Conversation 85300 - C'est Super Ouman?
Bonjour,
Voila j'ai fait mon alya avec ma femme et mes 3 enfants il y a un peu plus d'un an et dans ma communauté francophone dans laquelle je prie, un groupe s'organise pour passer Roch-Achana a Ouman. Je ne sais pas si on va pouvoir y aller mais si oui, j’hésite un peu: d'un cote c'est un événement tres particulier et important, plein de kedousha etc... mais d'un autre ca m'embete un peu de laisser ma famille bien que ma femme m'a donne son feu vert pour la bonne cause. En plus je crains un peu avec le Covid qui revient. Je sais que c'est un maque de Emouna et que tout est entre les mains de D... Vous pouvez me donner un peu de hizouk pour m'aider a surmonter mes craintes?
Shalom,
Tout d’abord, j’apprécie votre question et vos hésitations. C’est une qualité de savoir se remettre en question et de ne pas se ruer vers un mouvement de foule quand bien même il serait positif et constructif, chose dont vous avez le sentiment concernant le fait de se rendre à Ouman pour y passer la fête de Rosh-Hashana.
Plusieurs points sont à prendre en considération en abordant cette question.
Premièrement, il convient de s’interroger sur la motivation, le but et l’utilité d’un tel voyage. Il est vrai que R' Nahman de Breslev a dit que tout celui qui viendrait lui rendre visite jouirai de multiple bienfaits, essentiellement spirituels (1) . En admettant que cette promesse soit authentique, il n’est pas clair qu’il faille en conclure qu'elle soit toujours d'actualité même après sa mort. De plus, la citation selon laquelle celui qui se rendrait à Ouman à Rosh-Hashana se verrait, après 120 ans, octroyé le privilège de se faire "sortir de l’enfer par les peot" (2) n’est à mon avis pas à prendre au sens littéral du fait qu'elle n'est pas tout à fait en accord avec ce que la Torah nous enseigne. Contrairement à d’autres religions, il n’y a pas de remède magique pour que les péchés d’un juif et ses erreurs soient expiées. Cela nécessite un travail interne de repentir, le regret et l’abandon de ses fautes de manière sincère et profonde. Il est vrai que dans les sources “bresleviennes”, on trouve aussi cette condition à savoir que la promesse ne serait effective si et seulement si le pèlerin s’engageait à "ne pas revenir sur le mauvais chemin" (2b), chose qui est a priori une condition suffisante pour éviter l’enfer, ce qui rend le voyage à Ouman superflu.
Mais admettons que ces promesses soient indiscutables, n’y a-t-il pas d’autres moyens pour y arriver ? Est-on vraiment obligé de passer par Ouman à Rosh-Hashana pour en jouir ? Comment faisaient les juifs avant de pouvoir s’y rendre ? Mieux encore, comment faisait-on avant la naissance (et accessoirement le décès) de Rabbi Nahman ? Vous pourriez me rétorquer que bien que ce ne soit pas le seul moyen, pourquoi s’y opposer ? La difficulté est qu’à mes yeux, les préjudices causés par ce voyage l’emportent largement sur les bienfaits qu’il pourrait apporter.
D'abord,comme vous le mentionnez dans votre question, dans cette crise sanitaire mondiale de la pandémie du Covid-19, nous nous devons de prendre le plus de précautions possibles pour éviter de porter atteinte à sa propre santé et à celle des personnes qui nous entourent. Nous avons assez de recul à présent pour comprendre à quel point ce virus est enclin à mettre des vies en danger sans vraiment avoir la faculté de prévoir pour qui et dans quelles conditions la maladie sera plus grave voire fatale.
