Conversation 70738 - Du miel dans l'encens

Raphael424
Mercredi 31 juillet 2013 - 23:00

Shalom Rav Elikan,

En lisant les ketoret tous les jours ( pratiquement ) je me suis toujours demandé : pourquoi ne pouvaient t-on pas rajouter du miel dans l'encens ?
Je sais bien qu'il y'a aussi marqué "nulle espèce de levain ni de miel ne doit fumer, en combustion, en l'honneur d'Hachem" mais j'aimerais savoir quelle leçon en tirer de cette interdiction, et quelles sont les différentes interprétations de nos Maitres ( si ils y'en a bien sur)

Merci de bien vouloir m'éclairer afin qu'a l'avenir je ne lirais plus ce passage de manière superficiel et merci pour votre investissement sur le site :)

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Rav Samuel Elikan
Vendredi 11 octobre 2013 - 04:46

Shalom,
Désolé du temps de réponse.
Avant de traiter de l'interdit de fumer le miel (ainsi que le levain) pour D'ieu, cité explicitement dans la Torah (Vayikra 2:11) et qui est à la base de l'énoncé dans la parasha du Ketoret – qu'il est interdit d'y mélanger du miel, il nous faut comprendre quelles sont les raisons de la Ketoret (l'encens qui était fumé quotidiennement). On la fumait tous les jours, à deux reprises, matin et après-midi (1).
On peut recenser, parmi les commentateurs, quatre raisons à ce commandement.
1. Le premier consiste à honorer D'ieu (kevod H'), non pas par l'odeur réelle, mais par le fait d'accomplir Sa Volonté, cela "L'apaise", c'est un acte de respect, d'honneur (2).
2. Le second consiste dans le fait de parfumer le Temple pour les gens venant offrir leurs sacrifices, etc. afin d'embellir le lieu à leurs yeux (kevod Hamikdash), afin que celui-ci sente bon (3).
3. Le troisième est pour enlever la senteur méphitique que les autres sacrifices provoquent, peu importe si quelqu'un sent ces odeurs ou non et peu importe si finalement ça sentira bon, c'est moins pour les gens que pour le Temple: il ne faut pas qu'il ne sente mauvais (4).
4. Le quatrième, qui est sujet à discussion, est qu'il s'agit d'un "test" pour vérifier l'identité des Kohanim. Si un homme qui n'était pas vraiment prêtre venait à fabriquer de l'encens serait "consumé" sur le champ, un peu comme Korah' et ses hommes (5).
Pour revenir au verset en cause, dont les différentes retombées sont traitées par nos Sages dans le Talmud (6), le Sefer HaH'inouh' (7) écrit que "les sources de ce commandement sont tellement "voilées" qu'on ne peut même pas en découvrir une allusion minime". Et pourtant… ce ne sont pas les explications qui manquent, lui-même en citant plusieurs. Le Rambam dans le Guide (8) écrit que c'est pour nous éloigner de l'idolâtrie, puisque les idolâtres brûlaient le miel pour leurs idoles (9). C'est également l'opinion de Ramban et Rabbeinou Bah'yei dans leur commentaire sur le verset qui rapportent ses propos.
Rabbeinou Bah'yei rapporte cependant une raison supplémentaire à cet interdit selon la Kabala – le miel, ainsi que le levain feraient allusion à la mida, la valeur, de la Rigueur, le Din. Pour une explication plus en profondeur de cette raison – voir le Recanati ad loc.
Il existe encore de nombreuses autres raisons notamment liées au fait de saler le sacrifice (10), ou encore que le miel et le levain symbolisent le yetzer hara – le mauvais penchant (11). Cependant, le Kil Yakar (ad loc.) ajoute: "Tous les désirs de ce monde-ci sont nécessaires – et en quantité (trop grande) ils nuisent. Voici donc le conseil à suivre: utiliser le nécessaire et "excommunier" le surplus… Et ces deux là (le miel et le levain) sont nécessaires à l'homme. Car s'il n'utilise pas ses besoins nécessaires appelés "miel" il mourrait, ses membres n'étant pas forts et en bonne santé pour accomplir les devoirs Divins. En effet, sans mauvais penchant l'homme ne pourrait pas se marier ni construire une maison et le monde serait détruit (12). Et ces deux là (le miel et le levain) précèdent, dans le temps, à l'étude de la Torah, car si l'on ne mangeait pas d'abord du pain, il n'y aurait pas de Torah. La préséance de la Torah réside dans sa valeur et dans la métaphysique. Et du fait que le levain et le miel que nous avons rappelé ne sont pas "entiers"(c'est-à-dire, je pense, qu'ils abîment le sacrifice, car ils provoquent des "trous" par leur mélange) ne peuvent être sacrifiés ensembles en fumée, car le sacrifice doit être "premier", intègre, selon la préséance de la valeur. Ainsi, seulement à Shavouot, jour du don de la Torah, on peut les sacrifier ensembles, lorsqu'il y a un dévoilement de la Torah comme remède (13)".
Dans ce même ordre d'idée, on peut lire chez le Rav Kook que le miel symbolise les bonnes choses desquelles il ne faut pas abuser, la nécessité d'une limite (14).

