Conversation 84283 - Rire jaune, humour noir.

Nathanmkz
Lundi 22 avril 2019 - 15:34

Bonjour, 

je voulais savoir quelles sont les limites de l'humour selon la halakha juive…

Est-il autorisé de rigoler sur la shoah, l'esclaves, les noires, les chinois, les handicapés etc... 

J'ai besoin d'explications ou de sources 

merci bien 

hag sameah 

Rav David Zenou
Mercredi 15 mai 2019 - 10:00

Shalom,

Je pense en effet qu'il y a des limites, surtout si elles froissent quelqu'un.

 

Je vous recopie un texte que j'ai ecrit sur le sujet.

L’humour a-t-il sa place dans le judaïsme ?

Posté par Rav David Zenou le mar 18/03/2008 - 13:28

L’humour résulte de la conscience de l’intervention divine

L’humour juif n’a rien à voir avec la blague ou la plaisanterie. Ce serait plutôt une sorte de sourire intérieure face à un événement que l’on voit se dérouler précisément selon le plan divin. Un exemple de ce rire nous est donné par rabbi Akiva lorsqu’il voit un renard sortir de l’esplanade du Temple qui a été complètement rasé. Les Sages, à ses côtés pleurent devant l’ampleur de la destruction, mais lui contre toute attente, rit. Il rit parce qu’il comprend que le renard correspond à la réalisation de la première partie de la prophétie, ce qui signifie que la deuxième, celle de la reconstruction, aura également lieu. Le rire résulte alors de la conscience de la Hachga’ha, l’intervention divine. De même, dans la Meguilat Esther, lorsqu’A’hachveroch ne peut dormir et qu’à la lecture des Chroniques royales, il se rend compte qu’il n’a pas remercié Morde’hai. Haman arrive juste à ce moment pour lui demander de faire pendre Morde’hai alors que le roi veut précisément récompenser ce dernier. L’humour apparaît ici par le biais du quiproquo, le concours de circonstances: Haman ne saisit pas ce qui se passé, mais nous rions en voyant comment D.ieu conduit les rechaim – les méchants - à leur perte.

 

L’humour - jeux de mots

Il existe un autre type d’humour dans la Torah lié au jeux de mots : par exemple, lorsqu’Essav reproche à Yaacov de lui avoir pris son droit d’aînesse, il utilise l’expression “yaakveni paamayim” – tu m’as “attrapé” deux fois - en faisant référence à la racine verbale du prénom de Yaacov, nommé ainsi parce qu’il a attrapé son frère par le talon à la naissance. Le jeu de langage souligne le fait que cet épisode s’inscrit dans leur histoire commune dans laquelle Yaacov rattrape Essav et le devance.

 

Un rôle pédagogique

On retrouve cet humour, provenant de jeux de mots, dans des ouvrages de Torah de renom: le Ben Ich ‘Hay, par exemple, a écrit un livre composé d’énigmes, de charades et de fables dont les réponses sont à chercher dans le Talmud. L’humour prend ici la forme de finesses d’esprit qui permettent de passer en revue des connaissances, de faire réfléchir. Son rôle est donc pédagogique. Il en est de même lorsqu’il était utilisé par le Maguid: il s’agissait d’un rav qui se déplaçait de village en village, dont la fonction était de provoquer un réveil spirituel des membres de la communauté par le biais de ses allocutions. On peut citer à ce sujet l’humour présent dans les discours du Maguid de Doubna: son habileté consistait à critiquer un type de comportement tout en amusant les fidèles qui ne rendaient pas compte que c’était d’eux dont il parlait. L’humour servait de miroir: il leur renvoyait une image d’eux- même de l’extérieur, de manière indirecte, anecdotique, plus facile à accepter.

L’humour est un clin d’oeil à l’attention des initiés

Dans cette perspective, on peut penser à la parabole de la brebis racontée par le prophète Nathan au roi David. Nathan veut faire des reproches à David au sujet de Bat Cheva. On se serait attendu à des remontrances acerbes, on entend une gentille histoire de brebis. L’humour apparaît ici avec deux caractéristiques essentielles : premièrement, il s’exprime dans un contexte de responsabilisation ; il est exactement à l’opposé de la raillerie qui est elle condamnée par la Torah: le railleur ne s’implique pas, il critique de l’extérieur sans être capable de prendre ses responsabilités. Ici, Nathan comme David s’impliquent à part entière. Deuxièmement, il s’inscrit en clin d’oeil qui ne peut être compris que par les initiés ! David comprend l’allusion du prophète à son encontre. On retrouve cette même idée dans le Midrach décrivant le face à face qui a lieu entre Yossef et Pharaon : Pharaon a rêvé qu’il était debout sur le Nil. Mais comme il savait que cela serait perçu comme un signe d’orgueil de sa part, il raconte son rêve en mentionnant qu’il se tenait sur les bords du Nil. Lorsque Yossef décrit le rêve de Pharaon, il précise que le roi était sur le Nil. C’est une manière de lui dire “ Sache que je sais que tu es orgueilleux, je connais ton jeu et je pourrais te faire tomber.” On est témoin d’un humour invisible, caché, qui n’est compréhensible que par les seuls initiés.

 

David Zenou

 

Tiré d'un article publié dans le magazine Hamodia n° 20
Merci au redacteur du magazine Lior Levy