La Torah, nos Sages et les décisionnaires sont catégoriques: la vie prévaut sur les mitsvot et il demeure une obligation de les transgresser en cas de danger, quand bien même il résiderait un doute quant à la conséquence mortelle de ce danger. De même, il est interdit de risquer sa vie pour accomplir une mitsva, à plus forte raison pour toute autre motif. Jusqu’à preuve du contraire, se rendre à Ouman à Rosh-Hashana, ne constitue aucune mitsva. Il va donc de soi que mettre sa propre vie et celles de milliers d’autres en danger dans cette grande promiscuité et l’exposition que supposent toutes les étapes de ce voyage, à l’aéroport, dans l’avion, à proximité du tombeau, n’a aucune justification tant sur le plan halakhique que celui du bon-sens. J’entends ces derniers jours de nombreux rabbins, députés, hommes d'affaire issus des milieux religieux exprimer leur colère contre les autorités qui envisageraient d’interdire aux israéliens de voyager à Ouman, considérant le fait de ne pas avoir interdit aux gens de partir en vacances vers d’autres destinations comme discriminatoire à leur égard. Bien que je puisse saisir la logique de l’argumentation, je ne comprends pas du tout que cette plainte soit exprimée. Ces personnes, baignées dans l’étude et la connaissance de la Torah, devraient au contraire remercier et encourager les autorités dans cette décision en totale corrélation avec la halakha et dissuader les gens plus simples de participer à cette expédition qui mettrait en danger non seulement ceux qui y participeraient mais aussi la globalité de la population israélienne à leur retour.
Dans votre question, vous considérez comme un manque de foi en Dieu le fait de redouter un tel voyage dans ce contexte. Je suis désolé de vous le dire mais c'est une conception erronée par rapport à celle que prône nos Sages. Le Talmud dit que "tout est entre les mains de Dieu sauf la crainte de Dieu" (3). Le Rambam (Maimonide) explique (4) que contrairement à la compréhension populaire de cette citation des Sages, selon laquelle tout ce qui arriverait à l'homme serait décidé par Dieu et qu'il n'aurait aucune emprise dessus, la vérité est que l'individu a le contrôle sur tout ce qui dépend de lui-même. Par exemple si une personne sort torse nu en hiver sous la neige et qu'il tombe gravement malade, il ne pourra s'en prendre qu'à lui-même et ne pourra pas prétexter que c'est Dieu qui lui a réservé un tel sort. Par contre, les données sur lesquelles l'homme ne peut influer comme ses caractères physiques innés (sa taille, sa couleur de peau...), le climat etc... sont effectivement entre les mains de Dieu. Sans cette perception d'une totale liberté de la personne sur ses actions, la Torah, qui exige de l'homme d'accomplir tel ou tel acte et qui le punit ou le récompense en fonction de son obéissance à ces exigences n'aurait pas lieu d’être. Par conséquent, vos craintes sont totalement en adéquation avec celle de la Torah qui nous demande d’être vigilants face à une telle situation.
Une autre point que j’ai déjà partiellement traité dans une précédente réponse, "Que penser du petit Chmouel" en le phénomène qui veut que plus l'expérience vécue est hors du commun et sensationnelle, plus le caractère religieux qu’elle revêt est important, me semble problématique. Selon cette approche, tout événement saint, la prière, les fêtes etc… qui ne ferait pas monter le taux d'adrénaline ne serait pas considéré comme idéal. Comme expliqué dans la réponse mentionnée, cette erreur découle de l’influence de la culture chrétienne incarnée aujourd’hui par la société occidentale qui prône l’extraordinaire au sens littéral du terme. Ici encore, la Torah voit cela d’un œil diamétralement opposé. Je me concentrerai uniquement sur le sujet qui nous intéresse, à savoir, se rendre sur les tombeaux des tsadikim pour y prier et demander à recevoir des bienfaits matériels ou spirituels. Dans la paracha de Shoftim (5), la Torah décrit une série de pratiques idolâtres, les proscrit et conclut par l'expression : "Sois intègre avec l’Eternel ton Dieu", c'est-à-dire, selon la plupart des commentateurs, qu’on ne devra pas chercher à découvrir de quoi sera fait le futur par des voies illicites mais nous nous devons de vivre le présent et d’accepter avec simplicité et humilité ce que Dieu nous donne, dans le bon comme dans le moins bon. Un des usages répertoriés dans cette liste est le fait d’interroger les morts. Si cette interdiction n’inclut évidemment pas le fait de se rendre au cimetière de temps à autre, un des plus grands décisionnaires du XVIIIe siècle, R’ Avraham Danzig tranche que "les simples d’esprit qui se rendent sur les tombes des défunts et qui leur parlent et leur racontent leur soucis, sont proches de faire partie de cette définition [d’interroger les morts]. Et il y a certains Gueonim (sages ayant vécu dans le dernier quart du 1e millénaire de l’ère chrétienne, principalement en Babylonie) qui ont voulu completement interdire de se rendre au cimetière" (6). Le Rambam écrit explicitement qu’"on n’érige pas de pierre tombale pour les tsadikim, leurs paroles sont leur souvenir, et l’on ne devra pas aller rendre visite à leurs tombeaux" (7). Il existe même un témoignage selon lequel le Gaon de Vilna ne rendait pas visite à ses défunts parents pour qu’on ne le soupçonne pas d’interroger les morts (8) . Force est de constater que bien qu’il ne soit pas à proprement parler interdit d’approcher la tombe du tsadik, il y a lieu de ne pas en faire le centre de son service divin, qui est le contraire de ce voyage à Ouman où l’accent est mis justement sur cela.
