Conversation 72534 - Débat talmudique

judah.eichmann@hotmail.fr
Samedi 16 novembre 2013 - 23:00

Bonjour, j'ai une question concernant la discussion entre Rabbi Eliezer Horkenos et Rabbi Yéhoshou'ah. Pour rappel, le débat portait sur : "Si un four se démonte et que du sable se répand aux différentes sections, Rabbi Eliezer affirme qu'il est propre, les sages disent que non".

On a enseigné : En ce jour, Rabbi Eliezer emmena toute la preuve du monde, mais ils ne l'acceptèrent pas.
Alors, il leur dit : "Si la loi est d'accord avec moi, cet acacia le prouvera !” L'arbre s'éleva à cent aunes du sol d'où il était enraciné, d'autres disent à quatre cents aunes.
Ils dirent : “On ne peut déduire aucune preuve de l'acacia”.
Alors il leur dit : “Si la loi est d'accord avec moi, ce ruisseau le prouvera”. Le ruisseau commença à couler vers l'arrière.
Ils lui dirent : “On ne peut extraire aucune preuve d'un ruisseau.”
Alors, il parla à nouveau : “Si la loi est d'accord avec moi, les murs de cette maison d'étude le prouveront.” Les murs de la maison d'étude se sont inclinés comme s'ils étaient sur le point de tomber.
Alors, Rabbi Yehoshua leur dit en criant : “Est-ce que cela vous incombe si les hommes sages discutent de la loi ?”
Et ainsi les murs ne tombèrent pas, en honneur de Rabi Yehoshua, et ils ne se redressèrent pas, en l'honneur de Rabbi Eliezer, et jusqu'à aujourd'hui ils sont restés inclinés.
Alors, il retourna leur parler : “Si la loi est d'accord avec moi, les cieux mêmes vont le prouver !”
Une voix surgit des cieux et dit : “Pourquoi discutez-vous avec Rabbi Eliezer ? : la loi est d'accord avec lui dans tous les cas !” Alors, Rabbi Yehoshua se mit debout et dit : “Ce n'est pas dans les Cieux”.
Qu'est ce qu'il a voulu dire par “Ce n'est pas dans les Cieux” ? Rabbi Yrmiahu dit : “la Torah nous a été remise sur le Mont Sinaï, la voix des cieux ne nous préoccupe pas. Parce que dans la Torah du Mont Sinaï il est écrit : "Face à la majorité, nous devons nous incliner”.

Ma 1ère question : Si on compare par rapport aux attitudes de Moïse. Jamais, il ne décidait rien tout seul ou avec une quelconque majorité. Moïse posait à Dieu toutes les questions qu'il n'arrivait pas à trancher et surtout appliquait toutes les décisions de Dieu. Aux antipodes de Moïse, les attitudes de Rabbi Yéhochou'ah et de Rabbi Yirmiyahou ne vous paraissent elles pas être étranges même si le fait que le mur ne s'est pas écroulé complètement et a été interprété comme un "honneur" à ces derniers ?

Ma 2ème question : Rabbi Yeoshua se mit debout et dit : “Ce n'est pas dans les Cieux”. Cette réponse est surprenante car elle laisse sous entendre que Rabbi Yéhoshou'ah s'est auto-autorisé à ce que seules les interprétations de son groupe s'imposent à tout le peuple Juif et non celles que la Torah nous enseignent et qui sont contradictoires pour certaines (mélange poulet + lait - 1 jour de Rosh Hachana contre 2 jours - mélange viande d'un animal non parent avec la bête donnant son lait - Kippa mentionnée nulle part - ...). Or, si on se réfère au passage où la Torah mentionne : "elle n'est pas dans les Cieux (Deutéronome 11 à 14)" :
"11 - Car ce commandement que je te commande aujourd’hui, n’est pas trop merveilleux pour toi, et il n’est pas éloigné.
12 - Il n’est pas dans les cieux, pour que tu dises : Qui montera pour nous dans les cieux, et le prendra pour nous, et nous le fera entendre, afin que nous le pratiquions ?
13 - Et il n’est pas au delà de la mer, pour que tu dises : Qui passera pour nous au delà de la mer, et le prendra pour nous, et nous le fera entendre, afin que nous le pratiquions ?
14 - Car la parole est très-près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, pour la pratiquer."

D'après ce texte, nous voyons bien que Dieu nous met en garde et nous précise que nous n'avons aucune excuse pour s'esquiver de pratiquer la TORAH "elle n'est pas dans les Cieux". Cette phrase ne veut aucunement dire que Dieu a donné un blanc-seing aux Rabbis pour s'approprier la TORAH et s'auto autoriser à en modifier les Lois où a imposé leur point de vue.

