Conversation 68256 - Difficile de comprendre, difficile de croire...

faniie
Mardi 19 mars 2013 - 23:00

Bonjour ,

Je suis en train de lire un livre sur la foi et la providence divine particulière .Je comprend qu'il n'ya pas de mal dans le monde et que tout provient d'hashem ,béni soit il .
Mais comment accepter que certains enfants ,soient victimes d'actes pedophiles ? Pourquoi Hashem laisse faire cela ,dans quel but ?
Je peux comprendre qu'il n'ya pas de souffrance sans faute quand cela concerne des adultes responsables ,mais quelle faute un enfant à t il commis pour souffrir autant ?!!!

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Rav Samuel Elikan
Dimanche 24 mars 2013 - 15:11

Shalom,

Votre question est difficile - elle requière un certain approfondissement. Je crois même ne pas trop m'avancer en disant qu'on ne pourra jamais y répondre entièrement. Certaines choses nous sont parfois incompréhensibles et l'on ne saura les justifier. Leur justification provoquant une déresponsabilisation ou une fuite dans des raisonnements mystiques tout aussi éloignés de la raison. En outre, si j'ai bien compris, la question que vous posez est celle du mal dans le monde, en cela c'est un peut similaire à "où était D'ieu pendant la Shoah" - comment D'ieu peut-Il laisser certains actes être commis ? La Providence Divine peut-elle ou doit-elle empêcher certains actes ?

Nos Sages nous enseignent (1): "Rav Ah'a fils de H'anina dit - le monde futur n'est pas semblable à ce monde-ci. Notre monde - pour de bonnes nouvelles on dit Béni Soit le Bien qui répand le Bien (hatov vehaMetiv) et pour de mauvaises nouvelles on dit Béni soit le Juge de Vérité (dayan HaEmet). Le monde futur - tout est Bien qui répand le Bien (hatov vehaMetiv)."

Le Talmud nous apprend ici que la différence entre notre monde et le monde futur est dans l'existence même du mal. Le monde présent se distingue par le fait notoire qu'il "contient" du mal, alors que le monde futur est intégralement bon. Que cela veut-il dire ? Et pourquoi le mal existe-t-il dans ce monde-ci ?

Bien que la réponse à cela n'est en rien simple, une vision théologique de la question peut changer la donne. En effet, nous croyons, comme vous l'avez souligné dans votre question, que D'ieu n'amène pas de mal dans le monde (2), généralement c'est plutôt l'homme (3).
Pour donner de la couleur à mes propos, je vais aller un peu "à l'extrême", par quelques exemples, j'espère que vous ne m'en tiendrez pas à coeur:
D'ieu ne guerroie pas, mais les humains - si.
Nous croyons que D'ieu ne tue pas des millions d'hommes sans raison, mais les humains le font. D'ieu ne place pas de bombes atomiques, les hommes - si. Etc, etc.

Ainsi que l'écrit le Ramh'al (4):
"En effet, c'est la règle de l'Eternel... montrer la puissance de Sa Gouvernance pleine et entière; tout le temps qu'Il veut, Il laisse le monde être turbulent et aller contre le temps, le temps où le mal règne dans le monde. Et ce n'est pas tout... D'ieu laisse le mal faire tout ce qui est en sa puissance... Et en fin de compte, plus le mal est dur à supporter par les êtres vivants, plus D'ieu Dévoilera la force de Son Unité et Son Gouvernement extraordinaire qui est Tout-Puissant, et dans la profondeur des nombreux malheurs et peines grandit certainement la Délivrance de Sa grande Force".
Selon le Ramh'al, la mal dans le monde n'est pas détaché de D'ieu, et Il lui laisse une place, tout comme il laisse l'humanité faire ses erreurs, tellement douloureuses parfois.
En effet, l'homme a été créé avec un libre-arbitre, nous ne sommes pas des robots.
Nous avons été conçus à l'image de D'ieu, c'est-à-dire dotés d'un libre-arbitre (5). Le Rav Saadia Gaon écrit ainsi (6):
"D'ieu voulut ainsi être utile aux Créatures (c'est-à-dire les humains) en cela qu'Il les a ordonné et ils L'écoutent, ainsi qu'il est écrit (Isaïe 48:17) "Je suis l'Eternel, ton D'ieu, qui t'instruis pour ton bien, qui te dirige dans la voie que tu dois suivre".".