Dans votre question, vous évoquez le fait qu’il vous est difficile de vous séparer de votre femme et de vos enfants mais que votre femme vous soutient dans ce choix car c'est "pour la bonne cause". Posez-vous la question de savoir si elle vous y aurez poussé si vous ne lui aviez pas soufflé l’idée ? Et si vous étiez le seul à le faire dans votre entourage, aurait-elle été aussi favorable à un tel voyage ? Votre femme vous aime certainement énormément pour vous accorder ce privilège mais qu’en est-il d’elle et de vos enfants ? N’est-il pas plus sain - voire saint – de commencer la nouvelle année au sein de sa famille ? Comment les enfants saisissent-ils le fait que leur père ne sera pas avec eux durant cette fête pour aller ailleurs par choix et dans un but essentiellement personnel? La problématique n’est pas uniquement sentimentale ou psychologique, elle relève également du domaine religieux. Hormis le caractère solennel et grave de ce jour, Rosh-Hashana est une fête dans laquelle de nombreuses traditions familiales et communautaires s’expriment. Que ce soit concernant les prières et les mélodies particulières à la synagogue ou les simanim du Seder si différents de maison en maison, il y a là une véritable occasion de transmettre ces valeurs à la génération suivante. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? De mon point de vue et celui que j’ai reçu de mes maîtres, absolument pas. Notre génération, y compris au sein des milieux religieux, a malheureusement tendance à dénigrer ces valeurs simples mais authentiques et est constamment à la recherche de nouvelles expériences, toutes plus exotiques et scintillantes les unes que les autres. C’est fort regrettable.
A présent, je voudrais mettre en lumière un thème qui me parait primordial dans l’approche de cette question, à savoir, la place d'Eretz Israel (la terre d’Israël).
Tout d’abord sur un plan purement halakhique, il convient de nous poser la question : dans quelle mesure a-t-on le droit de quitter la terre d’Israël. C’est un sujet qui pourrait et devrait faire l’objet d’une réponse à part entière. Je n’en énumérerai ici que les grandes lignes, les plus pertinentes à notre sujet.
La source de cet interdit se trouve dans le récit biblique, dans le livre de Ruth. Ribbi Shimon Bar Yohai voit la mort d’Elimelekh, Ma’hlon et Kilion comme une punition au fait qu’ils soient sortis de la terre d'Israël bien qu’étant les grands de la génération (9). Dans le traité de Guittin (10), Rav Safra raconte que lorsque les rabbins d’Israël raccompagnaient leurs acolytes venus de l’étranger vers leur domicile, ils s’arrêtaient à Ako "car il est interdit de sortir de la Terre d’Israël". Ce texte suppose clairement l’existence de cet interdit de manière globale sans aucune réserve. Cependant, dans le traité d’Avoda Zara (11), il est spécifié qu’il serait permis de le faire pour se marier et étudier la Torah. Le Rambam dans son œuvre halakhique du Mishne Torah (12) tranche de la même façon. Néanmoins, il conclut que "bien qu’il soit permis de partir dans un tel cas, ce n’est pas une bonne chose comme on le voit de Mahlon et Kilion qui étaient deux Grands en leur génération et qui sortirent d’Israël en une époque de grande misère et furent punis par une mort sans enfant en exil". Chez certains décisionnaires plus récents, on trouve d’autres conditions pour permettre cet interdit. Sans entrer dans les détails, ils élargissent cette autorisation en cas de nécessité. Certains, certes minoritaires, vont jusqu’à permettre de partir en vacances en dehors d’Israël. Concernant la possibilité de se rendre sur les tombes des tsadikim, certains le permettent, arguant qu’il s’agit d’un besoin spirituel (13), d’autres l’interdisent (14) ne considérant pas cela comme une nécessité. On témoigne que des élèves du Rav Shlomo Zalman Orebakh, l’un des plus grands décisionnaires du XXe siecle, lui ont demandé s’il était permis de voyager dans le Nord pour prier sur les tombes des tsadikim pendant la période des études. Il leur répondit que lorsqu’il voulait prier sur les tombes de tsadikim, il restait à Jérusalem et se rendait à Har Herzl, là ou sont inhumés les soldats d’Israël, tombées pour la sanctification du nom de Dieu (15).
