Conversation 84201 - L’Amour d’Hachem

reb.beky
Dimanche 3 mars 2019 - 12:36

Chalom,

J’avais une question que je me pose depuis un certain temps. Je suis juive traditionaliste, je fais les fêtes principales, les prières quotidiennes, je vais des fois à la synagogue... mais je ne mange pas Casher, ne fait pas le Shabbat et encore d’autres Mistva. Mais cela va-t-il influencer l’Amour qu’Hachem nous porte ? D.ieu va t’il préférer les Juifs qui respectent et appliquent plus la Torah ? En fonction de l’application de la religion, plus ou moins importante, va t il y avoir une préférence ?

Rav Samuel Elikan
Jeudi 7 mars 2019 - 12:21

Shalom,

Tout d'abord, je voulais vous féliciter pour ce que vous faites et vous encourager. Le judaïsme est avant tout une identité, une appartenance à un Peuple, à une histoire et à une culture qui contient aussi des aspects religieux, dont les commandements. Ceux-ci peuvent être importants pour marquer notre identité et la transmettre. Parfois il est plus simple de transmettre une identité par des actes que par des paroles. C'est pourquoi ceux-ci sont cruciaux comme vecteurs et passeurs de tradition, de fidélité.

Concernant votre question :

nous avons certes un devoir d'aimer Dieu (cf. https://cheela.org/conversation/69994/69994/Pour-l%26#039;amour-du-ciel) mais est-ce mutuel? Dieu nous aime-t-Il en retour? Peut-on parler d'amour concernant Dieu ?

Il y a un verset (Isaïe 41,8) qui nous dit que la réponse est positive, puisqu'il y est dit qu'Avraham est celui qui est aimé de Dieu. Le prophète Malah'i continue (1,2) en affirmant que Dieu aurait dit: "Je vous ai aimé". Nos Sages vont plus loin en parlant d'un amour passionné, passionnel, de désir (Bereshit Rabba §80 ; Shemot Rabba §9, etc. etc.) !

Ainsi, le concept d'amour que Dieu nous porterait, peut alors se comprendre de différentes manières.

 

A- Selon le concept de bonté (h'essed), allègrement développé dans les écrits kabbalistiques.

Il s'agit de dire qu'il y a un flux divin constant, de bonté, qui arrive au monde comme une émanation du Divin. Mais cela dépend de Sa Volonté uniquement. Les êtres que nous sommes peuvent et doivent faire un maximum d'efforts pour être aptes à cela, mais cette bonté, cet amour Divin advient au monde quoi qu'il arrive, gratuitement. Parfois on est prêt à capter cela, parfois on ne l'est pas. Le but des commandements serait alors de nous "joindre" au Divin ("latzevet") pour amener encore plus de bonté Divine dans le monde.

Le Maharal de Prague (Dereh' H'aim, p. 13 et Netzah' Israël, chap. 11) insiste bien que l'amour de Dieu pour Ses enfants agit à deux niveaux : premièrement, il n'est nullement conditionné par des actes, amour infini et inconditionnel, quoi qu'il arrive ; deuxièmement, la Providence Divine s'accomplit et s'exprime dans le monde, en fonction des actions, mais la Providence dépasse ces actions, car elle suit un but. Comme une rivière qui se créerait son lit selon les méandres du terrain, mais elle va assurément rejoindre  le bas de la montagne, sa direction étant toute tracée. Ainsi, l'amour et la Providence Divine sont inconditionnels, infinis, suivent un but - le chemin peut parfois se tracer, toutefois, par nos actions.