Tout comme D'ieu agit librement, ainsi se définit la liberté de l'homme. Il est évident qu'il ne s'agit pas de la même liberté, car on ne peut comparer les concepts relatifs aux hommes à ceux relatifs à D'ieu. Mais je m'exprime là de manière quelque peu "métaphorique": de la même manière que D'ieu agit sans dérangement originel, ainsi l'homme n'a, a priori, aucun "dérangement" au fait de son libre-arbitre. Cependant cette liberté est difficile - car si liberté il y a, nécessairement, il y aura la possibilité du mal, d'agir le mal, de le commettre (7). Le choix impliquant des possibilités. C'est donc que le mal est nécessaire au libre-arbitre, on dira même à la liberté. On ne peut pas progresser sans mal - "Dieu a fait correspondre l'un à l'autre" (8).
D'autre part, si D'ieu Se dévoilait souvent, pour nous montrer la voie, on n'aurait plus de libre-arbitre ! Peut-on se tenir devant le Roi et Lui refuser un ordre ? Ce Dévoilement causerait un tel choc qu'on ne se sentirait presque plus exister, un peu comme le Peuple d'Israël au Mont Sinaï, qui, pour sentir qu'ils avaient encore un libre-arbitre, commirent la faute du veau d'or juste après...
C'est une des raisons, je pense, pour laquelle D'ieu a créé les lois de la nature, comme le disent nos Sages (9):
"Les philosophes ont demandé aux Anciens, à Rome, si votre D'ieu ne veut pas d'idolâtrie, pourquoi ne l'annihile-t-Il pas ? Ils leur ont répondu: s'il s'agissait d'un acte envers quelque chose dont le monde n'a pas besoin - Il l'aurait annihilé; cependant, ils adorent le soleil, la lune, les étoiles... le monde devrait donc être annihilé à cause de quelques ignares ? Non, le monde SUIT SON HABITUDE et les ignares qui l'abîment rendront des comptes".

C'est-à-dire que D'ieu ne va pas tout le temps changer les lois et habitudes du monde afin que les gens croient en Lui. La foi ne doit pas dépendre de miracles ou de magie... L'homme doit cependant être conscient de son lieu et de sa place - entre animal et ange, entre matériel et spirituel, entre âme Divine et âme bestiale - la recherche de l'harmonie en soi même comme moteur.

D'autre part, il est vrai que la confiance en D'ieu est un principe fondamental du judaïsme (10). Ainsi, le Malbim écrit (11):
"Lorsqu'il s'agit des éléments décidés par D'ieu... comme ce qui comprend les choses relatives à la généralité, au peuple et au pays, alors, bien qu'il faille que l'homme fasse de son possible afin de préparer les "préparations naturelles" (sic), comme pour une guerre qui doit être préparée par des outils de guerre, des chevaux et des chars, malgré tout le conseil Divin s'accomplit et l'effort de l'homme est vain".

Cela veut dire que la main de D'ieu détermine l'histoire. Cependant, malgré la complexité du sujet et les différents avis qui le régissent, nous devons comprendre qu'il n'y a pas là de dissonance avec le principe du libre-arbitre. Nous devons savoir que malgré les (trop nombreuses?) erreurs humaines, malgré leurs fautes et leur détour du droit chemin, les "yeux" Divins sont ouverts et ce afin de nous diriger vers des buts préalablement définis.
Par conséquent, nous devons penser cette question dans deux aspects: de manière pragmatique-éthique l'homme doit faire tout son possible, tout en sachant que la conséquence finale a été fixée par D'ieu. Ainsi en est-il de la réalité - le mal n'est commis que par l'homme, bien qu'a fortiori, on peut comprendre qu'il s'agissait de la Volonté Divine.
La conclusion principale a retenir est que l'on ne peut pas, ni ne devons essayer de comprendre la Providence, mais il faut savoir qu'elle existe et ne nie en rien le principe du libre-arbitre (11).

J'espère que mes propos sont compréhensibles, si ce n'est pas le cas, je me ferais une joie de les expliciter plus clairement.

Kol touv.

Notes:
(1) T.B. Pessah'im 50a.
(2) Bereshit Rabba, 51.
(3) cf. Guide des Egarés III, 10-12 - sur les causes du mal.
(4) Da'at Tevounot I, 42.
(5) cf. Meh'ilta sur Shemot 14:29; Bereshit Rabba 21,5; Shir HaShirim Rabba 1, 46; Rambam Lois de Teshouva 5,1; Guide des Egarés I, 2 etc.
(6) Emounot veDeot I, chap. 4 (p. 75 de l'éd. Kapah'). Cf. encore id. III, intro. ; Les lumières de l'Eternel (Or H') du Rav H'asdai Crescas, II, 6, chap. 2; Ramak, Sefer HaYashar 1; Pardes Rimonim II, 6; Shiour Koma XIII, 3. Cependant, il semblerait que cela ne soit pas l'interprétation du Rambam dans le Guide III, 13.
(7) cf. Midrash Tehilim 36,4.
(8) Ecclésiaste 7:14 (זֶה לְעֻמַּת-זֶה, עָשָׂה הָ-לֹהִים)
(9) T.B. Avoda Zara 54b.
(10) A tel point que le Gaon de Vilna écrit (comm. sur Proverbes 22:19) qu'elle "comprend tous les commandements".
(11) Si vous lisez l'hébreu, je vous conseille l'article de mon maître le Rav N.E. Rabinovitch, "Al HaShoa VeAl HaTekouma", dans "Darka Shel Torah", pp. 185-191.