Conversation 79185 - L'étude au féminin

Lauelhe
Dimanche 22 novembre 2015 - 23:00

Chalom,

je sais que l'étude de la Thora et l 'étude en général n'est pas une obligation pour les femmes;
Cependant , pouvez vous préciser la place de l'étude dans la vie d'une femme juive?
que dit la loi sur ce point ? et peut on faire des exposés ou participer à des débats où des hommes sont présents?
peut on intervenir, donner un avis un questionnement....

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Rav Samuel Elikan
Lundi 14 décembre 2015 - 08:32

Shalom,

1. Nos Sages nous enseignent dans le traité de Kidoushin (29b) que les femmes ne sont pas astreintes à l'étude de la Torah ; cela s'apprend du fait que le père est exempté d'enseigner à sa fille, ainsi - elle n'est pas astreinte à étudier. Toutefois, selon le Talmud, il semble bien que si elle veut étudier, elle le peut parfaitement, c'est juste qu'elle n'y est pas astreinte comme les hommes. Il n'y a donc ici aucune interdiction pour les femmes d'étudier, au contraire, c'est juste qu'elles ne sont pas astreintes.

En outre, dans le traité de Sotah (chap. 3, Mishna 4) il existe une discussion si le père a le droit/devoir d'enseigner la Torah à sa fille.
Ben Azzai - un des rabbins de la Mishna - pense qu'il s'agit là d'un devoir, le père doit enseigner la Torah à sa fille, alors que Rabbi Eliezer - autre rabbin - soutient que c'est une perte de temps.

La guemara interroge le point de vue de Rabbi Eliezer (TB Sotah 21b) et explique qu'il pensait que plus on est intelligent, plus on peut devenir "vicieux", c'est pour cela que pour lui il ne sert à rien d'enseigner à sa fille la Torah.

Le Méïri de Perpignan (Sotah, id) explique que lorsque le Talmud parle de "devenir vicieux", il veut dire qu'on en arrive à devenir orgueilleux, à se pavaner de notre savoir, surtout dans une société très peu savante et à cause de cela à croire qu'on comprend certaines choses qu'en réalité on ne comprend pas vraiment jusqu'au bout (c'est ainsi que le Rav Wozner comprend également ses propos - resp. Shevet HaLévy VI §150).

Le Rambam (Maïmonide - hil. Talmud Torah 1,13) écrit : "une femme qui étudie la Torah a un mérite, une récompense, mais pas comme un homme, car elle n'est pas astreinte et quiconque accomplit un acte pour lequel il n'est pas astreint reçoit une récompense moindre que celui qui est astreint...".
Ses propos sont repris par le Tour et le Shoulh'an Arouh' (YD 246,6).

Toutefois, le Rav Samson Raphaël Hirsch écrit (comm. sur Devarim 11,19) que le père est certes exempté d'enseigner à sa fille la "lamdanout" - l'érudition, mais il doit lui enseigner toutes les connaissances religieuses pratiques, et la compréhension de la littérature religieuse nécessaire à la "Avodat Hashem". Et il conclue en affirmant que cela fut toujours ainsi au sein du Peuple Juif et il y a en cela aucune différence entre hommes et femmes, garçons et filles.
Il revient sur cette idée dans son Sidour (Tefilat Israël, Jérusalem, 1952, p. 70).

Le Rav Moshé Feinstein (resp. Iggrot Moshé YD III, §87) quant à lui pense qu'il est permis d'enseigner à une femme tout ce qui est lié au "moussar", à l'éthique, tels Pirkei Avot, le Tanah', etc. mais pas la Torah Orale et ce, afin d'éveiller à l'amour de la Torah et aux bonnes "midot", au bon comportement.

Le H'ida (Tov Aiy'in, §4) écrit que toutes ces discussions ne touchent que les jeunes filles qui ne sont pas encore "mûres" et n'ayant pas suffisamment d'outils cognitifs afin de comprendre seules. Toutefois, s'il s'agit d'une personne plus âgée et ayant des "intentions pures" (sic) - telle Berouria - il n'y a aucun problème du tout. (cf. aussi Ma'ayan Ganim, lettre 10).

Le Prisha (YD 246 s.k. 15) écrit que tout cela parle de l'éventuel devoir (ou interdit selon certaines compréhensions de l'avis de Rabbi Eliezer) du père à enseigner à sa fille, mais si une femme étudie par elle même - il n'y a en cela aucun problème.
C'est également l'avis du Rav Shah' (Avi Ezri sur hil. Talmud torah, id.).
cf. encore Torah Temima sur Devarim chap. 11, lettre 48.

Dans le Sefer H'assidim (§313) il est écrit que l'homme a l'obligation d'enseigner à sa femme les commandements, comme les halah'ot pratiques, car sinon comment pourra-t-on respecter la halah'a ? C'est également l'avis du Rema (YD 246,6) qui tranche que la femme a l'obligation d'étudier les lois qui la concernent. Le Gaon de Vilna (s.k. 26) rapporte comme source l'avis des Tossafot sur Sotah (21b s.v. ben azzai).
Le Beit Yossef aussi OH 47 écrit, en se basant sur le Sefer Mitzvot Gadol, que les femmes récitent la bénédiction sur la Torah (Birkat HaTorah) justement parce qu'elles sont astreintes à étudier les lois qui les concernent. (cf. cependant resp. Beit HaLévy I, §6 et resp. Avnei Nezer YD §352)

Le Rav Israël Méir Kagan, auteur du fameux H'afetz H'ayim et du non moins fameux Mishna Beroura écrit dans son "Likoutei Halah'ot" sur Sotah, 3ème chapitre :

"toutes ces discussions touchent les générations précédentes, ou chacun habitait avec ses parents et la tradition était très forte, et tous suivaient les instructions des plus âgés... alors on pouvait dire que les femmes ne doivent pas étudier la Torah... mais aujourd'hui... alors que la transmission de la tradition s'est beaucoup affaiblie et beaucoup n'habitent plus avec leur parent, en particulier celles qui apprennent la littérature et sciences profanes, c'est très certainement un grand devoir que de leur enseigner la Torah... afin d'approfondir leur foi".