Le Ramh'al (Rabbi Moshé H'aim Luzzato) explique qu'il y a deux "Directions" Divines : celle de la rigueur, de la Justice et celle du Yih'oud, de l'Unité. La rigueur, la justice - hanhagat hamishpat - suit les actes des hommes : l'accomplissement des commandements engendrerait une récompense spirituel, alors que leur transgression engendrerait des punitions. Toutefois, cette "Direction" est constamment bousculée par autre chose : l'Unité Divine. Quiconque serait capable de s'élever jusqu'à l'Unité Divine pourrait dépasser cette notion de "récompense et punition". Et ce serait le but profond des commandements, dépasser leur propre condition, pour atteindre cette Unité. Ce sont des concepts assez compliqués et il existe en français de très bonnes traductions et explications produites par le rav Mordekhai Chriqui, je vous invite à les consulter.

 

B- De manière métaphysique, dans l'ordre même des choses.

Selon Maïmonide (dans le Guide des Egarés) c'est lié au degré intellectuel, de l'étude d'une personne. Plus une personne étudie, plus elle se rapproche de Dieu. Plus elle est proche, plus elle est "aimée", dans le sens où cette dernière est à même de mieux comprendre le fonctionnement du monde, de Dieu et ainsi saura mieux aimer Dieu. Il semble évident pour Maïmonide que l'amour que Dieu porte aux hommes est à comprendre comme une métaphore. C'est-à-dire le fait qu'il y ait matière et spiritualité de manière consubstantielle est preuve de la bonté Divine : "ki le'olam h'assdo" - car Sa bonté est éternelle. Le fait même de la Création, de notre existence et de l'existence toute entière est l'amour Divin par excellence. Quelle plus grand amour que cela ? Le but de l'accomplissement des commandements aurait pour visée un impact social et intellectuel (Guide III, chap. 25-27) : on deviendrait de meilleures personnes et donc plus aptes à étudier et à se rapprocher du Divin.

 

C- De manière spiritualiste, lié au Dévoilement.

Selon Rabbenou Bah'yei ben Asher, par exemple, rabbin médiéval espagnol (comm. sur Shemot 25,18), les Chérubins de l'Arche dans le Tabernacle seraient le symbole de l'amour que Dieu nous porte. Cet amour c'est Sa Parole, son Dévoilement, la Torah qu'Il nous a donné.

En ce sens, le but des commandements est d'accomplir, par amour pour Dieu, Sa Volonté, afin de lui rendre l'amour qu'Il nous a donné.

Cf. encore le commentaire du Netziv de Volozhin sur ce même verset qui suit une direction tout à fait similaire. Son neveu, le rav Barouh' HaLévy Epstein, écrit dans son livre Torah Temima (Shemot 25, §6) que Dieu avait un tel amour pour Son Peuple, qu'Il ne put éviter de Se Dévoiler au Sinaï, puis dans le désert au sein du Tabernacle, avant l'entrée en Terre d'Israël, comme "consumé par l'amour", a fortiori !  

 

D- De manière fidéiste, lié à nos croyances.

Cette approche est défendue, notamment, par le rav H'esdai Crescas, dans son livre "Lumière de l'Eternel" (Or Hashem). Il soutient que plus on aime Dieu, peu importe nos actes, ce qui compte ce sont nos efforts, notre volonté et les sentiments qu'on y met, plus Il nous aime.

Ainsi, selon lui, quiconque irait tout les vendredis soirs à la discothèque et avant cela mangerait des fruits de mer (ce qui est interdit selon la loi juive) et décide dorénavant, pour marquer Shabat, par amour de Dieu, de faire le kidoush vendredi soir, puis d'aller à la discothèque, tout en y mangeant des crustacés (toujours interdits à la consommation selon la loi juive), serait plus aimé par Dieu que quelqu'un qui prie trois fois par jour, par habitude, et ne ressentirait rien envers Dieu, car tombé dans la "potion" de l'habitude lorsqu'il était petit. Pour le Rav Crescas, c'est le sentiment, l'intention qu'on y met qui compte.

Pour lui, les commandements ont pour but de nous amener à l'amour de Dieu et des hommes.

 

On pourrait présenter encore d'autres approches, mais je crois que celles-ci donnent déjà grande matière à réflexion et j'espère avoir su présenter les choses manières aussi exactes que concises.

Cordialement,