Conversation 841045 - Les filles de Lot

Ben Avraham avinou
Mercredi 23 janvier 2019 - 06:52

Shalom Rav,

 

D'où apprenons nous que les filles de Loth ne soient pas au courant qu'Avraham et sa famille sont encore vivants après la destruction de Sodome et Gomorhe, alors que Loth, lui, le sait?

 

Savaient-elles que D. Avait Promis à Avraham une grande descendance?

 

Même si leur décision de sauver La Création Divine, l'être humain, est juste, elles savaient qu'elles transgressaient une des sept lois donnés par D. à Noah en s'étendant avec leur père.

 

Comment le fait de devoir transgresser un commandement Divin ne leur pose pas question?

 

Comment pouvaient-elles être sûres que cette soit disant "destruction de l'humanité" n'était pas un décret de D. ?

 

Quoi qu'il arrive, entre nos "doutes" et nos "certitudes", le plus important n'est-il pas de respecter La Loi de D. ?

 

Et pourtant D. va leur Pardonner et grandement les Récompenser par la descendance de Moab ( Ruth, David Hamelech, et, puissions nous mériter sa venue le plus tôt  possible et de nos jours, le Mashiah).

 

Chaque verset de La Torah est un enseignement Divin, mais là, de part mon manque de connaissance, j'ai du mal à comprendre.

 

Merci, Rav, de m'éclairer sur cette enseignement.

 

Que D. vous Bénisse et vous Protège.

Nathan Schwob
Dimanche 19 mai 2019 - 17:53

Ce passage de la Thora demande effectivement des explications. Essayons point par point.

 

D'où apprenons-nous que les filles de Lot ne soient pas au courant qu'Avraham et sa famille sont encore vivants après la destruction de Sodome et Gomorrhe, alors que Lot, lui, le sait ?

 

La Thora raconte ce que l'ainée des filles de Lot a dit à sa sœur pour expliquer sa motivation : "notre père est vieux et d'homme il n'y a pas sur terre pour venir auprès de nous dans la normalité". (Beréchit 19-31).Le Midrach Beréchit Rabba (51-8 et rapporté par Rachi) précise qu'elles pensaient que toute l'humanité avait été détruite comme au temps du déluge. Suivant cette lecture, leur intention de sauver l'humanité était bonne. (Nous reviendrons sur la légitimité de l'acte).

 

Mais on pourrait lire aussi d'une autre manière. Le mot "Ich" désigne un homme important, par exemple "Ich Naomi" (Ruth 1,3) = le mari de Noémi. La fille de Lot aurait dit : "notre père est vieux et il ne reste plus d'autre homme important de ce pays dévasté de Sodome et Gomorrhe, si ce n'est lui". Leur intention aurait été de donner une continuation aux villes détruites, ou tout au moins, d'essayer de faire survivre le peu de bien qui pouvait encore exister dans cette humanité dépravée. (Nous y reviendrons à propos du Machiah'). Pour cela, il fallait un digne représentant de Sodome qui ne pouvait être que Lot, tout le reste de la population vivant dans la région était inutile.

 

Si cependant on suit l'idée que leur intention aurait été de donner une continuation à la société dépravée de laquelle elles ont échappé, alors on rejoint le second avis rapporté dans le Midrach (51-10), qui prête aux filles de Lot des intentions de débauche. Dans ce cas-là, il n'est pas impossible non plus qu'elles aient su que des hommes continuaient d'exister.

 

Quand à Lot lui-même, je ne connais pas de texte qui précise qu'il connaissait la situation exacte de la région, à part ce que Rachi explique sur les paroles de l'ange à Lot dans le verset (Br 19,17) : "enfuis toi vers la montagne – retourne chez Avraham".

 

Savaient-elles que D. avait promis à Avraham une grande descendance ?

 

Sûrement, puisque Lot le savait depuis qu'il avait suivi Avraham et s'était associé à son destin. Mais Lot pensait qu'Avraham n'ayant pas d'enfants, il serait lui-même son héritier (voir Br 13,7 et Rachi).

Suivant la première lecture, ci-dessus, elles ont pu penser que comme la promesse ne s'était toujours pas réalisée, elle était caduque et seul Lot pouvait la continuer en tant qu'héritier. Dans leur optique, Avraham ne compte plus et aurait pu disparaitre dans le cataclysme. Rajoutons que même si Lot savait Avraham vivant, il ne l'a pas dit à ses filles.

Suivant les deux autres lectures, peu importe Avraham, il n'était pas de Sodome.

 

Même si leur décision de sauver la Création Divine, l'être humain, est juste, elles savaient qu'elles transgressaient une des sept lois données par D. à Noah en s'étendant avec leur père.

Comment le fait de devoir transgresser un commandement Divin ne leur pose pas question ?

 

Ici se trouve le point névralgique de votre question.

