La devinette du mois de Nissan

Devinette

Je suis quelque chose d'interdit pendant tout le mois de Nissan et pourtant bon nombre de juifs me pratiquent quand même, tout à fait légalement - cela figure même dans la Shoulh'an Arouh' ! 
Qui suis-je ?

 

 

Avez-vous trouvé ?

 

 

 

Réponse :

"Je suis quelque chose d'interdit pendant tout le mois de Nissan" - le jeûne ; il est interdit de jeûner durant tout le mois de Nissan (Sh. Ar O.H. 429,2).

Le H'atam Sofer (resp. OH §103) va même jusqu'à dire que si quelqu'un a pour usage de jeûner tous les lundi et jeudi pendant l'année - durant le mois de Nissan, il ne devra pas le faire - même après la fête de Pessah'.

On ne jeûne pas non plus lors de la date du décès d'un parent (pour ceux qui ont cet usage), durant ce mois (Rema, ad loc ; d'ailleurs on ne doit même pas "rattraper" de jeûnes du mois de Nissan (deuil, où si par erreur on aurait jeûné shabat, etc.) durant le mois d'Iyar - cf. Maguen Avraham OH 429, s.k. 6 ; H'ok Yaakov, id. s.k. 9 ; etc.)

"et pourtant bon nombre de juifs me pratiquent quand même ( = le jeûne), tout à fait légalement - cela figure même dans la Shoulh'an Arouh' !" - 

Il s'agit bien entendu : 

- du jeûne des rêves (ta'anit h'alom - rapporté par le Rema OH 429,2)

- du jeûne des premiers-nés (Sh. Ar OH 470) ; 

- du jeûne des mariés lors du jour de leur mariage 
(Rema OH 573 ; Levoush, id. ; H'ok Yaakov OH 429, s.k. 8 ; Sh. Ar. HaRav, id. s.k. 9 ; et ce, bien que selon le Emek HaTeshouva (rapporté dans Otzar Halah'ot t. VII, p. 23) il faille alors seulement jeûner une demi-journée, car l'avis du Nah'alat Shiva (rapporté dans le Eliah Rabbah OH 573, s.k. 3) est qu'il ne faille pas jeûner du tout lorsqu'on se marie en Nissan)

 

*

Il est à noter que la source du jeûne des premiers-nés est dans Masseh'et Sofrim - qui est également la source du fait de ne pas jeûner durant le mois de Nissan ! - et ces deux usages sont rapportés par le Tour et le Shoulh'an Arouh'.

Cf. ici : https://www.cheela.org/conversation/77101/79071/Dispense-du-je%C3%BBne-des-premiers-n%C3%A9s
 

Il est encore à noter qu'il existe une version dans le Talmud de Jérusalem où il est dit que les premiers-nés "profitent" ce jour là (veille de Pessah') - "mit'aneguim" terme très proche de de "mit'anim" - signifiant "jeûnent" avec une lettre, le "guimel", en plus... 

Ce qui a poussé certains Admourim H'assidiques - dont le rav Tzvi Hirsh Eichenstein (1763, Sambor - 1831, Zidichov), grand kabaliste et auteur du HaAteret HaTzvi, à ne pas jeûner lors du jeûne des premiers-nés... (cf. Pe'er Itzh'ak (Zidichov), chap. 25, al. 4).

Le "Minh'at Elazar" de Munkacz (dans son "Divrei Torah", V, §9 ainsi que dans Nimoukei Orah' H'aim 429, tout comme dans son Darkei H'ayim veShalom §576) s'insurgea contre un tel usage, contraire au Shoulh'an Arouh'

Cf. encore la réponse du Rav Tzvi Elimeleh' Shapiro de Błażowej, auteur du "Tzvi La'tzadik" (1841-1924) aux attaques du Rabbi de Munkacz (Toldot HaAteret Tzvi chap. 12, al. 9) ; ainsi que les propos rapportés dans le livre Guevilei Efraim (p. 222) au nom de Rabbi Mordeh'ai David Kahana de Spinka affirmant au nom de son père, Rabbi Yossef Méïr de Spinka qui avait une tradition - remontant au Ateret HaTzvi - que ce dernier n'aurait pas jeûné parce qu'il ne comprenait pas l'utilité de ce jeûne.

