Conversation 79038 - Sofrim, sofrim, mais qui a donc écrit la Torah ?

dansebagh
Vendredi 30 octobre 2015 - 23:00

Bonjour chers ravs,
Il y a un Rachi qui me trouble : berechit 18,22 (paracha vayera) sur le fait que le texte ait été corrigé par "les scribes" sur la formulation du passouk. Je ne comprends pas pourquoi Rachi parles de scribes alors qu'il aurait dû parler de Moshé Rabbenou ou de la Torah elle-même. Qui sont ces scribes et comment peut-on parler de correction de texte (tikoun sofrim). Merci de m'éclairer en précisant les sources éventuelles.

--
Question envoyée via l'application iphone

Rav Samuel Elikan
Mardi 3 novembre 2015 - 05:01

Shalom,

Le Rav Yedidya Shlomo Rephaël Nourtzi (Italie, 1560-1620) note 18 occurrences où il est écrit "tikoun sofrim" (cf. Minh'at Shay ad loc et sur Zeh'aria 2:12 - le Radak sur H'abakouk 1,13 et Abarbanel sur Malah'i 1,12 y font également allusion - cf. encore Y. M. Grintz, "Mavoei Mikra", Yavne, Tel-Aviv, 1972, p. 57-59) !

Il explique cela selon l'opinion du Rashba (telle qu'écrite dans Halih'ot Olam chap. 1, port. 2, et également rapporté par le Re'em ad loc puis le Siftei H'ah'amim, lettre 4) qui affirme que nos Sages disent que ces versets auraient dû être écrits différemment et c'est ainsi - de manière différente de ce qui est écrit - qu'ils les interprètent; toutefois le texte reste inchangé. C'est comme si nos Sages viennent nous dire qu'on aurait dû changer/corriger le texte, alors qu'aucune lettre n'a été changée réellement.

Des propos similaires sont tenus par le Rav Yossef Elbo (Sefer HaIkarim III,22) qui affirme que le changement proviendrait de Moshé lui même, c'est en substance également ce que disent le Radbaz (resp. III, § 694), le Yefeh Toar et le Matnot Kehouna (Vayera, par. 49, s.v. hasheh'ina - selon le Re'em), et le Maharal (Gour Aryeh, ad loc) qui ajoute quant à lui que cela veut dire que la Torah a écrit dans ses endroits avec respect, de manière stylée, tout comme les écrivains écrivent avec respect alors que cela eut dû être écrit différemment.

Le Aderet (Over Orah', §18) écrit : "Peut-être que le Tikoun Sofrim dont il est question est également une halah'a transmis à Moshé au Mont Sinaï... mais cela n'est pas évident".

C'est également ce que semble affirmer le Rav Aryeh Leib Horowitz (fin du 17ème siècle) dans son "Marganita Tava" sur le Sefer Hamitzvot, shoresh 2.

D'autres (cf. Tzeida LaDereh' ad loc, Rav Pealim de Rabbi Avraham fils du Gaon de Vilna, §80 et Imrei Bina, chap. 19) affirment qu'un "étudiant erroné" (talmid to'e) a inséré ses propos dans le commentaire de Rashi.
(cf. à ce propos l'article de J.H Weiss "Toldot Rabbenou Shlomo Bar Itzh'ak" in revue Beit Talmoud, 2ème année, I, Vienne, 1881, p. 225-231).

Rabbi Avraham Ibn Ezra aussi s'oppose au concept de "tikoun sofrim" (cf. intro. à la Torah s.v. hadereh' hah'amishit; comm. sur Vayera 18:13; sur Beha'aloteh'a 12:12; sur Yiov 7:20, etc.), pour lui on n'en a absolument pas besoin. C'est également la voie que suit Shadal dans son commentaire sur Vayera (ad loc).

Il est intéressant de noter que cette expression "Tikoun Sofrim" n'est utilisée que dans les midrashei aggada, alors que dans les midrashei halah'a l'expression est "kinah hakatouv", ce qui semble évoquer le fait que les changements ne soient pas tardifs, mais volontaires, a priori.

Cf. encore à ce propos le livre de Moshé Tzipor, "Messira OuMasoret - chapitres de l'histoire exégétique antique de la Bible, sa traduction et transmission" (en hébreu), Tel-Aviv, 2001, surtout p. 86-134.

Cf. aussi A. Mondschein, "Rashi, Rashbam et Ibn Ezra - shonim mishnatam beSougyat Tikoun Sofrim" in Yiounei Mikra ouParshanout, n°8, en l'honneur de prof. Elazar Touitou, Ramat-Gan, 2008, p. 436 - qui soutient une thèse très intéressante et pouvant créer controverse.

Cordialement,