Maasser Kessafim (la dîme)

Billets de 20 dollars

Plusieurs questions doivent être envisagées concernant le maasser kessafim (dîme), le prélèvement de 10% de nos gains en faveur de bonnes œuvres.

  1. Quelle est la source de cette obligation et quelle est son importance dans la hiérarchie halakhique? En d'autres termes, est-ce une obligation d'origine toranique, rabbinique ou autre?
  2. De quelles entrées d'argent doit-on le prélever, et qu'a-t-on le droit de défalquer de cette obligation?  Combien faut-il donner?
  3. Pour quels buts a-t-on le droit de donner l'argent? Uniquement pour les pauvres, pour les bonnes œuvres (comme Cheela ou la Midracha par exemple) ou autre?

1: Est-ce une obligation?
La Tora elle même ne parle pas d'obligation de prélèvement de toute entrée d'argent. Cette obligation ne concerne que les agriculteurs, qui après avoir donné aux Cohanim et aux Leviim leur part, doivent une année sur trois prélever la dîme pour les pauvres.
Cependant un Midrache, cité par les Tossafot (Taanith 9 a) étend cette obligation à toute entrée d'argent, qu'elle provienne de salaire, commerce, prêt à intérêt ou autre.
Notons que ce Midrache ne nous est connu que par cette citation, qui apparemment était inconnue d'autres auteurs médiévaux. Ainsi, la notion de maasser kessafim n'est nulle part mentionnée par le Rambam.
Un autre Midrache (Yalkoute Chimoni) trouve dans un verset une allusion à l'obligation faite aux voyageurs d'affaires de subvenir aux besoins de ceux qui étudient la Tora.

Rabbi Yoel Sirkiss (Bah', Yoré Déa 331) écrit qu'il n'y a pas d'obligation formelle de donner le maasser, que ce n'est qu'un minhag (coutume), le niveau le plus bas dans la hiérarchie des obligations. Cette opinion est partagée par un grand nombre de décisionnaires (Minhat Ytshak, 5, 34;).
D'autres pensent que c'est une obligation rabbinique, c'est-à-dire plus importante que simplement un minhag, et enfin une minorité estiment qu'il s'agit véritablement d'une obligation ayant sa source dans la Tora. Nous n'allons énumérer ici le nom de les auteurs ayant exprimé leur opinion à ce sujet, le Rav Ovadia Yossef en a dressé une liste très exhaustive dans une de ses responsa (Yehavé Daat, 1, 87 et 3, 76).

2. De quelle somme doit-on prélever le maasser?

Les avis sont partagés sur la question de savoir si on prélève 10% de son salaire tel qu'on le reçoit (Hida, Birkey Yossef, Y.D. 249, 5), ou si il faut prélever 10% de ce que l'on arrive à économiser de son salaire (Rabbi Yossef Karo, Avkat Rokhel, 3)? Cela fait bien entendu une différence énorme.
Il semble un peu difficile a priori de tenir compte de ce qui reste à la fin du mois. Certains vivent sur un grand pied, dépensent sans compter et se retrouvent à la fin du mois sans un centime, alors que d'autres se débrouillent largement avec la même somme.
Pourtant, nombreux sont ceux qui soutiennent cette thèse minimaliste. Deux raisons principales sont évoquées:
1: L'obligation de donner le maasser n'est pas claire. Quand nous avons un doute sur une question de Halakha d'origine rabbinique, nous penchons pour plus de souplesse.
2: Cela permettra à plus de personnes d'observer cette mitsva, cela la mettra au niveau de personnes ayant moins de moyens, et peut être aussi moins de motivation (Choel veNicheal 2, 160, cité dans Yehavé Daat 3, 76).
On peut se demander si le dernier argument se tient. Il n'est pas impossible que les pauvres y perdent. L'intérêt des pauvres passe-t-il avant celui de ceux qui doivent donner ou après? N'est-il pas préférable que les pauvres reçoivent plus d'argent de moins de personnes que moins de plus? N'est-ce pas un peu l'histoire des scouts qui font traverser la rue à des aveugles qui n'en ont pas besoin, pour faire une B.A.? On veut que beaucoup de personnes puissent donner, mais en fin de compte les pauvres vont y perdre.
De plus, vu que ces décisionnaires écrivent que l'on n'a pas besoin de limiter ses dépenses pour qu'il reste quelque chose à donner au maasser, il y a fort à parier que mis à part les familles à très gros revenus, il ne restera pas grand-chose pour les pauvres chez les autres.

Il semble que ces deux opinions reflètent deux compréhensions différentes de ce que représente le maasser kessafim.
Si nous l'assimilons véritablement au maasser tel qu'il existe dans la Tora, à la dîme prélevée des récoltes, il est évident qu'il n'y a pas lieu de tenir compte des dépenses futures. Les agriculteurs prélevaient immédiatement la dîme de toute leur récolte, sans tenir compte de leurs propres besoins.
On peut à l'opposé considérer le maasser kessafim comme la mitsva de la Tsedaka. On appelle cela maasser pour désigner la quantité due l'on doit mettre de côté pour les pauvres. Mais il s'agit tout simplement de donner de l'argent à la Tsedaka. Dans ce cas là, on tiendra d'abord compte de ses dépenses personnelles. On donne la Tsedaka de l'argent qui nous reste.

