Conversation 83832 - Fromage cacher

star blue
Vendredi 27 juillet 2018 - 16:06

Bonjour Rav Samuel Elikan,

 

et tout d'abord, merci pour votre réponse.

Le problème reste cependant très épais et opaque, j'ai en effet chez moi un parmesan Grana Padano cacher indiquant qu'il comporte de la présure.

J'ai trouvé sa description, qui est la suivante: "Produit à partir de lait cru, partiellement écrémé par décantation spontanée, le grana padano est déposé dans des cuves en cuivre en forme de cloches à l’envers. On lui ajoute un levain lactique naturel et de la présure de veau, comme il est d’usage pour la coagulation. Vient ensuite l’étape du tranché-caillé et l’égouttage dans une toile de lin. Chaque nouvelle meule est placée dans un moule appelé «fascera». 

Alors, puisqu'il comporte de la présure d'origine animale et ne s'en cache pas, comment peut-il être autorisé??

Vert Bosquet propose des emmentals rappés coagulés à base d'enzymes et ils sont autorisés. L'Ermitage propose des râpés sans présure animale et ils sont autorisés.

Le chavroux comporte cette composition: "lait de chèvre et crème de chèvre pasteurisés - sels fin (1,2%) - arôme naturel de chèvre." Il n'est pas autorisé.

Les fromages végétariens sont, par essence même, exempts de toute présure animale. Ils ne sont pas autorisés.

Le parmesan Grana Padano comporte lui, de la présure animale et il est autorisé.

C'est à n'y rien comprendre.

Les emballages des rappés Vert Bosquet et l'Ermitage sont strictement les mêmes, avec ou sans tampon...Difficile de croire qu'il y a une production spéciale pour nous, quand le paquet est strictement le même que celui d'Auchan et que la seule différence entre les deux réside en la présence d'un petit tampon en surimpression ou collé...  Le prix pourtant est presque deux fois supérieur dès qu'un tampon est apposé et cela a un tel impact sur nos budgets...

Un paquet strictement identique,  mais obligés de le payer deux fois plus cher parce qu'il y a un tampon, sur une produit qui de toutes façons se défend d'utiliser de la présure animale...Et au contraire, consommer de la présure animale avec Grana Padano...

La mozarella Galbani est cacher en Italie. Elle devient taref dès qu'elle traverse la frontière, quand bien même elle a été fabriquée en Italie...Le pays dans laquelle on la consomme la rend cacher ou taref, c'est selon...

Désolé, mais quand les choses qu'on nous présente n'ont pas de logique, comment adhérer à la démarche qu'elles exigent? 

 

 

 

Rav Samuel Elikan
Mardi 14 août 2018 - 15:49

Shalom,

Il y a une logique certaine, mais il suffit de la comprendre.

Je vais essayer de faire de l'ordre.

Je reprends en résumé :

1. Comme dit dans la précédente réponse, le Talmud nous donne 6 raisons de l'interdit de consommer du fromage produit par un non-juif ! Cela veut dire qu'aucune d'entre elles n'est "la raison"... et qu'il y a là un décret dont la raison n'est pas claire.

2. Les Rabbin au Moyen-Âge se posent la question quant à savoir quelle raison a été "tranchée", c'est-à-dire définie comme principale (s'ensuivent toutes sortes de retombées pratiques !).

3. La discussion touche également le processus de fabrication :

    A. Selon la majorité des rabbins (1a) - peu importe le processus s'il n'est pas fait ou au moins supervisé par un juif - le fromage n'est pas casher, c'est un décret et il n'est pas "annulable" sans Sanhédrin. Certains ajoutent que c'est le cas même si l'on sait que la présure est tout à fait naturelle, sans additif, sans rien - le décret s'applique quand même (1b) !

    B. Certains (1c) comprennent cependant que lorsque l'on sait que le fromage est intégralement produit à base de présure végétale - il n'y a pas d'interdit (car pour eux le décret n'est pas forcément lié à la présure).

    C. D'autres (1d) comprennent que cela n'est permis que dans des lieux où toutes les productions de fromage sont élaborées de manière permise, c'est à dire sans aucun produit animal (hormis le lait) et avec des fleurs - mais si une partie des productions utilise d'autres produits, comme de la présure animale - le décret s'applique et rien ne saura être permis sans la surveillance d'un juif. Par ailleurs, même dans le cas où tout le monde utilisait de la présure végétale, ces rabbins requéraient de voir des traces de ces fleurs dans le fromage (!).

 

4. Concernant la présure animale :

- si celle-ci provient d'un animal casher, il n'y a aucun problème à l'utiliser, mais cela requiert la présence d'un shoh'et c'est ainsi que les fromages casher ont toujours été (et devraient être) majoritairement produits.

- en outre, l'avis de certains décisionnaires (2) est que lorsque la présure est produite à partir d'intestins animaux complètement séchés, puis écrasés en poudre, ceux-ci n'ont plus de goût et peuvent être alors considérés comme "du bois" (3).

Quoi qu'il en soit, même dans ce cas, la présence d'un juif est nécessaire, du moins a priori, à cause du décret dont nous avons parlé dans la précédente réponse (et ici au point 3. A.).