D'ailleurs, comme partout, il ne peut y avoir 2 dirigeants, d'un côté Dieu et de l'autre côté, les Rabbis car cela ne peut que mener au chaos. Et nous ne devons pas imiter les Chrétiens.

Ma 3ème question : Le danger d'une telle bi-direction est de créer des divisions au sein du peuple Juif : Les uns, se croyant investis d'un pouvoir décisionnaire exagéreront les pratiques religieuses sans se poser la question de savoir si elles correspondent à la volonté de Dieu. Les autres maintiendront hypocritement certaines pratiques imposées par les Rabbis, tout en s'autorisant quelques écarts. D'autres, trouvant trop de contraintes dans les pratiques imposées par les Rabbis risquent de mettre dans le même sac également les pratiques demandées par Dieu dans la Torah et soit, rejetteront tout ou feront finalement des tris dans les pratiques divines et rabbiniques.

Mon avis personnel et ce que j'aurais fait : A la place de Rabbi Yéhoshou'ah et de Rabbi Yirmiya, personnellement, au contraire, je me serais complètement effacé devant la volonté de Dieu. A chaque question, j'aurais demandé à Rabbi Eliézer de nous faire connaître la Volonté de Dieu pour qu'on la mette en pratique SANS DISCUTER et ainsi éviter toute dispersion spirituelle du peuple Juif. J'en aurais profité pour prier en faveur des Rabbis contestataires afin que leur nuque soit moins raide et qu'ils se plient aux ordres de DIEU

Rav Samuel Elikan
Mercredi 18 décembre 2013 - 08:18

Shalom,
Tout d'abord je tiens à préciser que vous omettez un détail très important, la réaction du Ciel: "mes enfants m'ont vaincu". C'est-à-dire que le Ciel se tient du côté des Sages, contre Rabbi Eliezer ben Hourkenos (cf. Avi Sagi, Elou ve'Elou, 1966, p. 13-15)!

Concernant vos interrogations:

1) Cette question est liée à l'essence différente de la Torah Orale et celle Ecrite. Elle est liée également à une temporalité différente: à l'époque de Moshé, D'ieu pouvait être ressenti par tous, nos Sages s'expriment à une époque où il n'y a plus de prophétie et la Divinité plus "éloignée", est vécue de manière plus transcendante, mois immanente. Il est important de noter qu'une "bat kol" - "une voix surgie des cieux" n'a rien de prophétique ou Divin (cf. sources ici: http://www.aspaklaria.info/002_BET/%D7%91%D7%AA%20%20%20%D7%A7%D7%95%D7…).
Il s'agit simplement d'un dévoilement dans le monde, ou plus précisément d'un terme grec traduit en hébreu d'une voix dont on ne voit pas l'auteur. Un son entendu, un avis édicté, mais on ne sait pas par qui (Rambam, Moreh Nevouh'im II, 42). Par exemple, on demandait à un enfant dans la rue, etc. (Pri Tzadik, Rosh H'odesh Yiar, lettre 6; S. Libermann, Yevanim veYevanout beEretz Israël, p. 294-297 dans les hashmatot). Selon Rabbi Meïr Aboulafia et Rav Saadia Gaon (Yad Rema, sur Sanhédrin 11a), Rabbi Yeh'iel de Paris (Vikouah', éd. Margaliot, p. 17), Rabbi Yehouda Bartzeloni (comm. sur Sefer HaYetzira, p. 179), le Tossefot Yom-Tov (Yevamot 16,6 s.v. bat kol) il s'agit d'un écho qui revient.
Il s'agit plus d'un signe qu'autre chose (Liberman, préc. cit.).

2)
a. Rabbi Yehoshoua ne s'est rien "auto-autorisé" (sic), la Torah fixe qu'on doit suivre ce que nous enseignent nos Sages (lo tassour) d'une part, et d'autre part qu'on doit suivre la majorité ("ah'arei rabim lehatot"). C'est ainsi que cela fonctionne, et ces règles sont très clairement écrites dans la Torah !
"Son groupe" comme vous dites constitue la majorité des rabbins de l'époque ! Et leur interprétation, une fois qu'elle fut acceptée par l'ensemble du Peuple Juif fait figure de loi ! Je ne vois par ailleurs rien de contradictoire dans leurs enseignements.

