Conversation 85379 - Micro est kodesh à Shabat ?

Dorah Hayah HUSSELSTEIN
Mardi 21 décembre 2021 - 19:51

Le journal Le Monde a été sollicité par la Ville de Strasbourg, l'université de Strasbourg et la Région Grand-Est afin de co-organiser la troisième édition du Forum des Religions, qui se tiendra du 24 au 27 février 2022 à Strasbourg. 

Ce forum fera appel à des spécialistes reconnus, mais aussi à des témoins, pour s'interroger sur la religion et sa place au sein de nos sociétés pluralistes. 

La thématique de l'événement cette année portera sur la tolérance. Dans ce cadre, il m'a été demandé de prendre part à la soirée de témoignages programmée le vendredi 25 février au soir, pour raconter au public mon expérience singulière.

La salle se trouve dans l'EROUV

Il y aura un micro sur pied.

Dans quelle mesure, pourrais-je participer à cette soirée sans transgresser le Shabbat ?

Dans le climat très fortement teinté d'antisémitisme, j'aurais à cœur de témoigner de ce "vivre ensemble" si emblématique de l'ALSACE, mais quelle image vais-je renvoyer de la communauté ?

Rav Samuel Elikan
Mercredi 22 décembre 2021 - 14:50

Shalom,

J'entends tout à fait votre sentiment de nécessité de témoignage et ne peux que sincèrement vous en féliciter. Il est important d'agir pour amener la paix entre les gens (1). Toutefois, dans ce cas précis, le fait qu'il s'agisse de shabat rend les choses compliquées. 

En effet, il est formellement interdit d'utiliser un microphone classique qui augmente le son de notre voix et l'enregistre durant shabat, dans un événement pareil (2). 

Par ailleurs, vous ne venez pas y parler seulement en tant qu'individu mais, avec un "drapeau", en tant que représentante du judaïsme, si j'ai bien compris ; ce qui peut engendrer, si cela vient au détriment de la sainteté du shabat, à une profanation du Nom Divin (h'iloul Hashem) (3).

On peut dire qu'il semble évident que le vivre-ensemble et la tolérance ne peuvent exister qu'à condition de respecter l'identité particulière de chacun, sa foi, et ne pas l'annihiler au nom d'un "grand-Tout". J'espère qu'expliquer cela aux organisateurs permettra de trouver une solution qui conviendra à tout le monde, c'est-à-dire pouvoir vous y exprimer et transmettre votre important message, tout en gardant le shabat. 

Le Zohar (4) nous enseigne que le respect du shabat a pour but justement d'amener la paix dans le monde ou pour le paraphraser avec les mots d'Ah'ad HaAm (5) : "On peut le dire sans aucune exagération - Israël a été gardé par le shabat plus qu'il ne l'a gardé" (6).

En espérant que vous puissiez trouver une solution qui vous permette à la fois de faire avancer la compréhension et la tolérance envers autrui et à la fois sanctifier le Nom Divin par le respect du Shabat.

 

Cordialement,

 

Notes :

(1) cf. Tehilim 34,15 ; Avot 1,12 ; Vayikra Rabba 9,9 ; Mishlei 3,17 ; etc.

(2) cf. resp. BeMareh HaBazak III, §33 et cf. encore id. IV, §37 ; Otzrot Yeroushalayim XIV, §81.

(3) cf. TB Eirouvin 69b ; H'oulin 5b ; Rambam, hil. Shabat chap. 30, hal. 15 ; id. Maasseh HaKorbanot chap. 3, hal. 4 ; Mishna Beroura OH 55, s.k. 46 ; Ahavat H'essed, I, chap. 3, al. 3 ; resp. Moreshet Moshé (Kaliers - OH §6) ; resp. Minh'at Elazar (Munkacz - OH I §74 et III, §24).

(4) vol. I (Bereshit), par. Bereshit 48a.

(5) Publié dans son "Yalkout Katan", chap. 30, paru dans le journal HaShelah' n°3 (1898) et republié sous le titre "Shabat veTzionout", dans Kitvei Eh'ad HaAm (Tel-Aviv, 1946).

(6) cf. encore Zohar, vol. II (Shemot), par. Vayakhel 205a.

Cette phrase, si bien formulée, a par la suite été reprise par certains rabbins qui n'ont pas forcément cité le nom d'Asher Tzvi Ginzberg (Ah'ad HaAm), comme le rav Waldenberg (resp. Tzitz Eliezer XII, §92) ou le rabbi M.M. Schneersohn de Lubavitch, dans une lettre à Menah'em Begin (Iggrot Kodesh, vol. XX (1961), p. 306, lettre 7624).

Cette expression s'est tant propagée que certains, par erreur, l'ont attribué aux Sages du Talmud, d'autres à Rabbi Yehouda HaLévy et d'aucuns à Rav Saadia Gaon (cf. à ce propos ce qu'écrit le rav Shmouel Ashkenazi, Alpha Beita Tanyata deShmouel Ze'ira, vol. I, p. 377-380).