Conversation 68745 - Ben Gourion, Herzl et nous!

Davidisaac95
Jeudi 18 avril 2013 - 23:00

Chalom Rav,
je voulais savoir la position que le mouvement sioniste religieux a envers David Ben gourion qui est un individu a caractère polémique la ou je vis.
Polémique parce que bien qu'il a fonder l'état d'Israël il a malgré tout était un anti religieux ! J'ai entendu qu'il avait fait quelque chose de odieux dont je m'en souvient plus tout ça pour construire l'état d'Israël.
Que doit-on répondre a cette question: "comment tu considère David Ben gourion ?"
Je ne parle même pas de herzl qui lui voulais que les juifs se convertissent au christianisme. Merci pour votre patience que vous accorderez à ma question.

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Question envoyée via l'application iPhone

Rav Elie Kling
Mardi 14 mai 2013 - 01:40

Avant de parler sur Ben Gourion, je vous propose de l'écouter raconter ses premiers pas en Erets Israël:
"J'ai une fois travaillé dans un petit village non loin de Zihron Yaakov. Je passais la nuit dans une étable à vaches. Aujourd'hui encore, quand j'y repense, l'odeur des souris et la puanteur du fumier me remontent aux narines. Mais j'étais heureux d'être en Erets Israël.
Une autre fois, j'étais couche avec la malaria et j'appris qu'on allait fêter le 25eme anniversaire de Rishon Letsion. J'avais 40 de fièvre mais je décidais qu'il était impensable que je ne sois pas ce jour la à Rishon Letsion. Alors je suis sorti de mon lit et j'y suis allé a pied. Ma fièvre est tombée et la malaria est partie. Cela m'a paru plus qu'une coïncidence.
Les accès de fièvre revenaient tous les 15 jours avec la régularité d'un pendule. Chaque fois j'allais chez le Dr Stein, le seul médecin de la région. Il me donnait de la quinine mais rajoutait que la malaria ne me quitterait pas tant que je resterai dans le pays. Ce à quoi je répondais que jamais je ne m'en irais d'Erets Israël!
Quand j'avais la fièvre, j'étais incapable d'aller à mon travail. Par conséquent, je n'avais rien à manger. Pendant la journée, ce n'était pas si terrible d'avoir faim et je prélevais sur les quelques sous que j'avais pour m'acheter 2 pitot, que je mangeais l'après midi aux environs de 15:00. Cela m'aidait un peu pour dormir. Quand je me couchais le soir affamé, cela n'allait pas trop mal tant que j'avais encore les yeux ouverts. Mais des qu'ils étaient fermés, j'étais envahi par toutes sortes d'hallucinations: poulet rôti, tartines beurrées, qui me rendaient fou. Alors, j'essayais de garder les yeux ouverts, tout en ayant pourtant terriblement envie de dormir!

