Pourquoi jeûne-t-on le 10 Tévet ?

  • Qui a institué le jeûne et pourquoi ?!

Les prophètes instituèrent un jeûne le 10 tévet (Zacharie 8:19). 

La raison à cela est qu'en ce jour, Nabuchodonosor (Nevouh'adnetzar), roi de Babylonie, vint avec ses armées assiéger Jérusalem et c'est à partir de ce siège que commencèrent les catastrophes qui s'achevèrent par la destruction du premier Temple et l'exil de la Présence divine (Rois II 25:1-4 et Jérémie 52:4).

Certes, à l'époque du deuxième Temple, le siège de la ville commença à une autre date (1), toutefois, on peut affirmer, avec nos Sages (1*), que le processus de destruction du Temple et de la royauté d'Israël fut amorcé le 10 tévet.

Le rav David Aboudraham (2) soutient ainsi que le jeûne du 10 tévet est sensiblement différent aux autres jeûnes, puisqu'il n'est jamais "déplacé", même s'il tombe un vendredi ; il ne peut avoir lieu que ce jour-là, sans pouvoir être avancé à la veille ni repoussé au dimanche suivant. Selon lui, cela s'apprend d'un verset du livre d'Ezéchiel (24, 2) :

בן אדם כתוב לך את שם היום את עצם היום הזה סמך מלך בבל אל ירושלם בעצם היום הזה.
« Fils d'homme, écris pour toi le nom de ce jour-là même, de ce propre jour : le roi de Babylone s'approche contre Jérusalem, "en ce jour-là même" ».

Il faut que ce jeûne, commémorant le début du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor, ait lieu « en ce jour-là même », tout comme Yom Kippour (3).

 

  • Permis et interdit

Toutefois, il est à noter que ce jeûne n'est pas du tout comparable à celui de Kippour à bien des égards.

En effet, il y est permis de se laver, parfumer, travailler, mettre des chaussures en cuir, d'avoir des relations intimes (4).

Par ailleurs, même l'interdit de manger et boire y est infiniment moins strict :

toutes les femmes enceintes ou allaitant (5), ainsi que quiconque étant malade ou qui ne se sentirait pas bien (6) est formellement exempté de jeûner le 10 tévet, le jeûne ayant été institué pour des personnes en bonne santé uniquement.

 

  • Un mélange de plusieurs jeûnes ?!

Puisqu'un jeûne avait déjà été fixé à la date du 10 tévet, on y a joint d'autres événements affligeants liés aux "jeûnes du 8 et 9 tévet", ayant eu lieu quelque peu antérieurement.

Rabbi Yaakov Baal HaTourim rapporte (7) au nom du livre Halah'ot Guedolot (8) une liste de jours de jeûne :

"le 8 tévet la Torah fut écrite en grec, à l'époque du roi Talmaï plongeant le monde dans l'obscurité pour trois jours ; le 9 tévet - nous ne savons pas quel est le malheur qui eut lieu..."

Si la traduction de la Torah en grec, le 8 tévet fut un événement aussi "dur que le jour où le Peuple d'Israël fauta avec le veau d'or" (Masseh'et Sofrim 1,7), la raison du jeûne du 9 tévet n'est pas claire du tout !

Certains soutiennent que nos Sages avaient "oublié" la raison du jeûne, alors que d'autres soutiennent qu'ils voulaient la voiler.

Au fil des générations, plusieurs explications furent proposées (9) :

  1. - la mort d'Ezra le Scribe (10).
    A son propos, nos Sages soutiennent qu'il eût été apte à ce que la Torah fût donnée par son biais ; simplement, Moshé (Moïse) le précéda (T.B. Sanhédrin 21b). Il apparaît donc que, dans la transmission de la Torah, il a un rôle primordial, à tel point qu'il est comparé à Moshé ! Ainsi, comme membre de la Grande Assemblée (Anshei Knesset HaGuedola), il prit personnellement dix décisions importantes (T.B. Baba Kama 82a) posant les bases de l'œuvre réglementaire de la Torah orale, invitant par là même les Sages qui lui succéderont à prendre des directives et à ériger des normes rabbiniques protectrices autour de la Torah (cf. Avot 1,1). Certains l'identifient même, lui qui revint de Babylonie afin d'édifier le deuxième Temple, avec le prophète Malachie (T.B. Méguila 15a). En d'autres termes, Ezra symbolise par sa mort le passage la prophétie à la Sagesse - le dernier des prophètes relevant de la Torah écrite et le premier des sages de la Torah orale ; illustre maître, servant de "chaînon médian" entre la Torah écrite et la Torah orale. Véritable amoureux du Peuple Juif et de sa terre, Israël, il se soucia beaucoup de la collectivité, en effet, il fut l'un des guides du retour de Babylonie en terre d'Israël, et l'un des bâtisseurs du deuxième Temple.
     