Le Talmud (Sanhedrin 58b) discute de savoir si les unions interdites aux Noa'hide incluent aussi la relation père-fille. En conclusion, cette pratique était autorisée à l'origine mais l'humanité s'était interdite cette relation et d'autres, après le déluge, (voir : Berechit 34-7 et Rachi, Maimonide Lois sur les rois 9-5, sur les unions interdites 14-10, Tossafot Talmud Nazir 23a).  Après l'histoire de Lot et de ses filles nous voyons Avraham s'éloigner vers le sud –ouest du pays, et Rachi de commenter : pour s'éloigner de Lot car il avait la mauvaise réputation d'avoir commis un inceste avec ses filles (Berechit 20-1). Nous apprenons de là que les sept lois Noah'ides sont une base minimale de moralité, sur laquelle peuvent et ont été rajoutées d'autres lois qui exprime la volonté de s'élever en sainteté et au minimum d'éviter les échecs précédents de l'humanité.

 

Revenons aux filles de Lot :

Elles pensaient devoir recommencer l'humanité, et pour cela il fallait renoncer aux exigences morales rajoutées aux lois Noa'hides. Mis à part leur erreur sur la situation du monde, leur décision provenait donc d'un juste choix et d'une intention pure –Lechem Chamayim- de suivre ainsi la volonté divine. Ceci pour la première lecture.

 

Suivant la seconde lecture, on peut aussi comprendre leurs bonnes intentions en suivant l'analyse de Manitou (Rav Yehouda Achkenazi Z"l) sur Lot qui aurait pu être avec Avraham le vecteur de la parole divine pour l'humanité. Il avait suivi Avraham dans ses voyages et été solidaire dans ses "aventures" en partageant avec lui la volonté de ramener les hommes à l'idée de la fraternité. Mais il s'est séparé d'Avraham lorsqu'il a fallu choisir entre deux voies : la fraternité humaine passera par l'enseignement de la Parole Divine ou bien celle-ci n'est pas nécessaire pour atteindre cette paix entre les hommes. Lot tranchât pour la seconde possibilité et s'en allât à Sodome pour faire ses preuves. Il ne les a pas faite. Mais ses filles voulaient continuer l'enseignement "moral" de leur père, qui provenait en partie d'Avraham. Là aussi l'enjeu en valait la transgression.

 

Comment pouvaient-elles être sûres que cette soit disant "destruction de l'humanité" n'était pas un décret de D. ?

Quoi qu'il arrive, entre nos "doutes" et nos "certitudes", le plus important n'est-il pas de respecter La Loi de D. ?

 

Elles savaient certainement que c'était un décret divin puisque les envoyés divin leurs avaient demandé de quitter Sodome urgemment, et qu'il ne fallait pas se retourner pour voir, mais est-ce que cela implique une acceptation fataliste ? Regardez la réaction d'Avraham: il essaye de sauver Sodome. Il n'est pas le seul: Noa'h qui connaissait le décret du déluge, devait tenter de l'empêcher (Beréchit 6,14 et Rachi). Moché intercède pour Israël après la faute du veau d'or. Vous trouverez un comportement semblable chez la plupart des prophètes, tout simplement parce que D-ieu préfère que l'humanité retourne à Lui plutôt que d'accomplir Son décret de destruction (Amos7, Jérémie 14,11 etc…).

Dans la situation des filles de Lot, la destruction est là, est ce qu'elle incluait aussi l'interdiction de reconstruire ? Alors pourquoi auraient-ils eu la vie sauve ? Aucun prophète ne le leur a révélé en leur interdisant de recréer l'humanité. L'histoire est remplie de dilemmes de ce genre. Il ne nous reste donc qu'à agir humainement, et à trancher, en suivant ce qu'on connait avec certitude de la volonté divine par les lois Noa'hides et par la Thora. Ne rien faire est aussi un choix, pas toujours le meilleur. Elles ont choisi sans fatalisme ni élucubrations ou devinettes le chemin le plus naturel.

 

Et pourtant D. va leur Pardonner et grandement les récompenser par la descendance de Moab (Ruth, David Hamelech, et, puissions-nous mériter sa venue le plus tôt possible et de nos jours, le Mashiah).

 

Des trois lectures possible, laquelle est la bonne ? La complexité de la réalité humaine laisse-t-à penser que chacune décrit un peu la psychologie de ce que les filles de Lot ont vécu (Kol HaThora Ber., Rav E..Munk p197). Qu'est-il resté de tout cela ? Un des commandements de D-ieu dans la Thora met fin à tout lien entre Amon Moav et Israël : "Un Ammonite ni un Moabite ne seront admis dans l'assemblée de D-ieu, …. , à perpétuité" (Devarim 23,4). Ce n'est pas une récompense. Le Talmud (Nazir 23b) qui ne pèse pas ses critiques sur Lot, voit dans cette Mitsva l'aboutissement des mauvais choix et de l'échec de Lot qui s'est séparé d'Avraham. Nos sages ne font que préciser ce que la Thora enseigne dans la suite des versets sur le comportement des deux peuples sortis de Sodome pour reprendre les instincts de débauche et d'égoïsme de leur région. Le seul point positif qui pourra rejoindre le peuple d'Israël, devra être sauvé par l'intermédiaire de Ruth et caractérise l'action de David et du Machia'h, c'est cette volonté des filles de Lot de sauver l'humanité, dévouement repris de celui de Lot, qui était prêt à s'investir dans le quartier le plus malfamé de sa région pour y reconstruire une fraternité humaine.