Mon père, resté en Pologne, apprit que je mourais quasiment de faim et il m'a écrit de rentrer a la maison. Je lui ai répondu en le priant de ne plus m'écrire de telles lettres et qu'il n'était pas question que je rentre. 15 jours plus tard, il m'a envoyé un peu d'argent. Je le lui ai renvoyé en lui demandant de ne plus m'en adresser. Peut être aujourd'hui, j'aurais accepte cet argent mais pas quand je mourais de faim. A l'époque de la seconde alya, qu'est ce que ca pourrait bien faire si on mourait de faim?"
Maintenant, posons-nous la question, pourquoi cet homme et ses amis étaient-ils prêts à dormir avec les souris et l'odeur du fumier? Pourquoi étaient-ils prêts à mourir de faim? Pourquoi consentaient-ils à vivre en permanence avec la fièvre et la malaria?
Espéraient-ils en tirer un quelconque profit personnel? De l'argent? Du pouvoir? De l'honneur? Absolument pas. Derrière leur abnégation, leur sacrifice, leur volonté, il n'y avait qu'un seul idéal, celui de l'amour de notre terre et de notre peuple! On peut bien entendu ne pas partager leur combat. On peut ne pas souhaiter, pour différentes raisons, que le peuple se prenne en main et organise la sortie de son long et douloureux exil. Nos frères assimilés s'opposèrent vigoureusement à Ben Gourion et à ses amis parce qu'ils pensaient que la mise en place du mouvement de libération nationale du peuple juif faisait le jeu des antisémites. Certains de nos frères pratiquants ainsi que leurs rabbins s'y opposèrent parce qu'ils pensaient que le temps de la Rédemption d'Israël n'était pas encore venu et qu'il n'appartient qu'à Dieu de décider du moment et de la forme que prendra cette Rédemption. Mais tous se doivent de reconnaitre que ces pionniers idéalistes étaient animés par le seul amour de leur pays et de leur peuple! Et à ce titre, ils méritent notre respect même lorsque leur vision du judaïsme peut différer de la notre.
Vous me direz que les gens de votre entourage auxquels vous vous referez n'ont rien contre Ben Gourion le pionnier. L'objet de leurs critiques, c'est Ben Gourion le dirigeant, le premier ministre du jeune état juif. On ne peut juger un roi, un dirigeant, comme on juge un simple citoyen.
Vous souvenez vous du roi Ahab? L'un des pires qu'ait connu l'histoire juive! C'était, nous raconte la Bible, un idolâtre doublé d'un assassin! Non seulement, il favorisa l'introduction en Israël du culte du Baal, cher à Isabelle, son épouse phénicienne, mais il alla jusqu'à assassiner les vrais prophètes. On se souvient aussi comment il laissa sa femme s'acharner sur le pauvre Navot, allant jusqu'à monter de toutes pièces un procès avec de faux témoins. Le malheureux fut exécuté et perdit ainsi les droits sur sa vigne au profit du roi qui la convoitait! Or, pour le Talmud (Sanhedrin 104 b), Ahab a droit au monde futur "à cause de sa conduite sur les monts du Guilad". En effet, Ahab livrait là sa dernière bataille contre les armées syriennes. Touché par une flèche, il resta debout sur son char, malgré la douleur et l'abondante perte de sang. Il ne voulait pas mourir devant ses hommes pour éviter la débâcle sur le champ de bataille. Il tint bon jusqu'au soir, parce qu'il faisait passer l'honneur de son peuple avant sa souffrance personnelle! (cf Rabbi Akiba à ce propos dans Moed Katan 28 b) ainsi que les commentaires de Rachi et de Radak sur Rois I, 22, 35) Et que dire de son père Omri, qui prit le pouvoir lors d'un putsch militaire, et sur lequel il est dit qu'il fit le mal aux yeux de Dieu en suivant en tous points l'exemple du roi Jéroboam qui fauta et fit fauter le peuple pour exacerber la colère de l'Eternel"! Rabbi Yohanan répond ainsi à ceux qui se demanderaient par quel mérite, Dieu le jugea digne de diriger le peuple: "C'est à lui que l'on doit la création d'une nouvelle agglomération hébraïque en Erets Israël: la ville de Samarie". Sans le Talmud, aurions nous imaginé la valeur que peut prendre aux yeux de Dieu la construction d'une nouvelle ville en Erets Israël ou le courage d'un combattant? Qui sommes nous pour décider que telle mitsva vaut plus que telle autre aux yeux du Créateur? Les gens de votre entourage qui dénigrent si facilement Ben Gourion auraient-ils oublié ces lignes de Maimonide: "ce n'est pas la quantité des bonnes et des mauvaises actions qui est déterminante mais leur valeur. Une seule bonne action peut valoir bien plus que de nombreux péchés et une seule faute peut être bien plus grave que de nombreux mérites… Et nous n'avons pas le droit de peser la valeur des actes. Dieu est le seul a connaitre les critères permettant d'évaluer les bonnes et les mauvaises actions" (Lois sur la Techouva, chap 3)