En résumé, même s’il est indéniable que ceux qui quittent le pays pour un quelconque besoin qu’il soit d’ordre matériel, mental ou spirituel ont sur quoi s’appuyer, il est assez évident qu’on ne peut en aucun cas faire de cette tolérance un idéal. Certes, je peux concevoir le besoin de vouloir "s’aérer" en allant visiter des contrées plus ou moins lointaines, mais je ne comprends pas que dans les milieux religieux, cela puisse être perçu comme une normalité tout à fait légitime jusqu’au point d’organiser ce genre de voyage en publiant des formules comme "lamehadrin min hamehadrin", très strict religieusement, en totale inadéquation avec la nature même du voyage. Sur un plan purement personnel, il m’est assez difficile d’entendre les personnes autour de moi, en particulier quand elles sont religieuses, s’enthousiasmer à l’approche d’un tel voyage et de s’empresser de partager à leur retour leur expérience, louant la grâce des paysages et la beauté des monuments. Je ne peux m’empêcher de voir l’affront fait à la terre d’Israël par de tels propos.
Hormis l’aspect purement halakhique concernant le fait de la quitter, la terre d’Israël est investie d’une dimension intrinsèque allant bien au-delà de ces dernières considérations d’ordre pratique. Dans le traité de Ketoubot ,le Talmud affirme "qu’il est préférable de vivre dans une ville remplie idolâtres en terre d’Israël plutôt qu’en dehors d’Israël dans une ville juive dans sa majorité car tout celui qui vit en terre d’Israël est considéré comme ayant un Dieu et celui qui vit en diaspora est considéré comme dénué de Dieu" (16). Comment comprendre cette citation des Sages qui parait si incongrue a priori. Le Ramban (Nahmanide), dans son commentaire sur la Torah (17) explique que tous les pays sont gouvernés spirituellement par des anges conformes au peuple souverain qui jouent le rôle d’intermédiaire entre lui et Dieu mais que la terre d’Israël est gouvernée directement par Dieu sans aucun écran entre Lui et Son peuple. On comprend alors aisément la valeur inhérente de demeurer en Eretz Israel indépendamment de l’entourage voire des actions de l’individu lui-même. Ribbi Yossef Karo, auteur du Shoulkhan Aroukh, qui résidait à Tsfat (Safed) dans le nord d’Israël, a écrit un livre très particulier: le Magid Meisharim. La singularité de cette œuvre repose dans le fait que tout ce qui y est écrit a été révélé à l’auteur par un "Magid" , qu’on pourrait assimiler grossièrement à un ange. Deux siècles plus tard, cette-fois en Lituanie, le Gaon de Vilna, rabbin et kabbaliste, doté d’une sagesse phénoménale et investi d’une profonde sainteté, reçu la visite d’anges qui voulaient eux aussi lui révéler des secrets et des enseignements de la Torah. Il refusa catégoriquement et les renvoya vers leur sphères spirituelles sans qu’ils aient pu lui transmettre quelconque connaissance. Ses élèves lui demandèrent immédiatement en quoi diffère son cas de celui de R’ Yossef Karo ayant accepté volontiers les paroles du Magid. Il leur répondit tout simplement que lui était en Eretz Israel. De ce fait, les dires du Magid étaient complètement purs, dénués de toute influence externe. Alors que dans son propre cas, résidant en dehors de la terre d’Israël, il y avait un risque que se mêle à la Torah que les anges lui auraient enseigné des messages impropres, fruits de l’emprise spirituelle nocive du pays dans lequel il se trouvait. De même, Le Maharal de Prague explique que Dieu a placé les nations dans le pays qui leur était adéquat (18). De ce fait, la situation d’un juif hors d’Eretz Israel est contre-nature, à l’instar d’une fleur qu’on essaierait de faire pousser en dehors de son milieu naturel. Le Rav A.I Kook exprime également cet axiome tout en réfutant l’idée reçue selon laquelle Eretz Israel serait un moyen, un