Vous pourrez trouver encore beaucoup de littérature sur le sujet, je vous invite à lire (en hébreu) les avis des différents commentateurs recensés par le Rav Yehouda Nah'shoni, dans son "Hagout BeParashiot HaTorah", c'est le deuxième article sur la parasha de Vayikra.

Kol touv.

Sources:
(1) Cf. encore Rambam, hil. Temidin ouMoussafin, chap. 3 et hil. Klei HaMikdash, chap. 2.
(2) Rav Itzh'ak Areima, Akeidat Itzh'ak, portique 48 et comp. avec Kouzari II, 26; Rav Saadia Gaon, Emounot veDeot, III (comp. avec Shadal, Yessodei HaTorah, 49); Abarbanel, comm. sur parashat Terouma.
(3) Rambam, Guide des Egarés III, 45; Rashbetz, Maguen Avot III, 56; Sefer HaH'inouh', comm. 103.
(4) Rambam, id.
(5) Ma'areh'et Ta'amei Mitzvot, s.v. Ketoret – il s'agit d'une petite brochure imprimée en 1900 à Cracovie, ses propos sont ramenés et discutés dans Sefer Ta'amei HaMitzvot, Yad Shlomo, t. II, p. 72-76.
(6) TB Menah'ot 56b-58a. Il est à noter qu'il existe une discussion quant à la nature du miel dont il est question - devash en hébreu est généralement traduit par "miel" ; ici cela dénoterait tout fruit sucré (Rashi sur la Torah, ad loc. et Toss. Mei'la 12b s.v. Kol) et spécialement le miel de date (Rashbam, id. et sur Baba Bathra 79a s.v. Ilan ; H'inouh', comm. 117; cf. TB Menachoth 84a; Yerushalmi, Bikkurim 1:3). D'autres cependant, pensent qu'il s'agit uniquement de miel d'abeille – cf. Rambam, hil. Issurey HaMizbeach 5:1 ; Mishneh LaMelekh, ad loc. ; Sefer Hamitzvoth, comm. nég. 98; cf. Mah'shirim 6:4.
(7) Comm. 117.
(8) III, 46.
(9) cf. Midrash HaH'efetz, rapporté dans Otzar HaMidrashim, p. 19
(10) Tossafot dans Da'at Zekenim, ad loc. ; cf. Rav S. R. Hirsch, ad loc. pour une explication extraordinaire quant au temps où il est permis de les mélanger et celui où c'est interdit – le levain et le miel symbolisant l'autonomie, ils ne peuvent être offerts qu'en accompagnement, mais pas tous seuls, il ne peuvent pas non plus être mélangés car sinon ils prendraient trop de place.
(11) Yalkout Teimani, manuscrit, rapporté dans Otzar HaMidrashim, Vayikra, p. 19 ; Midrash Lekah' Tov, rapporté id. ; Sefer HaH'inouh', préc. cit.; Rabbeinou Bah'yei, Kad HaKemah', s.v. Pessah', rapporté dans les notes du Rav Shavel à Rabbeinou Bah'yei sur Vayikra 2:11; Ba'al HaTourim, Kli Yakar et Ha'Amek Davar ad loc.; Maharal de Prague, Les Hauts-Faits de l'Eternel (Guevourot H'), chap. 51.
