Conversation 75863 - Quelle étude dans le Monde futur?

histoire
Mardi 5 août 2014 - 23:00

Shalom kvod haRav,

Hashem, Benit Soit-Il a cree la Torah avant le monde pour nous permettre par son etude, de savoir comment evoluer dans ce monde ci, et pour apprendre a Le connaitre.
La Torah est l'Histoire du Projet d'Hashem Benit Soit -il, et se rapporte donc a ce monde ci.
Alors, a quoi nous servira la Torah dans le olam aba ? puisque nombres de lois qui s'y referent concernent la matiere...

Qu'etudions nous dans le olam aba ? serait il possible que ce soit une autre Torah uniquement consacree a la connaissance d'Hashem Benit Soit-il ?

je vous remercie infiniment.

Shalom

Rav Samuel Elikan
Dimanche 13 septembre 2015 - 06:02

Shalom,
Désolé pour le temps de réponse.

Vous partez de plusieurs postulats qui ne sont pas évidents et qu'il nous faut étudier :

1. La Torah a été créée avant le monde.
2. L'étude de la Torah nous permet d'évoluer dans ce monde-ci.
3. La Torah est "l'Histoire du Projet de D'ieu" (sic).
4. Il y a une Torah dans le monde futur et elle a un but, et on l'étudiera.

Essayons de traiter ces postulats point par point.
Je dévoile déjà la fin - je crois qu'il faut tous les prendre au figuré.

La Torah a été créée avant le monde
Nos Sages nous enseignent dans le midrash [1] que six choses ont précédé la Création du Monde :
« Certaines ont été créées et d’autres ont été pensées être créées [avant la Création du Monde]. La Torah et le Trône Céleste ont été créés. La Torah, d’où l’apprend-on ? Du verset : « D’ieu me créa au début de son action [antérieurement à ses œuvres, dès l’origine des choses]» (Mishlei 8 :22). Le Trône Céleste d’où ? Du verset: « Dès l’origine, Ton Trône est ferme : Tu es de toute éternité » (Téhilim 93:2).

Les Patriarches, Israël et le Temple, ainsi que le nom du Messie ont été “pensés“. Les Patriarches, d’où ? Du verset: « Comme du raisin dans le désert [comme les premiers fruits mûrs sur le figuier, j’avais considéré vos Ancêtres] » (Osée 9:10) ; Israël, d’où ? Du verset: « Souviens-toi de ta communauté, que tu as acquis jadis [de ta tribu, ta propriété, que tu délivras] » (Téhilim 74:2) ; le Temple, d’où ? Du verset: « C’est un Trône glorieux, sublime de toute éternité, que le lieu de notre Sanctuaire» (Jérémie 17:12) ; le nom du Mashiah’, d’où ? Du verset: « Que Son Nom vive éternellement ! » (Téhilim 72:17).

Rabbi Ahava fils de Rabbi Zeira dit : la techouva (repentance) aussi [précède la Création], ainsi qu’il est dit « avant que les montagnes fussent nées [avant que fussent créés la terre et le monde, de toute éternité, tu étais le D’ puissant]» (Téhilim 90:2) et au même moment « tu réduis le faible mortel en poussière » (id. 90:3) ».

Nos Sages ne semblent pas très clairs.
Que signifie donc ce midrash?
Veulent-ils dire que certaines choses ont été crées avant d'autres ?
Il est vrai que nos Sages prouvent leur propos par des versets, cependant il semblerait moins qu'ils se contentent de les commenter, mais plus qu'ils veulent exprimer une idée. Il nous faut donc lire ce midrash comme une allusion.
Il semblerait que se tienne derrière ce midrash une idée fondamentale: avant la création du monde, celui-ci avait déjà un but.
Le monde n’est pas créé en vain, sans raison, par hasard.
D’ieu dévoile par la Création du Monde Sa Volonté et par là même le contenu, la direction ainsi que la raison pour laquelle le monde a été créé.
Et quel est donc le but du monde ?
Ce sont les choses qui ont "précédées" sa création, ainsi que l’expriment nos Sages : la Création ne fait qu’établir la possibilité de leur apparition, de leur présence (dans ce sens on dira que "l'essence précède l'existence")..

