Conversation 72416 - Comment étudier ?

dave12345
Jeudi 7 novembre 2013 - 23:00

Bonjour

J'ai eu un chiour d'un rosh yeshiva, rav Israelien aujourd'hui dans mon kolel .
Il semblait dire (en resumé), que le ikar du dereh alimoud est d'etre méayène , profondément, quitte à peu avancer, que la qualité (diyoukim, piroushim, pilpoulim), amènent à la gadloute balimoude, bien plus que celui qui étudie "rapidement" et n'est pas meayene "comme il le faudrait".
Il avait l'air d'aller dans le sens de certaines shitot, où rester 3 semaines sur 4 lignes (j'en rajoute un chouya peut etre !) ne serait pas tellement problématique. Bien au contraire, tant le ikar de la lomdoute est d’être meayene et aller dans les profondeurs de la sougya, et non pas d'avancer avec un premier regard sur la sougya, quitte a y revenir ensuite .
Ses propos m'ont éveillé quelques cheelotes, pour les raisons suivantes : - après avoir parlé avec un autre rav, qui m'a bien expliqué que le rav Shah' alav ashalom était tout a fait contre ce dereh' de limoud, et m'a ramené un meamar d'un sefer qui s'appel "Sheifot" (qui traite du limoud et du amal batorah), d'un certain rav Itzhak lepkovic (ou quelque chose du genre), ramenant un maassé avec un bahour très meayene, qui a la fin du zman n'avait fait "que" 10 ou 15 dapim en iyoune, se sentait brisé car il voyait qu'au final il ne lui restait rien de son limoud, alors qu'il étudiait constamment dans ce dereh : pilpoul, diyouk, piroush, al kol chourot véchourot.
Le rav Shah' lui a donc répondu que c’était la tahout du dor et que au contraire, il fallait avancer bien plus vite pour avoir une tfissa dans son limoud, et pour ne pas se sentir vide et brisé à la fin d'un zman (il rajoutait même que personne ne l'avait écouté sur ce point).

J'ai d'autre part parlé avec un ami qui a fait plusieurs année à Poniovitch, et qui me disait que la cadence était d'un demi amoud par jour en iyoune, et que malgré ça ils n'arrivaient pas a la moitié de la cadence des dorot passées (selon ce que leurs racontait les talmidim de rav Auerbach)...

Je vois donc que ce n'est pas si clair, je vous demande donc : Pour retenir et intérioriser un maximum son limoud (et etre nééné de son limoud), doit on "avancer vite" (chita du rav chah), ou être très meayene (comme ce rav, dont je ne cite pas le nom, aucune tohélete) disait ???

1. Quelles sont les chitotes connues à ce sujet ?
2. Quelles sont leurs taanot ?
3. Quel est votre avis personnel ?

Merci de répondre a cette question qui me tient très a cœur, j'aurais à première vue posé ma question a rav bloch ou rav elikan, dont les réponses me conviennent quasiment tout le temps, mais je me dis que peut être y'a t'il un rav encore plus baki sur le sujet, et qui a lu beaucoup de choses sur le sujet, ce qui sera, j'en suis sur, à même de m’éclairer.