Cela est valable aussi pour une présure d'origine végétale ; la présence d'un juif est nécessaire à priori pour rendre la fabrication casher.

 

5. Concernant le fromage qui n'est pas à pâte dure :

Certains décisionnaires (4) ont voulu distinguer le fromage blanc et celui à pâte dure.

Pour eux, le décret rabbinique ne touchait que le fromage dur, puisque ce dernier devait être fermenté alors que ce n'est pas toujours le cas des autres fromages qui peuvent "se tenir" seuls, avec le temps.

Le Rav Moshé Feinstein (5) propose ainsi de permettre tous les fromages blancs (qui ne contiendraient aucun additif qui ne serait pas casher, bien entendu), sans avoir besoin de surveillance. 

Toutefois, à la fin de sa réponse il écrit explicitement ne pas vouloir donner la permission, mais n'est également pas prêt à interdire et à s'opposer à ceux qui sont moins rigoureux à ce sujet.

Le Rav Y. Y. Weinberg (6) va plus loin encore et écrit que, surtout en l'absence d'autres ingrédients de base, il sera tout à fait permis de consommer du fromage blanc sans surveillance.

A l'opposé de ces avis, le Rav Y. M. Epstein (7) écrit :

"Et en cela le fromage est plus grave que le lait. En effet, le lait est interdit à cause d'un mélange possible avec du lait impur et il ne fut point décrété de l'interdire ainsi, sans raison. Or le fromage fut le fruit d'un décret et rien ne pourra y changer, comme l'ont déjà écrit les anciens. Selon cela, bien que nous produisions le fromage avec de la peau d'intestins animaux séchés "comme du bois", considéré comme de la poussière de terre et qui ne comporterait aucun interdit, comme nous l'avons écrit au siman 87, ou encore du fromage simple, comme nous en avons, qui n'est nullement fermenté - malgré tout l'interdit est toujours là..."

 

 

6. Concernant la mozarella : 

En Italie, il existe une tradition antique qui n'existerait pas ailleurs, selon laquelle du fromage produit à partir de présure naturelle (fleurs, etc.) serait permis (8). Ceci s'ajoute au fait que la mozarella puisse parfois être considérée comme du fromage qui n'est pas "à pâte dure".

Toutefois, en dehors de l'Italie, personne ne semble suivre cet usage - la halah'a généralement acceptée imposant une vérification du processus à cause du décret, comme dit plus haut.

 

En espérant redonné un sens aux choses.

Cordialement,

 

Notes :

(1a) c'est l'avis des Guéonim et c'est également l'avis du Rambam (hil. Ma'ah'alot Assourot 3,14), du Shoulh'an Arouh' (YD 115,2), du Gaon de Vilna (id. s.k. 13), etc.

(1b) cf. Torat HaBayit HaAroh' du RaShbA III, 6 et dans ses responsa t. IV, §106 ; etc.

(1c) cf. Tossafot sur T.B. Avoda Zara 35a s.v. h'ada au nom des Sages de Narbonne et Beit Yossef (YD 115) qui cite cela comme l'usage italien.

(1d) cf. Rabbenou Menah'em HaMéïri de Perpignan, Beit HaBeh'ira sur T.B. A.Z. 35a au nom de ses maîtres.

(2) dont le Rav Yeh'iel Mih'al Epstein, dans son Arouh' HaShoulh'an - Y.D. 87,43 ; le Rav Yehouda Leib Tzirelssohn de Kichinev dans son resp. Atzei HaLevanon §43 ; le Rav Yehouda Leib Graubart dans son resp. H'avalim baNe'imim t. III, §23 ; ou encore le Rav Y. E. Henkin dans Edout Le'Israël - mador Halah'a - également rapportés par le Rav Shlomo Zalman Braun dans son excellent She'arim Metzouyanim BaHalah'a, t. I, p. 207 sur le Kitzour Sh. Ar. §38, al. 14 - s.k. 14.

(3) cf. Rema YD 87,6.

(4) cf. resp. Shevet HaLévy t. IV, §86 qui soutient qu'il s'agit d'une discussion entre le Radbaz (Rabbi David ben Zimra, grand-rabbin d'Egypte au 16ème siècle) qui interdirait et le Pri H'adash (Rabbi H'izkiya da Silva, grand-rabbin de Jérusalem, quelques années plus tard) qui permettrait. Le Rav Wozner craignant l'avis du Radbaz en vint à interdire certains yaourts à cause du décret des fromages...

(5) resp. Iggrot Moshé, Y.D. II, §48 ; cf. encore id. Y.D. I, §50

(6) resp. Sridei Esh t. I, §19

(7) Arouh' HaShoulh'an, Y.D. 115, 16

(8) Usage des italiens, rapporté dans le Beit Yossef, Y.D. 115 et tranché par le Rema, id. uniquement pour les endroits qui ont cet usage, selon l'avis - également rappelé dans la précédente réponse - de Rabbenou Tam qui cite l'usage des sages de Narbonne. cf. encore note 1c. Cela suit également les propos de Rabbi Eshtori HaPareh'i qui cite cet usage dans son livre Kaftor vaPerah' (chap. 5, éd. Luntz, p. 67).