Conversation 72522 - Genealogiquement parlant

arouas.david
Samedi 16 novembre 2013 - 23:00

Bonjour,

Je voulais vous poser une question qui me tracasse depuis toujours: A quoi servent les généalogies dans la Thora? Comme par exemple les généalogie entre Adam et Noah, entre Noah et Avraham? Qu'est ce que ça peut bien nous faire tout cela? En quoi est ce que leur âges, l'âge où ils ont enfanté etc..nous intéresse? De même dans Vayichlah on nous fait tout un listing des générations d'Essav, de ses rois etc..Franchement mais qu'est ce qu'on s'en fiche? La Thora est avare en mot? J'en ai vraiment vraiment pas l'impression!

J'ai lu ce que dit le Rambam dans le Moré dessus, vraiment c'est loin d'être convaincant...

Merci d'avance

Rav Samuel Elikan
Mardi 26 novembre 2013 - 13:02

Shalom,
De manière générale les listes de descendance sont là pour nous apprendre des choses importantes (cf. p. ex. Rashbam sur Bereshit 36:9; etc.) et permettre une certaine chronologie logique.
Je vais essayer de lister, de manière vraiment non-exhaustive la raison des généalogies d'Essav qui semble superflue.En effet, il existe différentes approches relativement à ces listes généalogiques, mais la question se pose surtout sur l'utilité des descendants d'Essav qui, a priori, n'est pas lié à l'histoire du Peuple Juif, dont la Torah parle. Cette question est déjà posée par nos Sages dans le midrash (Tanh'ouma Vayeshev 1), parfois dans des termes "intéressants": "pourquoi tant de peaux autour de l'oignon ?" (Bereshit Rabba 82,12).

Première approche - les défauts d'Essav
A cette question, le midrash (id.) répond: "pour dévoiler les mamzerim (bâtards) parmi eux. Le midrash Tanh'ouma (préc. cité) va dans le même sens en nous disant que c'est pour nous apprendre leurs "défauts" (traduction douce du terme "nivoulam"). Pour bien comprendre cela, je vous invite à regarder dans le commentaire de Rashi sur le chap. 36 de Bereshit où l'on voit bien (en regardant attentivement) dans les versets 2,5,11,12,14,16,22,24 qu'on nous apprend le fait que des enfants d'Essav sont "mamzer" (cf. Hadar HaTorah, sur Bereshit, p. 221-223 du Rav Eitan Shandorfi).
Il y a encore plusieurs points qui montrent les défauts d'Essav:
- Il a pris des femmes de Canaan (36:2), malgré l'interdiction d'Avraham (Bereshit 24:1-9) et d'Itzh'ak (28:1-2,6) et le fait bien souligné par la Torah qu'Itzh'ak (chap. 24 et 25:20) et Yaakov (28:7-10) ne se sont pas mariés avec des Cananéennes.
- Essav a nommé sa femme Yehoudit (26:34) éventuellement pour tromper son père (Rashi sur 36:2 s.v. Aholivama) en affirmant qu'il s'agit d'une femme juste.
- Essav a précédé ses femmes à ses enfants, à l'opposé de Yaakov qui fait précéder ses enfants à ses femmes (31:17) - cette asymétrie montre le but du mariage et la place des enfants. Pour Essav, nous enseignent nos Sages, les enfants sont un poids qui est traité à la fin, il se marie surtout pour le plaisir (Rashi sur Bereshit 31:17 et Bereshit Rabba 74,5).
- Essav était polythéiste (cf. Rashi sur Bereshit 46:26 selon Vayikra Rabba 4,6) et on l'apprend du fait qu'il est écrit "nefashot beito" (36:6) à l'opposé de Yaakov dont la famille, au même moment, est plus grande et dont on parle au singulier "nefesh" (Bereshit 46:27 et Shemot 1:5).

Seconde approche - la grandeur des Patriarches et l'accomplissement de la promesse Divine pour et par eux
Le Radak écrit (36:19) que la raison pour laquelle la généalogie d'Essav est rapportée est pour faire honneur à Itzh'ak, tout comme la généalogie d'Ishmaël est écrite pour faire honneur à Avraham. C'est également l'avis du Ralbag (dans le Be'our, chap. 36 verset 1 et cf. aussi dans les To'aliot, fin de la 12ème to'elet) qui explique en plus qu'il s'est marié avec des femmes importantes du pays par le mérite de son père et de son grand-père qui étaient des hommes importants au niveau politique.
Cette même idée se retrouve en détail dans les propos de nos Sages (Bereshit Rabba 82,13).
Rabbi Avraham fils du Rambam (dans son comm. sur 36:12 et 15) explique que chez les habitant de Se'ir, seuls des hommes extrêmement puissants et influents recevaient le titre "Alouf", on voit bien, dit-il, que parmi les enfants de Se'ir seuls 7 personnes eurent ce titre, alors que les enfants d'Essav et leurs enfants à leur tour le reçoivent tous, car ils étaient reconnus du fait qu'ils étaient les descendants d'Avraham et d'Itzh'ak.
De manière similaire le Ramban écrit (36:31) que cette généalogie nous prouve que la bénédiction d'Itzh'ak "tu vivras de ton épée" (27:40) s'est effectivement réalisée.