(12) Il reprend en cela une idée de nos Sages, cf. TB Yuma 69a; Bereshit Rabba IX, 8; etc.
(13) Selon le Talmud (TB Kidoushin 30b): D'ieu dit au Peuple d'Israël, "mes enfants, J'ai créé le mauvais penchant et je lui ai créé la Torah comme remède".
(14) Iggrot RA'IaH I,158 écrite à l'ouverture de l'école "Betzalel" (pour les hébraïsants:
לכללות חמדת היופי האמנותי, המתגשם ביצירות מעשיות, מעשי ידי אדם, מתיחש עמנו לעולם ביחש טוב וחביב, אבל גם מוגבל. נזהרים אנחנו משכרון והפרזה, אפילו מהדברים היותר נשגבים ונעלים. הצדק הוא נר לרגלנו, ואנחנו קוראים במקרא קודש "אל תהי צדיק הרבה". החכמה היא אור חיינו, ואנחנו אומרים "אל תתחכם יותר", "אכל דבש הרבות לא טוב". זהו הכלל המקיף את כל חוג חיי עם עולם. מעולם לא נתמכר לאידיאה פרטית אחת במדה זו, עד שנהיה טובעים במצולותיה עד לבלי יכולת לתן לנו קצב ומדה להרחבת ממשלתה. אמנם ההגבלה כשבאה, לצורך דברים טובים ונעלים לעצמם, היא דקה ורכה, ענוגה רפה, "סוגה בשושנים". "אפילו בסוגה של שושנים לא יפרצו בה פרצות", ודי לה לכנסת ישראל גדר של שושנים, קו אחד חשוב, חוט-סיקרא אחד, שרטוט אחד הנושא עליו את חותם ההגבלה, להאידיאה הנכבדה, מצד מה שלמעלה הימנה, מצד הכללות העליונה. "כי גבוה מעל גבוה שומר וגבוהים עליהם". לפעמים בנקודה ניכרת אחת היא מבעת את רוחה ומגיעה לחפצה, מבלי לפגם את החפש של כל אוצר מיוחד שברוח האדם על ידי רתוקי-ברזל וחומת-סינים...
גם אחרי הנצחון הגדול, שנצחה היהדות כמעט את האלילות, על מרומי העולם הקולטורי, השאירה לה כנסת ישראל קו אחד לאות עולם, על גבורת ישע ימינה, - על פי התורה הכתובה והמסורה. קו כזה, אשר גם בעת תקטן מדת ארכו ע"י שערי בינת ההוראה המתאמת עם צרכי החיים, במובנה הנכון הריאלי והאידיאלי, מכל מקום גם תחת מחבא הנקודה האחת, אשר לאורך ימים תשאר, יתכנס כל הרוח האדיר והגדול, המבטא את עז נצחונה בעבר, ואת אדיר תקותה לעתיד.
כל המרחב הגדול של הנוי וההידור, היופי והציור, מותר לישראל. רק קו אחד, שרטוט אחד, הנראה לכאורה ארוך הרבה, אבל באמת הוא גדול רק באיכותו, ולא בכמותו. הוא אומר הרבה ברוחו, אבל רק מעט הוא פוגם את החרשת והאמנות, למרות כל המגמות האדירות שלו: "כל הפרצופים מותרים חוץ מפרצוף אדם". אמנם רק פרצוף אדם בתמונה בולטת ושלמה, וגם על זה ישנם דרכי בינה, להעזר על ידי חברת אומן עוזר שאינו בן-ברית, לעת השכלול האחרון של התמונה המיוחדת, שבה נמצאים תנאי האיסור, אמנם רק נקודה קטנה תשאר מכל הקו הארוך, אבל מה רבו מחשבותיה: התמונות המיוחדות לאליליים, בין בעולם האלילי העבר וההוה, ובין בעולם הנוצרי, תתעב כנסת ישראל ולא תוכל שאתם).