  2. - le pogrom de Grenade en 1066 (11).
     
  3. - le jour où Esther fut prise par le Roi Ah'ashverosh (Assuerus) (12).
     
  4. - le mort de l'apôtre Pierre (13) ou encore le jour de la naissance de Jésus (14) ! Ces dernières raisons seraient plus là pour indiquer que ces jours furent marqués par de nombreux pogroms et persécutions au fil des générations.

 

Le Grand-Rabbinat d'Israël, lui aussi, ajouta un thème supplémentaire, et décida, le 27 Kislev 1950, que ce jour du 10 Tévet serait celui du Kadish général, pour toutes les victimes de la Shoah dont on ne connaît pas la date de décès (15).

 

Ainsi, le jeûne du 10 tévet, commémore tous ces tristes événements, ensemble.

 

Le Rav Tsvi Yehouda Kook (16) rappelait que pour transformer les commémorations du 10 tévet, en éléments concrets, pratiques, nous devons corriger trois choses :

1) Concernant le siège de Jérusalem - renforcer les « murailles » de Jérusalem en construisant le pays d'Israël matériellement et spirituellement.

2) Concernant la mort d'Ezra - renforcer l'étude et la diffusion de Torah, surtout pour lutter contre l'assimilation, en rassemblant les exilés en Israël, à l'exemple d'Ezra.

3) Concernant la traduction de la Torah en grec - clarifier la pensée juive et sa culture, en déracinant les "mauvaises influences" qui s'y seraient attachées pendant l'exil et la domination des nations, afin de revenir à une certaine originalité, indépendance de pensée.

 

Puissions-nous mériter la Délivrance pleine et entière et voir ainsi ce jour de jeûne se transformer en jour de joie !

 


(1) Ce fut alors le 14 Nissan qui avait alors pour but de "coincer" Jérusalem qui était dans un état de "surpopulation" à cause des gens qui montaient en pèlerinage (aliyah laRéguel) - cf. à ce propos F.M. Colautti, "Passover in the Works of Flavius Josephus", éd. Brill Leiden, 2002, p. 124.

(1*) Tossefta Sota, chap. 6, hal. 1-11.

(2) Sage espagnol du XIVème siècle - Séfer Aboudraham, p. 254.

(3) Le Rav Yossef Karo (auteur du Shoulh'an Arouh' - 1488-1575) ajoute cependant (Beit Yossef, O.H'. §550) qu'il ne comprend pas d'où l'Aboudraham tire cela... cf. cependant dans le livre du Rav Méïr Simh'a de Dvinsk (1843-1926), Or Saméah' sur le Rambam, lois de jeûnes, chap. 5, hal. 6 qui explique la logique du Aboudraham.

(4) cf. Shoulh'an Arouh' O.H'. 550,2 et comm. Concernant les douches à l'eau chaude - cf. Tossafot sur Ta'anit 13a, s.v. "vekhol" ; Torat HaMoadim 1,6 ; Piskei Teshouvot 550,7, etc.

(5) cf. Piskei Teshouvot 550,1 - qui rapporte l'avis de rabbins h'assidiques que toute femme qui peut enfanter serait dispensée ; de manière similaire, certains vont jusqu'à dire que toute femme ayant enfanté dans les 24 mois est exemptée du jeûne même en n'allaitant pas - c'est notamment l'avis du Maharsham de Brenzen dans son Da'at Torah, §550 et d'autres encore - cf. ce qu'écrit le Rav Ovadia Yossef dans resp. Yeh'avé Da'at I, §35.

(6) Arouh' HaShoulh'an O.H'. 550, s.k. 1 ; Kaf HaH'ayim (Sofer), O.H'. 550,6 et 554,31. Il s'agit de tout malade, même si sa vie n'est pas en danger - "h'olé she'ein bo sakana" - catégorie comprenant même le cas d'une migraine ou des personnes souffrant de problèmes cardiaques, etc. cf. Shmirat Shabat Kehilh'ata (Neuwirth) au début du chap. 33 pour la définition de "h'ole she'ein bo sakana", et pour le cas de la migraine, selon l'avis d'un docteur, en note, ad loc.

(7) Lois des jeûnes - O.H'. 580,2.