intermédiaire pour accomplir ou obtenir quelconque profit, qu’il soit d’ordre sécuritaire, économique voire même spirituel et non une finalité, à savoir "qu’elle forme avec le peuple juif une entité dans laquelle les deux parties sont liées par un lien vital et indissociable" (19). L’histoire a d’ailleurs prouvé cette conception par le phénomène, à première vue extraordinaire, qui vit cette terre ne rien produire pendant 2000 ans d’exil où le peuple juif n'y reposait pas et qui commença à refleurir lorsque les juifs s’y réinstallèrent il y a plus d’un siècle. Partant de ce postulat, on comprend les paroles de nos Sages dans le Sifrei: "Bien que Je vous ai chassé de la terre d’Israël pour l’exil, vous continuerez à accomplir les mitsvot pour que, lorsque vous reviendrez, elles ne vous paraîtront pas nouvelles" (20). A mes yeux, cette phrase est révolutionnaire : elle suppose que l’accomplissement des mitsvot en dehors d’Israël n’a pas de valeur intrinsèque mais qu'il n'est qu'un moyen pour ne pas oublier leur existence. Elle constitue une réponse limpide à certains rabbins qui mettent en garde, voire interdisent de monter en Israël si il y a risque de dégradation spirituelle. Alors qu’en réalité c’est l’inverse: le fait même de monter en Israël est en soi une élévation spirituelle, indépendamment des actes de l’individu. Ne comprenez pas par cela que je suis pour l’abandon des mitsvot, bien au contraire. Faire son Alya est justement l’occasion de redonner à ces mitsvot tout leur sens, chose qui est impossible en dehors d’Israël, même en les accomplissant toutes pointilleusement.
Il est certain que R' Nahman de Breslev était conscient de ce statut particulier d’Eretz Israel. Tout d’abord, dès sa jeunesse, il souffla à ses élèves qu’il voulait voyager en Eretz Israel car seulement là-bas il pourrait acquérir la sagesse suprême. Apres sa visite en Eretz Israel (où il y posa le pied pour la première fois la veille de Rosh-Hashana…), il prit l’habitude de dire : "tout endroit où je vais, je vais en Eretz Israel" et "celui qui veut être juif ne peut l’être qu’en Eretz Israel" (21).
De plus, il écrit à plusieurs endroits qu’il y a un lien indissociable entre la prière et Eretz Israel et que la prière n’a de valeur qu’en Eretz Israel (22). Comment peut-on concevoir de quitter la terre d’Israël pour aller prier à l’étranger le jour de Rosh-Hashana, qui est le moment où nos prières sont les plus importantes et significatives ayant une influence sur toute l’année à venir, et voir cela comme un idéal ? Il est vrai que R' Nahman écrit aussi que les tombes des tsadikim ont une sainteté comparable à celle d’Eretz Israel. Mais c’est justement la preuve que celui qui à l’occasion d’être en Eretz Israel se doit d’y aller à plus forte raison de ne pas en sortir s’il s’y trouve déjà pour se rendre sur la tombe d’un tsadik en dehors d’Eretz Israel, le comparé étant toujours supérieur au comparant. Je pense que les gens ne saisissent pas le contexte historique dans lequel le peuple juif se trouvait à l’époque de R' Nahman. La plupart vivaient dans une grande pauvreté matérielle et persécutions et pogrom s’abattaient sur les villages juifs à fréquence rapprochée. Eretz Israel ne relevait même pas du domaine du rêve compte tenu de la situation dramatique dans laquelle les juifs se trouvaient. Donc, il est fort probable que R' Nahman adopta une approche pédagogique visant à encourager ses fidèles à ne pas désespérer en l’image des tombes des tsadikim comme substitut à la terre d’Israël. Mais il est évident que s’il vivait aujourd’hui, il prônerait activement le fait de résider en Eretz Israel et de ne pas la quitter et qu’il serait stupéfait de voir tant de juifs religieux et se proclamant ses élèves, quitter Eretz Israel le jour le plus important de l’année.