La Torah – source de la vie, de la création et son but
La première chose que nos Sages présentent comme « cause », comme raison, de la Création est la Torah [2]. Il semblerait que cela soit également le propos de la "traduction de Jérusalem" [Targoum Yeroushalmi sur Bereshit 1:1] traduisant « Bereshit » par « Avec la Sagesse (h’oh’ma), avec la Torah »,
tout comme l’expliquent nos Sages dans un autre midrash:

« “Au Commencement“ pour le Commencement, et il n’y a d’autre commencement que la Torah » [Bereshit Rabba 1,1 ; cité également par Rashi, ibid.].

Le Roi Salomon ne nous affirme-t-il pas dans ses Proverbes [3:19.] que « D’ieu a basé le monde avec [la] Sagesse »[3] ?

Premièrement, cela signifie que le monde est un acte "intelligent" qui a une finalité, un but.
D’ieu n’agirait donc pas aveuglement, mais avec une Sagesse infinie.

Il semblerait que l’idée voilée derrière tous ces propos est que toute la Création provient de la Sagesse, celle-ci en est la source [4].
En elle (= la Sagesse), par elle et avec elle D’ieu a créé le Ciel et la Terre.
Cette Sagesse est bien entendu la Torah, la Sagesse Divine [5], la Parole de D’ieu.

Ainsi, la Torah est effectivement la source de la vie, de toute Création ex nihilo.

« D’ieu a regardé dans la Torah pour créer le Monde », nous dit le midrash [Bereshit Rabba, 1, id.].

On peut illustrer cela par le fait que toute construction nécessite un plan d’architecture, de la même manière, le monde a son « plan ».
Cependant, il semblerait que les choses soient plus profondes que cela [6].

Que nos Sages veulent-ils nous dire en affirmant que le monde a un « plan » ?

En fait, il s’agit de bien plus qu’un simple plan.
En effet, dans notre conception des choses, un plan réalisé, une fois achevé, n’a plus aucune valeur, alors qu’il n’en est pas du tout ainsi de la Torah.
Sa réalité et sa valeur se réactualisent à chaque instant dans le monde.
Comme un plan constamment dynamique.
Dans la Torah, se cache le contenu inhérent du monde.
En effet, le monde est un dévoilement, une apparition de la Torah [7].

En d’autres termes, la Torah est l’âme du monde [8].

Le monde serait donc, dans ce sens, un dévoilement de l’idée de la Torah.

Par conséquent, plus celui-ci est proche de la Torah, plus il existe, si l’on peut s’exprimer de la sorte.

La Torah comprise en ce sens là, dépasse la définition matérialiste de parchemins de la Bible, ou de lois pratiques. Il s’agit de bien plus, d’un concept, de la somme de spiritualité et de vitalité du Monde. Il s’agit en fait du dévoilement même de la Volonté Divine.

La Torah sert alors de guide.
On ne saurait guère trouver de verset qui ne puisse nous enseigner un quelconque principe, un comportement ou une vision du monde [9].

Il ne s'agit pas seulement des 613 commandements qui sont des lois à proprement parler, mais chaque verset, tant dans son contexte que dans sa signification propre, nous guide.

Selon cette logique, il ne peut donc pas y avoir d’histoire banale dans la Torah.
La Torah nous apprenant comment nous comporter, comment faire, agir, comment nos Ancêtres ont agi, elle nous instruit, comme son nom l’indique [le mot Torah vient du mot hora’ah signifiant enseignement, en hébreu], tous, en tout lieu et en tout temps.

La Torah en ce sens là précède moins le monde qu’elle ne le dépasse.
Elle en est la finalité, ainsi qu’insiste le midrash [Bereshit Rabba 2,4]:

« Or la terre n’était que solitude [ou « sans forme »] et chaos [ou « vide »] ; des ténèbres couvraient la surface de l’abîme » – [ceci est une] allusion aux quatre exils, « et le souffle [ou « l’esprit »] de D’ieu planait sur la face des eaux » - il s’agit de l’esprit du Messie.

On peut alors effectivement dire que "toute l’histoire est déjà présente en filigrane dans la Torah" [10].
La Torah comprise ainsi, dans son sens abstrait, ne peut que dépasser notre entendement.
Cependant, elle nous reste intelligible, puisque D’ieu parle aux hommes dans leur langage (cf. T.B. Brah'ot 31b).
Cette compréhension voudrait alors lire la Torah ä plusieurs niveaux, et elle serait alors pleine d’allusions et d’enseignements voilés [11].