(8) Rav Shimon Kaïra Gaon, Halah'ot Guedolot, lois de Tish'a Be'Av, éd. du Rav A. Hildesheimer, t. I (Mekitzei Nirdamin, Jérusalem, 1972), p. 397

(9) cf. à ce propos l'article du prof. H'ayim Simons, "raisons du jeûne du neuf tévet" (en héb.), dans la revue Sinaï n°106 (1990), p. 138-151.

(10) c'est l'explication, notamment, des commentateurs du Shoulh'an Arouh', le TaZ, le Maguen Avraham (Gombiner) et le Mishna Beroura ad loc. Ils se baseraient tous sur le fait que cette tradition soit rappelée dans les textes liturgiques des "selih'ot" du 10 tévet.

(11) cf. à ce propos Sefer HaKabala de Rabbi Avraham ibn Daoud (imprimé dans "Seder HaH'ah'amim veKorot HaIttim", Oxford, 1888, p. 73) :"ועמד על כנו ר' יהוסף הלוי בנו (של רבי שמואל הנגיד)... ויקנאו בו סרני פלשתים עד שנהרג ביום השבת בתשעה בטבת שנת ד'תתכ"ז הוא וקהל גרנאטה וכל הבאים מארצות הרחוקות לראות תורתו וגדולתו ואבלו היה הולך בכל מדינה ומדינה ובכל עיר ועיר. ומימי רבותינו ז"ל הקדמונים שכתבו מגילת תענית וגזרו תענית בט' בטבת ולא ידעו על מה הוא ומכאן ידענו שכוונו ברוח הקדש ליום זה".

(12) Rabbi Moshé Isserles, dans son commentaire sur la Meguilat Esther - "Meh'ir Yayin", Jérusalem, 1956, p. 44.

(13) H'ayim Simons écrit que la source à cela serait dans une note du Rav Barouh' Téomim-Frankel sur le Shoulh'an Arouh' (Meguinei Eretz sur O.H'. 580) à propos de "Shimon HaKalpous", aussi connu sous le nom de Pierre :"מצאתי בכתב יד שבט' טבת נפטר שמעון הקלפוס שהושיע את ישראל בצרה גדולה בזמן הפריצים נקבע יום מיתתו לתענית עולם בירושלים". Il est cependant à noter quand dans les resp. Divrei Yatziv (H'oshen Mishpat §81, al. 7), le Rabbi de Tzanz-Klausenburg soutient qu'il s'agirait plutôt de la mort de Shimon ben Guyiora. Quoiqu'il en soit, la thès supportant qu'il s'agissait du disciple de Jésus, Pierre, semble étonnante ! En fait, cela serait basé sur le livre parodique "Toldot Yeshou" très répandu au Moyen-Âge où il est dit que Pierre était un juif pharisien espionnant "sous couverture"... A propos de ce livre, cf. Moshé Sofer, "Notes sur le livre Toldot Yeshou HaNotzri", dans la revue Yeroushatenou n°2 (2008), p. 72-77 ; Yaakov Deutsch, "Témoignages sur la version ancienne du Toldot Yeshou", dans la revue Tarbitz n°69,2 (2000), p. 177-197; William Horbury, "The "Toledot yeshu" as Midrash", dans Midrash Unbound (2013), p. 159-167.

(14) Shlomo Yehouda Rappaport (1867-1790), Iggrot Shir (1885), §202 ; Leopold Zunz (1794-1886), Der Ritus des synagogalen Gottesdienstes, Berlin, 1919, p. 126. Cette raison est basée sur des propos du Rav Avraham bar H'iya HaNassi (1070-1136) dans son Sefer Ha'Ibbour (Londres, 1851, p. 109) : "...וביום כ״ה מן החדש הזה תהיה תקופת טבת כופלת לדברי שמואל אם תהיה נופלת בלילה, ואם תהיה נופלת בשעות מן היום היא נופלת ביום פ״ד מן דיגבר, וביום כ״ה ממנו הוא יום לידת אלהיהם לדברי הטועים אחריו והוא יום איד גדול מלכות הרשעה"

(15) cf. à ce propos Rav Yéhouda Shaviv, "Kevi'at Tzom Assara BeTevet leYom HaKadish HaKlali", dans HaRabanout HaRashit Le'Israël, Shiv'im shana lé'Yissouda, t. II (éd. I. Warhaftig), p. 449-451 et Rav Yeshaya A. Steinberger, "Assarah BeTévet - Yom HaShoah, shéhafah' leYom HaKadish HaKlali", dans la revue Shana beShana, 1991, p. 378-285.

(16) Sih'ot HaRav Tzvi Yehouda, Mo'adim, Assarah BeTévet, cité par le Rav Eliézer Melamed, dans son Pninei Halah'a, sur le jeûne du 10 Tévet.