D'ailleurs, il convient d’expliquer la dimension particulière du jour de Rosh-Hashana dans le calendrier juif, mis a part l’importance des prières qui l’accompagnent comme mentionné précédemment.
Contrairement à Yom Kippour, où l’individu se préoccupe de l’expiation de ses fautes personnelles, Rosh-Hashana est le jour où l’on proclame la royauté de Dieu sur Terre. Dans la prière de Moussaf, les Sages ont institué trois bénédictions: malkhouyot (les royaumes), zikhronot (les souvenirs) et shofarot. D’abord celle des malkhouyot est la bénédiction principale du fait qu’elle soit la première et qu’elle se termine par "mekadesh israel veyom hazikaron" qui est la bénédiction propre à ce jour. De plus, celle des zikhronot évoque aussi Son statut de roi en cela qu’il se souvient de toutes ses créatures. De même, l’objet des shofarot est de révéler Sa royauté et la proclamer par le son du Shofar. Ainsi expliqué plus haut, Eretz Israel est l’endroit où Dieu gouverne de manière directe, sans recours à aucun intermédiaire. A l’instar d’un roi de chair et d’os : il règne sur l’ensemble du pays mais il repose dans son palais entouré de sa courre la plus proche. De la même façon Dieu règne sur le Monde entier mais son palais est Eretz Israel. Comment un roi réagirait si les plus fidèles de ses sujets quittaient le palais le jour de son couronnement pour aller rendre visite à l’un de ses ministres, aussi important et haut-placé soit-il ? C’est exactement de cette manière que le Ramban explique, dans son discours qu’il prononça à Rosh-Hashana après son arrivée en Eretz Israel pourquoi il était si important pour lui d’être ici en particulier en ce jour, évoquant le fait qu’il ait du le faire sans sa famille : "c’est ce qui m’a fait quitter mon pays et m’a déplacé de mon endroit, j’ai abandonné ma maison et délaissé ma propriété, je me suis fait corbeau envers mes fils et cruel envers mes filles juste car ma volonté était de reposer dans le sein de ma mère" (23). Donc, l’un des plus grands rabbins que le peuple juif ait connu, rappelle le fait qu’il ait dû laisser sa famille derrière simplement pour avoir le mérite de proclamer la royauté de Dieu dans son palais le jour de Rosh-Hashana, que dirait-il de ceux qui empruntent le chemin inverse ?...
En conclusion, vous comprendrez aisément que je ne pourrai satisfaire votre requête en vous encourageant à participer à ce voyage. Au contraire, je vous dirai que vos craintes et vos appréhensions sont tout à fait saines et fondées et montrent tout le bon sens de votre raisonnement. Je vous encouragerai plutôt à rester avec votre femme et vos enfants et de profiter de cette belle fête avec eux, à prier pour demander à Dieu tout le meilleur pour vous et votre famille pour cette année et Le remercier de vous avoir donné cette immense chance de vivre en Israël, chose pour laquelle nos aïeux ont prié durant des siècles.
Shana Tova.
Nathaniel N. Zerbib.
Références:
(1) Haye Moharan 220
(2) Ibid. 162
(2b) Ibid. 225
(3) Berakhot 33b
(4) Shemona Prakim, 8
(5) Devarim 18,9-13
(6) Hohmat Adam 89,7
(7) Mishne Torah Avel 4,4
(8) Nefesh Harav
(9) Baba Batra 91a
(10) Guittin 76b
(11) Avoda Zara 13a
(12) Melakhim 5,9
(13) Sde Hemed, Aseefat Dinim E.I 1
(14) Mishpat Cohen 147
(15) Oro Chel Olam p380, Halakha Mimekora, au nom du Rav Israel Meir Lau, ancien Grand Rabbin d’Israel
(16) Ketoubot 110b
(17) Vayikra 18,25
(18) Netsah Israel 1
(19) Orot,1
(20) Sifrei,Ekev 43,17
(21) Haye Moharan, 156
(22) Likoute Moharan Torah 9, Torah 44
(23) Drasha LeRosh-Hashana p.251 de l’édition du Mossad Harav Kook