Ceci étant dit, on voit bien des différentes sources ramenées que les postulats évoqués ne sont pas à prendre au sens littéral, il s'agit bien d'allusions qui permettent de comprendre une idée plus profonde, le Principe de la Volonté Divine régissant le monde.
S'il en est ainsi, la Torah dépasse le simple concept d'halah'a, de lois et de normes, il s'agit ici de Volonté Divine.

Mais y a t-il un concept d'étude de la Torah dans le monde futur ?

Nos Sages enseignent qu'il n'y a rien de physique dans le monde à venir (TB Berah'ot 17a), ils nous expriment le fait qu'il s'agit d'une chose qui est inintelligible duquel même les Prophètes n'ont pas parlé (TB Berah'ot 34b)...
Par ailleurs, la Mishna au début du traité de Peah (cf. aussi TB Shabat 127a) dit bien que l'étude de la Torah fait partie de ces choses que l'on fait dans ce monde et dont on a le mérite dans le monde futur...
Ainsi, il est clair qu'il faut lire les midrashim parlant d'une éventuelle étude dans le monde futur, comme une allusion, à une proximité avec la Divinité (cf. Maharal, Netiv HaTorah, chap. 9).

Toutes ces choses là ne sont pas à prendre au pied de la lettre, mais son l'expression d'idées très profondes que nos Sages voilent dans ces midrashim.

Cordialement,

Notes :
(1) Bereshit Rabba 1,4 – cf. cependant T.B. Pessah’im 54a et T.B. Nédarim 39b qui en comptent sept et la Techouva, parmi ces choses ; et Pirkei deRabbi Eliezer chap. 3 (et Radal, ad loc, lettre 21 – par rapport au verset ramené relativement au nom du Mashiah’) qui compte à la place des Patriarches et Israël, le Jardin d’Eden et le Guéhinom, tout comme le Tana devei Eliahou Rabba, chap. 31. Cf. également Zohar, parashat Tsav 34b qui semblerait être la source de Rabbi Shlomo fils de Rabbi Yitzh’ak, auteur d’une des selih’ot dites lors du Jeûne de Guédalia « Az terem nimtah’ou » ; Shoh’ar Tov, 93 ; Tanh’ouma, Nasso, 11 ; et le Sifrei sur Ekev, 37 qui décompte la Torah, le Temple et la Terre d’Israël ; Yalkut Shimoni, Mishlei 942.

(2) Cf. Introduction du Ramban à la Torah, basé sur T.B. Shabat 88b : la Torah aurait été écrite feu noir sur feu blanc, dans des éléments surnaturels, puisque le naturel n’existait pas ; cf. encore Torat Haminh'a du Rav Yaakov Sakili, droush 7 qui souligne bien la place et l'importance de la Torah dans la Création ainsi que son lien à celle-ci.

(3) Cf. encore Jérémie 10:12 et 51:15 ; Sefer Raziel Hamalah', s.v. shin ; Sefer Sodei Razia 1,18 ; Maggid Devarav Le’Yaakov, 102; Sefer Ba'al Shem Tov sur la Torah, Bereshit 6; etc. – la Création n’est que la résultante de la Sagesse Divine.

(4) cf. Ramban sur Bereshit 1:1 qui donne une explication ésotérique d’un midrash : « et c’est une allusion à la sefira de h’oh’ma » ; cf. encore Re'aia Méheimna, Pinh'as 248a ; Shaarei Orah du Rav J. Gikatilia, sur le nom Adnout, appelé parfois yam ; intro. du Rav E. DiVidash à son Reishit H’oh’ma, etc. La littérature ésotérique sur le sujet est très vaste.