Il revient sur ces propos dans une lettre (imprimée dans le livre "HaH'afetz H'ayim ouPealo", t. III, p.1213). [cf. encore resp. Zekan Aharon (Wolkin) II, §66].

Des propos similaires sont tenus par le Rav Zalman Sorotzkin, Av Beit Din de Lotzk (resp, Moznayim LaMishpat, t. I, §42) - "il n'est pas seulement permis d'enseigner la Torah... aux filles de notre génération, mais c'est un devoir clair, une obligation".

Ainsi que par :
- le Rabbi de Loubavitch (Iggrot Kodesh I, 259),
- le Rav Mordeh'ai Eliahou (resp. Maamar Mordeh'ai, t. I YD §11),
- le Rav H'ayim David HaLévy (resp. Asseh Leh'a Rav, t. II, §52),
- le Rav Yossef Dov Soloveitchik (MiPninei HaRav, Likoutei Hanhagot, p. 167).
- le Rav Aharon Lichtenstein (Be'Ayot Yessod Beh'inouh'a shel Ha'Isha, in B.Tz. Rosenfeld (éd.), "La femme et son éducation" (en héb.), Kfar Saba, 1980, p. 158-159 ; cf. aussi les propos du R.Y. Kappah', id. p. 32-33)
- le Rav Moshé Malka (resp. Mikvé HaMayim III YD §21)
- le Rav Ben-Tzion Fierrer (revue Noam n°3, p. 131)
Tous soutiennent que les temps et normes sociales ont changé, c'est pourquoi de nos jours, les femmes seraient astreintes à étudier !

(Toutefois, le Rabbi de Tzanz-Kausenbourg émet une critique générale envers ces avis (resp. Divrei Yatziv YD §140), selon lui il est dangereux d'affirmer cela ainsi, parce qu'après les gens commenceraient à dire que pour d'autres choses aussi "les temps ont changé" et viendraient à cause de cela à annuler des halah'ot et aliéner la Torah - sa peur peut se comprendre, mais on voit bien que c'est un avis bien fondé chez les décisionnaires de ce siècle - cf. encore l'article du prof. Yehouda Lévy, "L'avis du Rambam sur l'étude des femmes" (en héb.) dans la revue HaMa'ayan, n°34 (1), Tishrei, 5754 (1993), p. 10).

C'est donc que l'étude, pour tous les juifs, femmes ou hommes, est d'une importance capitale.

Nos Sages nous enseignent (T.B. Shabat 127a) que l'étude de la Torah équivaut à tous les commandements ("veTalmoud Torah kenegued koulam").
La raison de cette équivalence réside dans le fait qu'il est nécessaire d'étudier, de réfléchir et de penser par soi-même pour forger sa propre identité.
Celle-ci sera alors basée sur la confiance en nos prédécesseurs.
Cette confiance, à la différence d'une foi "mystique", illogique (comme le dit Tertullien, De Carne Christi, ch.5 - "je crois parce que c'est absurde") et détachée du monde des actes (cf. T.B. Baba Kama 17a: la Torah nous conduit à l'acte) - prouve notre intérêt à rencontrer notre tradition, nos Ancêtres.
Ceux-ci étaient loin d'être "bêtes" et il est tout en notre intérêt d'essayer d'étudier leurs propos, leurs interprétations, afin de les questionner et de forger notre propre identité.
Ce lien de confiance ("emoun" en hébreu) est peut-être même plus important même que la foi ("emouna" en hébreu), comme le dit le Midrash (Eih'a Rabba, Ptih'ta, 2): "Rav Houna et Rabbi Yirmia disent au nom de Rabbi H'iya fils d'Abba - le verset dit (Jérémie 16) "et ils M'ont abandonné et Ma Torah ils n'ont pas gardé" - si seulement ils M'abandonnaient et gardaient Ma Torah ! (Car) par leur étude et intérêt en celle-ci, la lueur qui est en elle les ramèneraient à l'excellence".
Ou dans les termes de Levinas, dans "Difficile Liberté", "Aimer la Torah plus que Dieu".

Le Rav Y.D. Soloveitchik ne disait-il pas aussi (Al HaTeshouva p. 296) :
"Je ne suis ni cabaliste ni mystique. Je ne parle de la proximité de Dieu que du fait que je l’expérimente sitôt que j’ouvre mon Talmud. En me plongeant dans l’étude, j’ai la sensation que Dieu se tient derrière moi, sa main sur mon épaule, examinant la page, demandant sur quel sujet je planche. Ce n’est pas un effet de mon imagination mais une expérience réelle"

2. Concernant la question de faire des exposés et/ou participer à des débats où des hommes sont présents, il n'y a aucun interdit, ni problème, parfois cela peut constituer - selon la norme sociale - "un manque de pudeur", tout dépend du contexte et du lieu. Voyez la 70031 et surtout le resp. Avné Dereh' qui y est cité.

Cordialement,