Conversation 57810 - Témoin dans sa propre cause
57798
Pourquoi une femme ne peut-elle témoigner au même titre qu'un homme en vertu de la halakha ? et a fortiori quand il s'agit d'un crime commis contre elle ?
« Nul ne peut être témoin dans sa propre cause. » Cet adage est appliqué par la Tora, la victime faisant partie de ceux que l’on appelle נוגעים בדבר (« concernés par l’affaire »).
57810
Pourquoi une femme ne peut-elle témoigner d'une cause qui ne serait pas la sienne ?
Une femme ne peut témoigner en justice, explique la Guemara (Chevou‘oth 30a), parce qu’il est écrit dans la Tora : « Se tiendront les deux “hommes” qui ont la querelle devant Hachem, devant les kohanim et les juges qui seront en ces jours-là. (Devarim 19, 17) »
Ce verset, explique la Guemara, concerne les témoins. Les hommes en question, en effet, y sont « deux », tout comme doivent être deux les témoins.
58168
Pour quelle raison ce verset de Devarim n'envisage que la possibilité que les témoins soient des hommes ?
Là se situe donc ma question.
Merci.
Ainsi que je l’ai souligné dans ma réponse à la question N° 58168, la Guemara s’appuie sur le verset de Devarim 19, 17 qui parle de « deux hommes » (שְׁנֵי אֲנָשִׁים), à l’exclusion de femmes.
58182
Bonjour,
J'avais bien saisi le sens de votre réponse à la question 58168, mais ma question 58182 portait sur le sens de ce verset lui-même.
La voici reformulée :
Pour quelle raison la Torah (écrite) n'envisage-t-elle de témoins que de sexe masculin ?
Merci
Il existe des mitswoth qui échappent à toute rationalité et qui doivent être observées sans que l’on puisse en chercher les raisons. On les appelle des חוקות ou « statuts ».
Le cas le plus connu est celui de la vache rousse, dont même le roi Salomon, pourtant le plus sage de tous les hommes, a renoncé à comprendre la signification.
De même, c’est l’homme qui est soumis à la mitswa de la procréation, et non la femme. Peut-être peut-on considérer comme des חוקות, et donc comme des lois irrationnelles, toutes les prescriptions de la Tora qui sont applicables aux hommes et non aux femmes.
Ces conceptions paraissent aujourd’hui absurdes, alors qu’on les tenait jadis comme normales, lorsque les principes de l’égalité des sexes n’avaient pas encore acquis droit de cité dans les civilisations au sein desquelles nous baignons.
58206
Bonjour,
Merci pour votre réponse, dont, hélas, j'appréhendais déjà les contours. Il s'agit là d'une réponse dont je ne puis, en toute franchise, me satisfaire.
Comme vous, peut-être, comme d’autres, certainement, je redoute d'avoir à me réfugier dans cet « asile de l'ignorance » que constitue la volonté de Dieu, asile qui plus est on ne peut plus achevé dès que l'on invoque les 'Houqim. Mais sur une question comme celle-ci, m'y réfugier m'est tout bonnement impossible.
C'est en effet face à des difficultés telles que celles-ci que j'en viens encore à douter du caractère « divin », absolu, de la Torah ; ce dont volontiers je me passerais, je vous l'assure.
Pour caricaturer ma pensée, je dirais que j'ai la conviction intime qu'une discrimination si patente, si elle devait rester inexplicable, serait bien trop grotesque pour être le fruit de je ne sais quelle émanation transcendante, et face à cette stupéfaction, l'artifice « 'Hoq » s'avère à mes yeux infiniment trop facile. En d’autres termes, si je faisais mienne votre réponse, serait-ce au mieux un subterfuge que j’opposerais à mon indignation, leurrant ainsi, tout simpplement, ma conscience, « comme si de rien n'était ». Ce que je tente de ne jamais faire, et là est peut-être ici mon principal tort.
« Ces conceptions paraissent aujourd’hui absurdes, alors qu’on les tenait jadis comme normales, lorsque les principes de l’égalité des sexes n’avaient pas encore acquis droit de cité dans les civilisations au sein desquelles nous baignons. »
Si la Torah s'assure elle-même immuable, si la « volonté divine » se pose comme effectivement sous-jacente à sa législation, ce que vous écrivez me paraît inconcevable. Quelles qu’aient été les abominations dans lesquelles l’humanité se fourvoya des millénaires durant, quelles que soient les abominations dans lesquelles elle se fourvoie encore, au-delà même de celles-ci, la Torah n'a-t-elle vocation à constituer un phare suprême, intrinsèquement (et extrinsèquement) irréprochable, puisque expression d’une parole divine non seulement incontextualisable, mais littéralement parfaite ? Et dans une telle perspective, n'aurait-elle pu dépasser encore davantage les turpitudes de « son époque », en imposant, en la matière, des règles rétroactivement recevables, en fait, les meilleures, les plus justes qui puissent être conçues ?
Enfin, pour l’anecdote, s’il convient finalement d’entendre l’expression de la Torah comme caduque, puisque à renvoyer à une époque d’écriture révolue, je me demande pourquoi ce sont ces mêmes mots que nous lisons avec tant de gravité et d’estime chaque semaine, dans toutes les synagogues, mots constituant un texte que, en dépit des millénaires, nul n’osa réactualiser, tout en restant un juif à part entière.
J'en viens donc à vous interroger sur la façon dont vous lisez le cœur même d’un patrimoine dont vous vous attelez à éclairer le sens, ici même, avec le dévouement que chacun vous connaît.
Merci
Je vous remercie de cette contribution.