison de l'acheteur pour une semaine pose de graves problemes d'intendance. Rabbi Yoel Sirkis, le Bah', est semble-t-il le premier a proposer que le h'amets reste dans la maison du juif, a la condition qu'on lui loue le lieu ou le h'amets est entrepose. A cette epoque, le non juif paye encore le prix fort du h'amets, etant tacitement convenu que le juif le racheterait apres la fete. Mais il s'agit encore d'une veritable transaction.
Le stade suivant de l'evolution de cette vente est l'evolution du mode de paiement. En effet, s'agissant de stocks importants, on ne trouve pas toujours de non juif pret a debourser cette somme, quitte a la recevoir plus tard. C'est alors qu'on imagine une nouvelle clause dans le contrat (4). Celle-ci stipule que le non juif verse un accompte. Le reste de la somme a payer est considere comme un pret au non juif, pret qui devra etre rembourse apres la fete. Le remboursement du pret ne se fait generalement pas en especes, mais en h'amets. Apres Pessah' pour rembourser le pret, le non juif donne le h'amets a son creancier juif.
Cette vente se faisait dans un premier temps de maniere individuelle, c'est a dire que chaque personne interessee a vendre son h'amets se mettait directement en contact avec un non juif et faisait la transaction avec lui. Mais il faut pour qu'une telle transaction soit valable de serieuses connaissances en Droit et en Halakaha. C'est pourquoi on en est arrive a ce que le rabbin effectue la transaction au nom des membres de la communaute, qui l'ont nomme fonde de pouvoir.
Au fil des ans cette vente est devenue de moins en moins reelle, de plus en plus fictive.
Il est vrai que le non juif peut effectivement a tout moment venir prendre possession du h'amets, et cela est arrive a un de mes collegues, rabbin dans un kibbouts. Le non juif est venu au milieu de Pessah' et a charge des tonnes de h'amets qui lui avaient ete vendues, semble-t-il a des prix interessants. Mais dans de nombreux cas, meme si le non juif voulait effectivement entrer en possession de ce h'amets, il ne pourrait pas le faire, pour des raisons pratiques (le lieu ou le h'amets est entrepose n'est pas indique assez clairement, l'acces y est malaise ou meme impossible, etc…) ce qui permet d'emettre des doutes quant a la validite d'un tel acte de vente. C'est pourquoi de nombreux rabbins se sont eleves contre l'usage qui est fait de cette vente (4). N'oublions pas qu'elle n'a pas ete instituee pour des particuliers, mais pour des commerces et usines. En tant que rabbin de kibbouts j'ai vendu pour environ un million et demi de h'amets (plus de 200 000 $), ble et autre nourriture animale. Detruire de telles quantites est plus que problematique. Mais dans un cadre domestique, il ne devrait pas y avoir trop de problemes de finir le h'amets avant Pessah' et de renouveler le stock de whisky apres la fete.
Je me debrouille toujours pour que le non juif qui achete chez nous le h'amets aille rafler une bouteille (dont j'ai sciemment sous estime le prix) chez un des vendeurs. Cela n'a malheureusement qu'une faible influence sur les quantites de h'amets prive que je vends tous les ans.
Meme ma proposition de passer personnellement de maison en maison pout finir le whisky n'a rencontre que peu d'amateurs. Allez savoir pourquoi!

References: 1: L'historique de la vente du h'amets est tire du livre "haMoadim baHalakha" du Rav Zevin (p. 255). 2: Tossephta Pessah'im, 2, 12-13. 3: O. H. 448, 3. 4: Il y a differents contrats. Celui decrit ici est celui dont je me sers, base sur Moadim ouZemanim hachalem du Rav Sternbuch, 4, 279. 4: Voir par exemple Mekor Hayim hachalem, 4, p. 184.