Conversation 70214 - Adam parlait-il araméen ?

Bibliste
Dimanche 7 juillet 2013 - 23:00

Shalom,

Actuellement en recherche d'informations à propos des liens entretenus entre les Juifs et la langue araméenne, je découvre dans le Talmud de Babylone (Sanhédrin 38b) la déclaration suivante : Rav Juda a aussi dit au nom de Rav : « Le premier homme parlait araméen, ainsi qu’il est écrit : “Mais pour moi, ô Dieu, que tes pensées m’accablent !” »
Ma question est la suivante : comment Rav explique-t-il qu'Adam parlait araméen sur base de ce verset du Psaume 139 ? Ne disposant dans ma bibliothèque que de commentaires de la Torah, je me suis tournée vers Rashi dont le commentaire est disponible en ligne mais il ne commente pas ce verset. Je ne vois rien non plus dans le texte massorétique qui puisse être un indice me permettant de saisir le sens de ce propos.

Je vous en prie, aidez-moi à comprendre cette exégèse qui me paraît totalement obscure mais qui, j'en suis sûre, se révélera être un enseignement de valeur.

Rav Samuel Elikan
Mercredi 10 juillet 2013 - 08:06

Shalom,
Le verset en question dans Tehilim (139, 17), en hébreu dans le texte se dit "veli mah yakerou re'eh'a el" - "וְלִי מַה יָּקְרוּ רֵעֶיךָ אֵל" et il faut relever que tout ce psaume parle de manière condensée de toute l'histoire d'Adam.
Le Rav Yaakov Ettlinger dans son Arouh' LaNer (ad loc.) explique que le terme "yakerou" signifie quelque chose d'honorable (kavod) et ce terme de "yakar" dans le sens d'honneur provient de l'araméen, en effet Onkelos traduit toujours le terme de "kavod" par "yikar", de plus, dans le Talmud (TB Meguila 9a) aussi on voit qu'il en est ainsi, en effet, Rav Nah'man bar Itzh'ak dit "et toutes les femmes donnèrent du "yikar" à leur mari" ce qui signifie qu'ils leur donnèrent de l'honneur, du respect, de l'importance. Donc, selon le Rav Ettlinger Adam parlait également l'araméen et pas seulement l'hébreu (que l'on voit qu'il use dans les autres termes du verset - li, ma, re'eh'a, etc.), parce qu'il a usé du terme "yikar".
Le Rav Meïr Aboulafia (dans son Yad Rema, ad loc.) donne la même explication que le Rav Ettlinger (qu'il n'a évidemment pas vu, lui précédant de plusieurs centaines d'années...), mais sa preuve est différente - il apprend cela d'un verset dans Ezra, chap. 4. En outre, il donne une deuxième explication - le terme "re'eh'a" viendrait aussi de l'araméen, comme on le voit dans Daniel, chap. 2, dans un verset également attribué à Adam HaRishon (cf. resp. Teshouva MeAhava (Falklash) OH 198; resp. Beit Efraim 70; Rosh Divrei Shi"r (Teheran, 5637), lettre 46 qui dit que ça vient du mot "re'aya" (en araméen), etc. cf. encore dans Margaliot HaYam, p. 158-159).

Quoi qu'il en soit, le Rav Yonathan Eybeschütz (Ye'arot Devash II, droush 13) écrit que l'hébreu ne pouvait être parlé qu'avant la faute de l'arbre de la connaissance, et par conséquent, après cela, Adam est descendu de son niveau originel et oublia l'hébreu, il ne parla donc plus que l'araméen. Donc, pour lui, l'araméen proviendrait de l'hébreu qui fut un beau jour oublié.

Le Rav Reouven Margaliot (Margaliot HaYam, p. 158, lettre 17) écrit que le verset forme l'accrostiche ARAMI ("וְלִי מַ'ה יָּ'קְרוּ רֵ'עֶיךָ אֵ'ל").

Si tout cela n'avait pas été dit, j'aurais éventuellement proposé une autre lecture de la guemara. Rav Yehouda ne dit pas au nom de Rav qu'Adam HaRishon parlait en araméen ("diber"), mais bien qu'il racontait ("siper"). Et il y a là une différence notoire. Ce dernier terme, le fait de "raconter", a une connotation vernaculaire, c'est-à-dire qu'il s'agit de propos dont le contenu n'est pas "saint". Le terme de "dibour" - parole, signifie la force de la parole, la capacité de parler. L'homme, même seul, peut parler, alors que le terme de "raconter" sous-tend un autre qui le comprend. Il s'agit donc d'une discussion triviale, quotidienne. En cela, la traduction du rabbinat correspond bien à l'exégète de nos Sages: "que Tes pensées m'accablent...", elles m'accablent car elles m'empêchent de communiquer, elles m'astreignent à cette langue (l'hébreu) et à la responsabilité qu'elle sous-tend. De là, vient Rav Yehouda et nous enseigne que de cette plainte on apprend qu'il parlait un autre langage (autrement de quoi se plaindrait-il?) - celui de l'histoire, du récit, moins astreignant, plus léger, plus humain, moins Divin, l'araméen.
Je dis que la traduction du rabbinat correspond bien à cela, en effet, je ne crois pas que ce soit le sens littéral du verset, celui compris de prime abord, qui serait plutôt: "Comme elles me sont chères, tes pensées, ô D'ieu".
En résumé, nos Sages nous enseignent ici, plus qu'autre chose, la profondeur du langage humain et sa distance, d'une certaine manière avec le langage Divin, à tel point que cette recherche de l'autre explique la suite de la guemara, Adam a vu tous les justes après lui, etc.
En espérant avoir quelque peu aidé,
Kol touv