Conversation 66405 - L'agriculture n'est plus aussi centrale

jeremieisaac
Jeudi 8 novembre 2012 - 23:00

Chalom!

on nous enseigne que la torah precede l'existence du monde, que le fonctionnement de celui ci decoule de la torah, et que par consequent la torah n'a besoin d'aucune adaptation pour rester vraie. Bien.
Dans ce cas un point particulier me turlupine: il existe une omniprésence du monde agricole dans la thora et les mitsvots, alors que l'agiculture est sortit de la vie de la majorité de la population juive pratiquante.
Bien sur l'agriculture reste indispennsable a notre nourriture et la pluie indispensable à l'agriculture
Mais tout de meme: les fetes ont une signification agricole, l'etude du temps, des saisons, du travail, l'etude des interdits du chabbat, les dommage et interet , les lois du monde du travail, les korbanot... de tres nombreuses mitsvots font rference à un moment ou un autre à ce monde agricole qui n'est plus le notre, a sa connaissance précise. Au temps de la guemara la majorité de la population était rurale et je comprends dans ce contexte le champs d'application des mitsvots, mais le monde a changé et la plupart d'entre nous n'ont qu'une idée virtuelle de ce qu'est une moisson de blé ou la traite d'une vache.
Ma question est donc: si le fonctionnement du monde découle de la torah, comment a t il pu changer à ce point? au point que la vie de la plupart d'entre nous soit sans rapport avec l'agriulture qui semble pourtant si centrale?? le monde a t il pu suivre une dérive et etre loin de son but initial? Cela me pose question car j ai l'impression que notre vision du monde dans les grandes ville ne nous permet pas d'appreheder le vécu reel des mitsvots..
Qu'en pensez vous?

Emmanuel Bloch
Mercredi 2 janvier 2013 - 12:27

Chalom,

La Torah est eternelle, c'est effectivement un principe cardinal du Judaisme, mais toutes les autorites rabbiniques n'ont pas compris cette eternite de la meme facon. Pour certains, la divinite de la Torah implique son eternite, son existence hors du temps, son immutabilite, comme le sous-tend votre question. Une telle conception demande effectivement de comprendre comment une si grande partie du message divin est devenue de nos jours inapplicable.

D'autres autorites estiment que la Torah que le peuple juif a recu au Mont Sinai est une modalite d'application d'un concept plus vaste de la Torah, une Torah celeste et ideale, qui demanderait d'etre appliquee et concretisee a chaque nouvelle generation, dans chaque nouvelle situation. Le monde nouveau dans lequel nous vivons ne serait dans cette optique pas une deviation de la normalite, mais une nouvelle opportunite de mettre en pratique la Torah de Dieu, de la vivre dans le monde reel.

D'autres positions existent. N'etant que peu tente de fixer comme ideal un monde pre-industriel, non democratique, sans medecine moderne, etc., j'avoue preferer une vision de la divinite de la Torah qui se rapproche du deuxieme modele.

jeremieisaac
Lundi 7 janvier 2013 - 23:00

suite à la 66405:
Monsieur Bloch, votre réponse est séduisante à plus d'un titre, l'idée d'une thora comme un concept plus vaste, et exprimée dans le langage des hommes de l'époque résoudrait un grand nombre de questions sur la problématique torah et vie moderne.
Toutefois je trouve dans une certaine mesure cette idée dangereuse. En effet j'ai malheureusement entendu ce concept chez les réformateurs de tout bords. Leur raisonnement simplifié: la thora s'exprime dans le langage des hommes de l’époque, mais son contenu nous permets de comprendre l'esprit de la loi. Si la thora avait été donné aujourd'hui, elle s'exprimerait dans notre langage à nous donc... adaptons les halahots suivant l'esprit de la loi à la modernité! si je suis votre explication, ou est la faille dans ce raisonnement? Merci!

Emmanuel Bloch
Mercredi 9 janvier 2013 - 14:20

Chalom,

Je suis heureux que ma reponse precedente vous ait plu !

Vous me demandez si l'idee que j'y presente permet de "reformer" la Torah pour l'adapter a la vie moderne. Ma reponse sera negative, dans une tres large mesure, mais il me faut ici entrer dans des nuances importantes.

1. Mon premier point sera de souligner que la question de l'eternite / divinite de la Torah, et des differentes manieres de la comprendre, a fait l'objet de debats constants, parmi les autorites rabbiniques les plus reconnues, au fil des siecles. Ces rabbins n'avaient rien de reformateurs, ils etaient completement engages dans un mode de vie parfaitement respectueux de la halakha, mais ils essayaient de comprendre le phenomene de la Revelation et d'articuler une vision religieuse qui leur etait propre. On pourrait multiplier ici les exemples, mais je me contenterai d'un seul, certes celebre, celui de Maimonide. En effet, le Rambam a affirme, dans la troisieme partie du Guide des Egares, que les prescriptions de la Torah d'offrir des sacrifices au Temple relevent d'un certain contexte socio-culturel donne - il s'agit de detourner les premiers Hebreux de l'idolatrie. On pourrait croire, de la, que cette position theologique aurait des repercussions halakhiques, et que le Rambam trancherait dans le Michneh Torah que les sacrifices ne sont plus necessaires dans une epoque ou l'idolatrie n'existe pour ainsi dire plus. Or, rien de tel ! Le Rambam codifie les lois des sacrifices, comme tout autre domaine de la halakha.

L'orientation "ideologique" du possek est tout au plus un indice de son orientation plus ou moins "ouverte" dans le champ de la halakha, mais rien de plus, et il existe des poskim tres ouverts dans leur hachkafa mais tres conservateurs dans leur psika (pour un exemple moderne, comparez les ecrits philosophiques et halakhiques du rav Kook).

Alors, de nos jours, dans un contexte de conflit permanent entre mouvements orthodoxes et non orthodoxes au sein du Judaisme, ces opinions theologiques, qui voient la Torah comme une concretisation constante de la volonte divine dans un monde changeant, sont releguees a un second plan ou completement ignorees. On peut le comprendre. Mais elles existent bel et bien.

Voyez aussi ma reponse 46716 pour quelques developpements supplementaires.

2. Mon deuxieme point sera de souligner que la halakha a ses propres mecanismes d'adaptation a une realite changeante. Elle a, si vous preferez, une sorte de boite a outils. On ne peut pas simplement affirmer (comme le font certains reformateurs dont vous parlez), que la realite est differente et qu'il faut tout changer. Tout changement halakhique doit etre formule dans un langage halakhique.

Cette boite a outils ne permet pas de changer tout et n'importe quoi. Aucun possek orthodoxe ne permettra de repousser le chabbat au dimanche ! De plus, un certain nombre d'options ne sont plus disponibles, pour des raisons historiques (plus de sanhedrin, donc d'autorite legislative centrale, par exemple), politique (morcellement de l'autorite rabbinique), ou autre. Il y a donc des limites a la flexibilite halakhique, mais des strategies d'adaptation existent encore pour les poskim qui veulent les utiliser. C'est la une question qui necessite de tres longs developpements, et qui est sujette, comme vous l'imaginez, a controverses.

Je veux simplement souligner ici que la halakha evolue (lorsqu'elle le fait) suivant certaines regles, qui limitent son evolution sans la bloquer toutefois, et qu'on ne peut changer la loi juive pour le simple motif que la societe aux alentours aurait change. Il faut une traduction de de constat dans la langue de la halakha, et seuls des decisionnaires competents peuvent le faire.