kol touv

Rav Samuel Elikan
Dimanche 10 novembre 2013 - 08:47

Shalom,
La Torah constitue l'alliance qui unit D'ieu et le Peuple Juif, ainsi le sens premier de l'étude réside dans le lien que cette alliance permet.
Nos Sages appellent la Torah Orale "mystorin" (mystère), c'est-à-dire l'intimité entre D'ieu et le Peuple d'Israël et ce n'est pas en vain que nos Sages expriment leur amour pour la Torah, dans de nombreux midrashim, par des métaphores inspirées de la vie de conjoints (cf. p. ex. TB Erouvin 54a et Yuma 29a, etc.).
De nos jours aussi l'étude doit nous apporter de la joie. Il est intéressant de noter que la halah'a fixe que quiconque n'a pas récité les bénédictions de la Torah s'acquitte de ce qu'il dit dans la bénédiction d'Ahava (Amour) précédent la lecture du Shéma. Cet amour précède l'étude et l'engendre bien souvent. De plus, il nous faut comprendre qu'il y a un lien entre ce sentiment d'intimité, d'amour, d'alliance avec D'ieu, via l'étude de la Torah, surtout Orale, et entre la méthode utilisée à cela.
Pas toutes les manières d'étudier sont promptes à l'alliance.
[Selon cela, on comprend pourquoi nos Sages nous disent qu'un non-juif étudiant la Torah serait "passible de mort" (TB H'aguiga 13a et Tossafot ad loc, Sanhedrin 59a; cf. Shevet Halevi II,59), en effet, n'étant pas encore lié à cette alliance cette étude ne peut guère amener à l'intimité voulue (je pense que c'est cette idée qu'a voulu exprimer le Mah'ane H'ayim II HM 49 en disant que c'est parce qu'il "vole" la Torah).]
[Selon cela, on comprend aussi pourquoi Rabbi Zeira en arrivant en Israël dut jeûner 100 jeûnes afin d'oublier la méthode babylonienne d'étude (cf. TB Baba Matzia 85a), en effet, le lien à D'ieu étant différent en Israël, de par la sainteté des lieux, la méthode d'étude doit aussi y être différente].
Pour cette raison, certains rabbins comme le Rav Y.L. Bloch, rosh yeshiva de Telz, justifièrent le "pilpoul". Cela ressemble, affirment-ils, à une création artistique. Sa "vérité" n'est pas physique ou philosophique, ni esthétique. L'imagination artistique peut permettre un espace vital, vide, à l'intérieur duquel peut résider la Vérité Divine, un Infini sans frontières. Pour cela, disent-ils, il faut s'affranchir de l'esprit pragmatique, et utiliser le pilpoul. Il ne s'agit pas seulement d'esthétique cognitive, mais plus de connaissances d'un monde supérieur, plus imaginaire, plus Divin.
Pas loin de cela, un rabbin rationaliste, comme Rav Israël Salanter, justifia également le pilpoul et un yioun très approfondi, en s'éloignant par cela du Beit Midrash lithuanien, dans la mouvance du Gaon de Vilna, plus pragmatique, duquel il provenait. Cependant, pour lui, ce pilpoul n'avait de sens justement parce qu'il ne se limitait pas à quatre lignes, au mot écrit, mais était une quête de sens, de comparaison entre de nombreux passages. Pour lui s'attarder sur ce qui est écrit, sans aller au-delà, par peur "religieuse" devient vite inintéressant et plat, à un niveau religieux aussi.
Toutefois, ces approches peuvent vite devenir un moyen de faire dire au texte ce qu'on veut dire et d'oublier le mot écrit, son sens originel et son contexte.
Face à ces approches, il y a une approche "objectiviste" qui cherche à savoir de manière objective ce qui a été dit, fait, etc. Cette approche ne permet malheureusement pas de comprendre, de manière existentielle et de s'impliquer dans le texte. Cela devient vite fatiguant et on n'a aucun plaisir, si ce n'est la joie intellectuelle d'avoir appris quelque chose de nouveau à en retirer... C'est très loin de l'alliance et de l'idéal de l'étude.
Rabbi H'ayim de Volozhin a tenté, dans son livre Nefesh Hah'ayim, parle du fait que notre étude influe sur des mondes "supérieurs", spirituels, en gros sur le monde entier. Lorsqu'on étudie, ressent-on cela ? Ce n'est pas évident...
L'essentiel dans l'étude, je pense, c'est de trouver notre voie, de trouver le rythme qui nous convient, afin de ressentir que cette étude nous rapproche de D'ieu, nous unit à Lui, qu'on touche là à l'Alliance même. Si ce n'est pas le cas, comme cet étudiant que vous citez qui, malgré une grande étude approfondie se sentit mal, c'est qu'il y a quelque chose à changer. Il faut savoir aussi que l'homme est dynamique et qu'il y a des périodes différentes dans la vie. Parfois on préfère étudier vite, d'autres fois on préfère approfondir. Toutefois, on ne peut pas ressentir ce lien à D'ieu par l'étude si on n'approfondit pas. La question est juste de savoir combien et comment faire pour que cette étude nous touche à des niveaux existentiels, qu'on s'y sente complètement impliqués. Il est clair qu'il y a un avantage à connaître toute la Torah, même de manière "non-approfondie", mais ce n'est qu'un stade pour l'approfondir. Si on ne creuse pas de tout, on ne comprendra jamais vraiment rien et c'est plutôt dangereux. En outre, le contraire est vrai aussi. Par exemple : si vous commencez à creuser la signification de la lettre shin, vous l'étudiez durant deux semaines, puis pareil avec la lettre lamed - vous n'arriverez jamais au mot "shalom" et aurez beaucoup de peine à relier tout ce que vous avez vu pour donner une signification à ce mot.
Bref, il faut trouver le juste milieu, chacun selon sa voie.
Bonne chance !