Troisième approche - la justice Divine
J'ai bien compris que vous avez lu le Rambam dans le Moreh Nevouh'im (III, 50), mais je crois qu'il est bon de revenir sur ses propos pour bien les comprendre. En effet, il dit qu'il s'agit de "secrets de la Torah que de nombreuses personnes n'ont pas compris". Il explique que toute chose qui est écrite dans la Torah a forcément une utilité: soit authentifier un principe fondamental de la Torah, soit "réparer" un acte, afin qu'on ne se fasse pas de mal l'un envers l'autre. Selon lui, nous avons un commandement de détruire la descendance d'Amalek uniquement (Devarim 25:19) et par le reste des descendants d'Essav, bien que ceux-ci fussent liés familialement; ainsi, pour ne pas se tromper nous devons avoir avec nous un arbre généalogique et celui-ci nous est donné par la Torah (cf. 36:12 et 22 quant à l'identité d'Amalek).
Comme l'a dit le Rambam lui-même, il y a là deux aspects: celui pratique (ne pas se tromper sur le champ de bataille) et celui idéologique (le principe) qui est que la Torah cherche la justice et la tolérance et il n'y a pas de raison de faire du zèle là où il ne faut pas, pour cela - la place des descendants d'Essav est aussi dans la Torah afin que ce principe fondamental soit accepté par nous.

De manière similaire mais différente, Rabbi Avraham Ibn Ezra (36:20) écrit que la raison de l'écriture de ces généalogies sont "car Israël va recevoir un commandement relativement aux descendants d'Essav". Le H'izkouni précise qu'il s'agit du commandement de ne pas les "moquer", "provoquer" ("al titgarou bam" Devarim 2:5). Cette même idée est reprise par le Radak aussi (comm. sur 36:19). Le Rav M.M. Kasher dans son Torah Shelema (36:22) à la lettre 35 rapporte au nom de Rav Sa'adia Gaon dans son Agron une idée similaire qui y est traitée en longueur.
Rabbi Avraham fils du Rambam (36:9) écrit de manière similaire que dans le futur le peuple d'Israël sera imposé de ne pas détester les descendants d'Essav, car ils sont nos frères (Devarim 23:8) et de ne pas prendre leur terre (Devarim 2:5), mais pour cela il faut savoir de qui il s'agit, car après l'exil d'Egypte ce n'est pas évident et il faut aussi savoir qui est descendant des concubines, car leur sort est différent : on doit les détester et effacer leur nom (il s'agit bien entendu d'Amalek - Devarim 25:19). Des propos semblables sont tenus par Rabbeinou Bah'yei (ibid.).

Quatrième approche - deux approches de la royauté et du pouvoir
Nos Sages nous enseignent (Shemot Rabba 37,1 et Bereshit Rabba 83,1) que les rois des peuplades de l'époque venaient d'un peu n'importe où - ils étaient imposés par des contingences qui leur étaient parfois extérieures, j'entends par là que le pouvoir était autonome et imposait ce qu'il voulait au peuple. Ce n'est pas le cas parmi les descendants de Yaakov qui reçoivent tous un rôle décisif - certains sont prêtres ("kohanim" - responsabilité religieuse), d'autres prophètes ("nevi'im" - devoir et pouvoir moral et civique) et d'aucuns sont ministres ("sar" - pouvoir politique).
Cette même idée est reprise par Rabbi Avraham fils du Rambam qui écrit qu'au sein du Peuple Juif il est promis au roi que sa descendance lui succedera (Devarim 17:20), alors que l'on voit bien que chez Edom et Se'ir il n'y aucun rapport entre les dirigeants qui ont tous les pouvoirs. Le plus fort succède. Cette même idée est écrite par les Tossafot dans Moshav Zekenim sur Bereshit 36:31.
Le Radak aussi (comm. sur Bereshit, id.) écrit que malgré le fait qu'ils furent "rois" plus vite que les descendants de Yaakov, dès que le Peuple Juif eut un roi, ils lui furent soumis (par Shaoul - Shmouel I, 14:47 et Davdi - id. II 8:14), ainsi que par tous les rois qui suivirent jusqu'à Yehoshafat (Melah'im I 22:48 et Melah'im II, 8:20).
Le Rambam (Moreh Nevouh'im, id.) comprend de là un principe fondamental supplémentaire : ne pas accepter de roi étranger comme dirigeant du Peuple Juif. Rabbi Avraham, son fils, le note aussi en son nom à la fin de son commentaire sur Bereshit 36:32.
On apprend aussi de cette généalogie qu'Essav a quitté la Terre d'Israël !
Bref, énormément d'enseignements importants d'une liste qui paraît inutile et on n'a encore vu que l'aspect extérieur de l'iceberg...
En espérant vous avoir aidé,
Cordialement,