(5) Midrash Tanh'ouma, Vayeleh' 2 ; Orot HaKodesh 1, chap. 1. Il y a cependant une différence entre la Torah et la Sagesse dans le monde ésotérique, le Zohar ne dit-il pas que la Torah provient de la Sagesse (torah mih’oh’ma nafka) ? En fait, nos Sages, à plusieurs reprises voient dans la Sagesse qui est Divine un synonyme à la Torah, Divine elle aussi. Alors que dans la kabale, la h’oh’ma, la Sagesse, constitue un attribut, une sefira – au niveau de la conscience humaine on dira qu’il s’agit de tout élément, étincelle première, de Vérité qui ne peut être défini, ni compris, mais uniquement ressenti (cf. p. ex. Sfat Emet, Yitro, 5654). D’aucuns ont proposé que la Sagesse était l’état premier de la Torah, ses principes essentiels, tels l’acte premier (maasseh bereshit) et la direction Divine du monde (maasseh merkava), cf. Gan Naoul du Rav Naftali Hertz Wessely (1725-1805), selon T.B. Yevamot 109b et T.B. H’aguiga 11b ; « Cours de notre maître Rav David Cohen - le Rav HaNazir - sur Orot HaKodesh 1 » (en héb.), Aharon Mondschein, Jérusalem, 2011, p 15.

(6) cf. Introduction du Maharal de Prague à son livre Tiffèret Israël ; Netivot Olam, Netiv HaTorah, fin du chap. 4 ; début de l’introduction au « 138 portiques de Sagesse » du Ramh’al.

(7) Le Gri"z de Brisk, dans ses (nouveaux) h'idoushim (siman 83) en conclue que lorsque le Monde va selon la Torah, alors tout va selon l'ordre Divin et la nature peut alors suivre son cours normalement, sans catastrophes aucune, dans la plus grande des perfections. Par contre, lorsque celle-ci n'est pas respectée par le Monde entier, chacun à son niveau, les non-juifs en respectant les sept lois Noah'ides, les Juifs en respectant tous les commandements de la Torah et en montrant la voie morale à suive, alors il n'y a ni guerre, ni catastrophe.
Par conséquent, conclue-t-il, dans le futur, lors de la Délivrance, il n'y aura pas de guerre et cela ne sera pas un événement surnaturel : le monde au contraire, suit son cours, en allant dans la Voie Divine.
Le Rav Yossef Engel va encore plus loin. Dans ses h'idoushim sur Shevi'it (Otzerot Yossef, p. 51), il considère qu'étant donné que D'ieu a crée le Monde selon la Torah, tout ce qui est "promis" dans la Torah a le même statut qu'une loi de la nature, cependant ceci n'est vrai, ajoute-t-il que si cette loi est midéoraïta (thoraïque), si elle n'est que rabbinique par contre, ladite promesse n'a plus aucune valeur et on ne peut pas compter dessus. Cf. encore resp. Ateret Paz I, 2 Y.D. 8.

(8) C’est la relation que D’ieu « entretient » avec Sa création, cf. Torat H’ovot HaLevavot de Rabbeinou Bah’ya Ibn Pakuda, portique 1, chap. 10 ; Rambam, Guide des Perplexes I, 58 ; Kouzari II, 2 ; Sefer HaIkarim II, 22. Cf. encore Midrash Téhilim 103, 4 selon l’interprétation du Shomer Emounim (HaKadmon – de Rav Yossef Irgaz) II, 9-11 (pour d’autres lectures ou versions, voir T.B. Berah’ot 10a ; Vayikra Rabba 4, 8 ; Devarim Rabba 2, 26 ; Pirkei deRabbi Eliezer, chap. 34 ; Tikounei Zohar, 13 (28a) ; voir aussi Dereh’ Hashem du Ramh’al, I). D’ieu est partout, mais Sa Présence n’est pas ressentie (Yioun Yaakov sur Berah’ot 10a).

(9) cf. introduction du Ralbag à la Torah, édité de manière exacte selon manuscrits par le Rav B. Brenner et le Rav E. Freiman, éd. Maaliot, Maaleh Adumim, 5753 (1993), p. 1-13.

(10) Le Ramban dans son commentaire de la Torah démontre ce point à maintes reprises : tel événement ou telle parole ne sont que les prémices de faits qui se dévoileront plus tard dans l’histoire. Cf. encore T.B. Ta'anit 9a, Zohar II, 12a, 55b et 59b.

(11) Cf. Rav Alexandre Safran, La Cabale, Payot, Paris, 1988, I, chapitre 1, "réduction de la pensée", p. 27.