Ce que je viens d'écrire ne signifie pas qu'il faille applaudir des deux mains à chaque fois qu'il nous semble que tel ou tel dirigeant s'écarte du chemin de la Torah. J'ai aussi, comme d'autres, une foule de critiques à l'encontre de telle ou telle politique ou de telle ou telle décision prise par les dirigeants d'Israël, de Ben Gourion a Netanyahou. Et j'ai participe en tant que citoyen a une quantité de manifestations contre le gouvernement. Est-ce une raison pour dénigrer ces hommes ou pour être aveugles devant leurs mérites?
D'autant que ceux qui s'accordent si facilement le droit de juger autrui ont en général une lecture bien sélective de la vie et de ;'œuvre de ceux qu'ils jugent. Je suppose que vous n'avez pas besoin de moi pour dresser la liste des griefs que l'on peut adresser à Ben Gourion. Les gens qui vous entourent vous la fourniront sans difficulté. Permettez moi de rappeler 2 de ses décisions historiques qui devraient suffire a reconnaitre l'étendue de ce que lui doit notre peuple dans son ensemble.
La première est la plus connue. La veille du départ des anglais en mai 1948, les pressions exercées sur B-G furent immenses. Devant la situation militaire catastrophique, la détermination des arabes, la menace imminente de destruction qui planait sur le Yichouv, les appels de l'intérieur comme de l'extérieur, à commencer par l'administration américaine, le pressaient de renoncer à proclamer la naissance de l'état juif en attendant que la conjoncture soit meilleure, en négociant avec les arabes ce que l'ONU avait accordé aux Juifs. Durant la fameuse réunion du 12 Mai, c'est Ben Gurion qui refusa de laisser passer l'occasion historique et qui réussit de justesse à convaincre ses amis de proclamer l'état juif sans plus tarder et malgré les risques. Il avait l'intuition que des atermoiements juifs à la veille du départ des anglais porteraient un coup fatal à l'objectif. Deux jours après, il proclamait la création de l'état et abolissait le Livre blanc britannique, ouvrant en grand les portes de la Alya à tous les juifs du monde. Qui sait ou nous en serions aujourd'hui sans le courage de B,.G?
La seconde est moins connue, mais non moins historique. Alors que Tsahal venait tout juste de naitre, le problème du respect de la Thora à l'armée se posa dans toute son acuité. En pleine guerre d'indépendance, 2 cuisiniers avaient été punis par les autorités militaires pour avoir refusé de cuire les repas pour les combattants un jour de chabbat. Au conseil des ministres qui se réunit pour discuter de la chose, les représentants religieux et laïques se mirent d'accord pour créer des bataillons religieux où la Thora serait respectée. "Qu'ils prient toute la journée, s'ils le souhaitent, s'était exclamé le représentant du Mapam ultra-laïque, qu'ils mangent des plats de chabbat toute la semaine, s'ils le veulent, mais qu'ils ne nous imposent rien dans les autres casernes militaires!". Ben Gourion s'emporta: "Il n'y aura pas dans l'état Juif une armée pour les religieux et une armée pour les non religieux. Nous avons assez souffert de nos divisions lors de notre dernière indépendance, du temps du deuxième Temple! Puisque le soldat religieux ne peut manger que cachère et que le soldat qui ne l'est pas peut aussi manger cachère, toute l'armée mangera cachère! Puisque le soldat religieux n'a pas le droit de s'exercer le jour du chabbat et des fêtes et que le soldat non observant a le droit de se reposer chabbat, il n'y aura aucun exercice le chabbat à l'armée, pour personne! Je demande au Rav Goren ici présent de préparer des consignes qui auront la force des ordres d'état major afin que Tsahal respecte les lois de la Thora de telle sorte que tout soldat religieux puisse servir dans n'importe quelle unité! Il y aura des synagogues dans chaque caserne, deux batteries de cuisine dans chaque cuisine et s'il le faut, nous cachériserons les cuisines avant chaque fête de Pessah'! Il n'y aura qu'un seul Tsahal dans l'état juif!" Le jour même, la punition des 2 cuisiniers fut annulée et les premières instructions concernant le respect de la Thora à l'armée juive furent annoncées!
On peut combattre l'idéologie de quelqu'un sans pour autant dénigrer l'homme, surtout si, comme pour BG, il s'agit de quelqu'un qui consacra sa vie a son peuple. J'en aurais autant a dire sur Herzl mais cette réponse a depuis longtemps dépassé les limites raisonnables des réponses de Cheela. Je me contenterais de dire que votre dernière phrase le concernant : "Je ne parle même pas de Herzl qui lui voulais que les juifs se convertissent au christianisme", est, pour le moins, …. réductrice! Je vous conseille de lire attentivement l'ouvrage de Georges WEISZ : "Theodore Herzl, une nouvelle lecture" paru chez l'Harmattan, et de reformuler ensuite, si vous le souhaitez, votre question.
Cordial Chalom!