dave12345
Samedi 9 novembre 2013 - 23:00

Par rapport à la question 72416.
Merci de votre reponse, mais ce n'est pas vraiment ce que j'attendais.
Vous avez plus eu tendance a m'expliquer quelle est l'approche qu'on peut avoir avec le texte, or ma question serait de savoir (à travers des ma'amarim ou des exemples de la torah ou de la guemara): QUELLE CADENCE PERMET JUSTEMENT D'ARRIVER A S’ÉPANOUIR ET A RETIRER CE FAMEUX KECHER sublimé, avec D.
La torah parle de tout, tous les sujets sont envisagés, j'imagine donc que des conseils ont étés donnés sur la cadence et le degré d'approfondissement qu'on doit avoir avec un texte en iyoune (est il progressif ? ou bien doit on dès le début creuser ? Par exemple j'ai des amis qui, avant de commencer a creuser une sougya en iyoune, ils la "déblayent" un peu comme on le ferait en bkiout, pour arriver par la suite à revenir dessus avec moins de problèmes vu qu'ils connaissent la suite).
Par exemple ne me dites pas qu'a Porat Yossef on se satisferait d'un rythme aussi rapide qu'on le voit dans les yeshivot aujourd'hui, où les étudiants jonglent entre le kobetz mefarshim et avancent aussi la sougya rapidement, comme je vous le répète, ils avaient apparemment une cadence qu'ils appliquaient, parce qu’ils jugeaient justement que cet "épanouissement du lien avec Hachem" que vous avez l'air de décrire, passait par là ...
Certes, je suis d'accord vous me direz "chacun sa cadence, chacun essaiera de creuser pour en retirer un kesher avec hachem", ce que je vous demande justement c'est : quelle est cette hanagua que nos guedolim (modernes ou plus anciens) ont conseillés, afin justement de ressortir quelque chose du limoud pendant un zman (comme un peu ce que je vous ai ramené du rav chakh).
Je sais pas si j'ai été clair ou plutôt brouillon dans ma demande, si c'est le cas merci de me le dire pour que j'essai d’être plus explicite.

Rav Samuel Elikan
Lundi 11 novembre 2013 - 07:04

Shalom,
Je n'ai pas très bien compris ce que vous voulez savoir, ou plutôt je ne sais pas ce que je peux vous répondre. L'essentiel de l'étude étant le lien que celle-ci nous permet avec la spiritualité - et la cadence pour arriver à cela variant d'un individu à l'autre, selon ses capacités, comme vous le notez - je ne vois pas ce que je peux vous dire de plus.
Il y a effectivement, comme vous l'avez dit, plusieurs opinions, plusieurs "manières" d'étudier, plusieurs écoles.
Certaines prônent une étude plus axée sur la halah'a (la'asoukei shmateta aliba dehilh'eta), par conséquent l'étude de la guemara n'est qu'un moyen mais pas une fin, par conséquent il est inutile de trop s'y attarder - dès que la chose est suffisamment claire on continue, alors que d'autres, comme Brisk, prônent la recherche de la conceptualisation (moussag) et donc vont approfondir le plus possible chaque notion, pendant des jours voire des mois jusqu'à ce que chaque notion soit limpide. Ils pensent que plus c'est conceptuel et élevé - plus on s'approche de D'ieu. C'est la différence entre une étude dont le but est plus pragmatique et une autre dont le but est plus conceptuel. Mais dans les deux cas, la cadence variera d'un individu à l'autre, comme vous l'avez noté...
Bevirkat HaTorah,