En effet, disait-il, si on célèbre un miracle, pourquoi jeûner ?

Il vaut mieux faire une fête !

Jusqu'à "ce qu'on lui dévoile du Ciel" (sic) qu'il y avait une faute dans le texte de Masseh'et Sofrim et que le bonne version, selon lui, est ce qui est rapporté dans le Talmud de Jérusalem, c'est-à-dire que les premier-nés doivent profiter de la veille de Pessah'!

cf. encore resp. Minh'at Itzh'ak II, §93.

 

La raison de cette contradiction réside dans l'origine même de ces "lois". 

En effet, dans Masseh'et Sofrim (21,1) - traité "tardif" datant de l'époque des guéonim, donc après la fin de la rédaction talmudique - il est dit qu'on ne jeûne pas durant le mois de Nissan, hormis pour le jeûne des premiers-nés. 

Il n'y est pas fait mention d'une raison particulière, hormis celle - rapportée également par le Rav Yossef Karo (auteur du Shoulh'an Arouh') dans son commentaire sur le Tour (Beit Yossef OH 429) - que le 1er Nissan, le Sancutaire (Mishkan) a été construit (Shemot 40,17), puis pendant douze jours les chefs de tribus (Nessi'im) ont amené leurs offrandes (Bamidbar 7,11) et chaque "nassi" (chef de tribu) faisait une fête lors de "son jour" ( = d'offrande), puis suivirent les 7 jours de Pessah' ; et étant donné que la majorité du mois était fêtée - on dit " que le mois est sacré" (sic) et donc on ne jeûne pas, ni ne récitons de supplications, etc.

Cependant, dans Masseh'et Sofrim même (ibid.) il est rapporté que les "tznouyim" (les pieux, littéralement les "pudiques") jeûnaient à la veille de Pessah' - afin d'avoir de l'appétit.

Les Tossafot (Pessah'im 108a s.v. Rav Shishat) semblent dire qu'il s'agit de personnes qui ont pris sur elles de jeûner.

Et les Tossafot ne manquent pas de s'interroger - est-il permis pour "embellir un commandement" (hidour mitzva) - en l'occurrence les commandements du séder - de transgresser la loi de ne pas jeûner durant le mois de Nissan ?

En outre, le Rav Yehoudah ben Shmuel Rosanes (1657-1727), grand rabbin de Constantinople, s'interroge aussi dans son "Mishneh LaMeleh'" (hil. Klei HaMikdash 6,9) sur ce jeûne des premiers-nés.

En effet, la veille de Pessah' était le moment - lorsqu'on avait un Temple à Jérusalem - de la préparation du sacrifice de l'agneau pascal. 

Or, l'on sait bien qu'il est interdit de jeûner (ou de travailler) lorsque l'on amène un sacrifice (Rambam, hil. Klei HaMikdash, id. ; Rashi et Toss. sur Pessah'im 50a s.v. Makom - selon Rambam et Rashi, il s'agit d'un usage, alors que les Tossafot disent qu'il s'agit d'une "loi" rabbinique).

Et - si ce fut le cas à l'époque, ce devrait être le cas aujourd'hui encore - de la même manière qu'il est interdit de jeûner pendant le reste du mois de Nissan en souvenir de sacrifices offerts par les "nessi'im"...

Le "Mishneh LaMeleh'" se sent alors forcé de répondre que le jeûne serait un ancien "décret" connu de tous qui n'a été mis par écrit qu'à l'époque des guéonim dans Masseh'et Sofrim...

Toutefois, cette hypothèse semble difficile à admettre.

 

Nous avons donc une question qui se pose suite à notre devinette :

* Comment est-il possible de jeûner la veille de Pessah' (lorsque l'on prend le jeûne sur soi - pour avoir faim lors du séder, notamment) alors même qu'il est interdit de jeûner pendant le mois de Nissan (Tossafot) ?

Et surtout - comment était-ce possible d'institutionnaliser le jeûne des premiers-nés, alors que c'est un jour de sacrifice et donc interdit de jeûner (Mishneh LaMeleh') ?