b. Par ailleurs ce que vous soulignez (deux jours de Rosh HaShana, mélange de la viande et du lait même lorsqu'ils ne sont pas de la même espèce) fait partie intégrale de la Torah Orale qui est à la base de la tradition du Peuple Juif et qui fait force de loi (il ne faut pas mélanger cela avec le mélange de poulet et de lait institué plus tardivement, mais c'est toujours par cette force attribuée par la Torah aux rabbins - et le port de la kippa qui n'a jamais vraiment été une obligation) !

c. Le verset "elle n'est pas dans les Cieux", peut s'interpréter de différentes manières et rien n'impose une interprétation plus qu'une autre, tant que les deux entrent bien dans le texte. Rav Nissim de Kerouan dans son Sefer HaMafteah' (Berah'ot 19) explique que cette interprétation signifie que la Torah se suffit à elle-même et nous n'avons pas besoin d'une preuve supplémentaire du Ciel, puisque cela prouverait que la Torah ne suffit pas...

d. Les rabbins n'imposent absolument pas la Torah, elle reste Divine, mais ils la rendent compréhensibles et font un travail de traduction et de "terrestrialisation", ils la descendent sur terre, pratiquement. La Torah ne parle pas de tous les détails et eux traduisent les concepts, idées et valeurs de la Torah en termes pragmatiques. Quoi de mal à cela ? Si personne ne le faisait, on n'accomplirait pas la Volonté Divine, mais ce qui semble être écrit dans la Bible. Vous ôteriez à quelqu'un son œil, car il a aveuglé quelqu'un d'autre ? Si on n'avait pas la Torah Orale, la tradition, on serait dans de beaux draps !

e. Comme dit, il n'y a pas deux dirigeants, seul D'ieu nous dirige, et dans une époque où la prophétie nous manque, où la Divinité est voilée cela se fait par les rabbins qui dévoilent la Volonté Divine. Vous voyez bien que cela fait plus de deux mille ans qu'il en est ainsi, et grâce à D'ieu le Judaïsme se porte bien ! La Torah continue d'exister, d'être étudiée et D'ieu n'a pas quitté son Peuple: nous sommes revenus sur notre Terre et avons un état indépendant... Que demander de plus si ce n'est la construction du Temple et ainsi le Dévoilement Divin eschatologique tant espéré ?

3) Vous voyez bien qu'historiquement la conclusion que vous décrivez n'a pas eu lieu de la sorte. Le fait d'exagérer dans les pratiques religieuses date de l'époque de la Torah, soit bien avant cette discussion et n'est en rien lié à une quelconque "bi-direction" (sic). Dans le resp. Binyan Tzion (écrit en 1873) on voit pour la première fois dans la littérature rabbinique qu'il existe des gens qui "s'autorisent quelques écarts" tout en se sentant juifs croyants et éventuellement même pratiquants. Avant cela, les choses étaient très claires: soit on était pratiquant et un "écart" de loi devenait une faute sur laquelle il faut se repentir, soit on n'était pas pratiquant.
Le fait de faire le tri dans les pratiques a commencé avec le mouvement de réforme (en Europe occidentale, à la fin du 18ème siècle) et n'est vraiment, mais alors aucunement, lié, il me semble, à ce que vous soutenez dans votre question.

4) Votre avis personnel se respecte et se comprend, toutefois, si nos Sages avaient agis de la sorte, on n'aurait jamais pu comprendre la force et la place de la Torah Orale, de la tradition.
Le Ran (drashot, 11) et c'est également l'avis du Sefer Hah'inouh' affirment qu'il est bon de suivre la majorité des rabbins qui avaient leur avis sur la question, même s'ils se trompent car le risque que la majorité de rabbins se trompent est plus petit que celle d'un individu particulier de se tromper.
Le Kli Yakar (Devarim 17:11) dit qu'il y a dans chacune des opinions un peu de vrai. Il y a des aspects "purs" et des aspects "impurs" dans ce four, et par conséquent si la majorité des opinions définit la chose d'une certaine manière, même si ce n'est pas l'avis du "tribunal Céleste", étant donné qu'aucun tribunal n'est univoque, ces opinions viendront se joindre ensemble et alors ils seront réellement majoritaires. C'est-à-dire que les avis rabbiniques majoritaires se joindront à l'avis "céleste" minoritaire et ensemble seront majoritaire, il est donc logique que la loi soit tranchée ainsi.
Cette opinion mérite d'être méditée et approfondie pour être comprise, tout comme ce passage talmudique du four d'Ah'nai que de nombreux auteurs ont déjà commenté et contient de nombreux éléments symboliques.

Cordialement,