Conversation 27774 - Espace entre les parachiot

nat93
Lundi 26 décembre 2005 - 23:00

pourquoi vaygash et vayehi ne sont pas séparées par un espace de 9 lettres; rachi nous donne deux explications
mais qui a séparé ainsi les parachiots à l'origine. Moché lui-même?

Nathan Schwob
Vendredi 21 avril 2006 - 11:56

Votre question se divise en trois:
1) Qui a institué la division du texte biblique en Parachot "ouvertes" et "fermées" (ouvertes = 9 lettres et passage à la ligne, "fermée" = 9 lettres au milieu de la ligne).
2) Qui a institué la division du texte biblique en péricopes (Parachat Hachavoua ou Sidra).
3) Pourquoi dans le cas de Vayeh'i, la division des Parachot ouvertes et de la péricope, ne coïncident pas, alors que c'est le cas pour tous les autres lectures hebdomadaires (Parachot Hachavoua).

1) La division en Parachot "ouvertes" et "fermées" à son origine au Sinaï. Voici deux textes qui en témoignent.
Le premier, que Rachi rapporte au début du livre de Vayikra, explique que D. appelait Moché avant chaque parole qu'Il lui adressait. "On aurait pu penser que cet appel se réitérait après chaque interruption, le verset dit donc "Vayikra-Vayedaber", pour enseigner que l'appel précédait une nouvelle parole mais pas les interruptions. À quoi donc servaient les interruptions? À laisser le temps à Moché de méditer entre chaque Paracha et entre chaque sujet. De là il faut conclure à fortiori que si Moché qui entendait de la Bouche de D. et parlait par esprit prophétique avait besoin de méditer entre chaque Paracha et entre chaque sujet, à plus forte raison le commun des mortels qui apprend de simples maîtres, se doit de le faire". (1)
Le second texte se trouve dans le Talmud Berachot (2) qui parle des chapitres lus durant la Kriat Chema. "On a voulu fixer la lecture de la Paracha de Balak dans la Kriat Chanta. Pourquoi cela mais n'a pas été fait? Parce que cela aurait été trop astreignant pour le public. Pour quelle raison voulait-on introduire cette lecture? … À cause du verset: "Il (Israël) s'est couché, comme un lion et un fauve qui oserait le relever? Ceux qui te bénissent seront bénis, ceux qui te maudissent seront maudis." (3). Et qu'on fixe de ne réciter que ce verset en guise de Paracha? On ne pouvait pas parce que nous avons appris qu'on ne découpe le texte que suivant les Parachot que Moché a découpées (4)".
Le Rambam fut confronté à un difficile problème: la halacha fixe que si l'espace libre définissant une Paracha a été omis, ou bien rajouté là où il n'y en a pas, ou bien qu'on ait inversé entre une Paracha ouverte et fermée, le Sefer Thora est Passoul, inapte à la lecture publique. Or il se rendit compte que les traditions étaient très différentes et voila ce qu'il écrit (5):
"Comme j'ai vu à ce sujet de grosses confusions dans tous les livres que j'ai vu, et que les Massorètes qui écrivent et rassemblent les "ouvertes" et les "fermées" afin qu'on les connaissent sont en discutions là-dessus suivant leurs livres de référence, j'ai trouvé qu'il fallait écrire ici toutes les Parachot de la Thora, fermées et ouvertes, ainsi que la forme des cantiques, afin de corriger de là tous les livres ou de les vérifier. Le livre sur lequel nous nous sommes basés, à ce sujet, est le livre connu en Egypte, qui inclut les vingt quatre livres (de la Bible), qui était à Jérusalem il y a plusieurs années afin d'y vérifier les livres. Tous le monde s'appuie sur lui parce qu'il a été revu et corrigé par Ben Acher qui y a travaillé méticuleusement pendant plusieurs années et l'a relu maintes fois, comme cela a été transmis. Je me suis moi-même basé sur lui pour le Sefer Thora que j'ai écrit suivant la Halacha".
Le Rambam a donc réunifié la tradition des Parachot à la base du manuscrit connu sous le nom du Keter d'Alep (Syrie). Tous les livres de la Thora aujourd'hui suivent le Rambam. (6)

2) Jusqu'à l'époque du Rambam (12ème s.) on trouvait encore deux traditions. Suivant la première, en provenance de la Terre d'Israël, on terminait un cycle de lecture tous les trois ans environ. La seconde, en provenance de Babylonie, est celle qui a cours de nos jours et qui permet de terminer un cycle de lecture chaque année. Bien que ce soit Moché lui-même qui ait institué la lecture de la Thora le Chabbat, il n'y a pas d'indications sur les divisions elles-mêmes qui remontent pourtant à l'aube des temps puisqu'on trouve qu'elles étaient connues en fin d'époque Mishnaïque. (7)
En ce qui concerne votre question, la Paracha de Vayeh'i fait partie de la division babylonienne des Parachot Hachavoua. Par contre il n'y a pas de signe de début de Sidra (la lettre Samech), pour Vayeh'i, dans la tradition en provenance d'Israël.
Votre question peut donc être reformulée ainsi: quel enseignement ont voulu nous transmettre les sages qui ont institués la division babylonienne de péricopes en fixant un début là où la division sinaïtique n'en a pas vu?
Mais si on compare les versets qui résument la vie de Yaakov, avec ceux qui résument la vie des autres personnages bibliques (Sara, Avraham, Yichmaël, Yitahak, Essav) il est quand même frappant que tous constituent une Paracha (ouverte) en soi. Votre question peut donc être reformulée ainsi, même dans le cadre de seconde tradition : quel enseignement la Thora a voulu nous transmettre en incluant le résumé de la vie de Yaakov dans la Paracha qui décrit la descente et l'arrivée de la famille de Yaakov en Egypte.

3) Vous citez judicieusement les réponses de Rachi, que les Cheélonautes sont invités à lire ainsi que d'autres dans "La voix de la Thora" du Rabbin Munk.

N.B. Il convient ici de rappeler que la division en chapitres et la numérotation des versets fut l'œuvre d'un moine anglais au 13ème siècle. Cette division ne tient pas compte de la tradition juive des massorètes. Par exemple elle divise les livres de Samuel, Rois et Chroniques en deux, alors qu'ils ne sont chacun qu'un livre. Souvent cette division en chapitres sous entend une exégèse chrétienne, par exemple le récit de la création se termine pour nous avec le Chabbat qui est l'achèvement et le but de la semaine. Dans la division en chapitres, le Chabbat constitue le début du deuxième chapitre. Il va sans dire que même si on ne peut plus remplacer cet outil de référence, on n'est pas obligé de lui donner plus d'importance que ce qu'il est, par exemple en marquant la fin du chapitre par un air spécial lors d'une lecture à la synagogue.

(1) Sifra Vayikra sur le verset (1,1).
(2) 12b.
(3) Balak 24,9.
(4) La Paracha de Balak pratiquement entière constitue une seule Paracha de 95 versets.
(5) Michné Thora. Lois du Sefer Thora Ch.8.Pa.3-4.
(6) À part Vayikra 7, 22 et 28, pour lesquels la tradition Ashkénaze et Séfarade sont en discussion avec celle du Yémen sur la manière de comprendre ce que le Rambam a écrit.
(7) Voir le résumé dans "Netiv Bina" Rav Yissachar Yaakobson. Tome2 p211.