Selon le Rav Ovadia Yossef et le Rav Waldenberg (Tsits Eliezer 10, 6; 20, 42) il suffira de prélever le maasser de ce qui reste.
Une personne ayant jusqu'à présent prélevé le maasser de tous ses revenus, avant les dépenses devra faire hatarat nedarim si elle désire changer.
Notons tout de même que le Rav Weiss (Minhat Ytshak, 5, 34, 6) écrit qu'il ne faut pas exagérer. On ne pourra pas s'offrir une voiture de luxe, sous prétexte que cela fait progresser nos affaires, et en déduire le montant de la somme sur laquelle on doit calculer le maasser. 

3. Qu'en est-il des impôts?

Il y a deux questions concernant les impôts:
a) Doit-on donner 10% de son brut ou de son net. Une personne gagnant 3000 euros par mois et payant en impôts 1000 euros, devra-t-elle donner 200 ou 300 euros de maasser?
b) Et peut-on déduire ce que l'on donne aux impôts de la somme que l'on doit donner
au maasser? Si l'on répond affirmativement à la cette question, la personne du a) s'est totalement acquittée de ses obligations de maasser en versant ses impôts.

a) Bien qu'il soit interdit de s'acquitter de ses dettes en payant le maasser, on n'est pas obligé de considérer le paiement des impôts comme une dette dont on s'acquitte. En Israël par exemple (je ne sais pas quel est le système en France), l'impôt sur le revenu est retenu à la source. On ne voit même pas la couleur de cet argent. C'est le net qui permet de vivre.
Il est évident que la base du calcul dans ce cas sera 2000 et non pas 3000 (Tsits Eliezer 9, 1, 5, b. Il cite l'exemple d'une personne gagnant le gros lot à la loterie, mais dont les impôts sont prélevés à la source, par exemple. Elle ne paiera qu'à la base de la somme dont son compte a été crédité).
Le Rav Moché Feinstein (Igrot Moché Y.D., 1, 143) écrit que ceci est valable pour tous les impôts sur des entrées d'agent, tels qu'un loyer qu'on reçoit. On ne fera le calcul pour le maasser qu'à la base de l'argent que l'on a effectivement reçu. Mais il y a d'autres impôts, qu'il faut considérer différemment et qui doivent être assimilés à une dette, dont il est interdit de s'acquitter avec l'argent du maasser. Une taxe d'habitation par exemple.
Ceci ne fait pas l'unanimité et le Rav Weiss (Minhat Ytshak 5, 34 et 35; 7, 68) ne fait pas la différence entre les différents types d'impôts et considère que l'on peut toujours les déduire de la somme de laquelle on calculera le maasser, surtout si on est un peu serré financièrement.
En tenant compte de ce que nous avons écrit précédemment, que l'on peut calculer à la base de ce qui reste en fin de mois, la question ne se pose en fait pratiquement pas.

4: Y a-t-il une limite maximale?

La Talmud parle d'une décision prise à Oucha (en Galilée) qu'il était interdit de donner plus d'un cinquième de ses biens à le Tsedaka.
Bill Gates ayant doté sa fondation de trente milliards de dollars a-t-il enfreint cette interdiction?
Rabbi Moché Isserliss dans ses remarques sur le Choulh'ane Aroukh (Y.D., 249, 1) explique que le but de cette interdiction est d'éviter que des personnes au trop grand cœur ne tombe elle-même dans le besoin et deviennent dépendantes de la communauté.
Malgré l'opinion du Rav Moché Feinstein qu'il ne faut en aucun cas dépasser cette limite maximale sauf si il y a danger de mort (pour financer une opération, par exemple) (Igrot Moché Y.D., 1, 143), d'autres décisionnaires pensent que  Bill Gates n'a rien fait de mal en donnant tant d'argent à la Tsedaka. C'est ce qu'écrit le Rav Ytshak Yaacov Weiss (Minhat Ytshak 5, 34). Il cite à l'appui Rabbi Avraham Danzig (Hokhmat Adam 144, 10) et d'autres (Ahavat Hessed 20, 1).

5: Pour quels buts a-t-on le droit de donner l'argent?

Uniquement pour les pauvres, pour les bonnes œuvres (comme Cheela par exemple) ou autre?

Rabbi Moché Isserliss écrit qu'il faut impérativement remettre l'argent du maasser aux pauvres (Y.D., 249, 1). Mais ce n'est pas l'avis de tout le monde. D'autres auteurs écrivent que l'on peut se servir de l'argent du maasser pour accomplir d'autres mitsvoth. Ainsi on pourra s'acheter des livres pour étudier la Tora avec l'argent du maasser, pourvu que l'on prête ses livres aux autres pour qu'ils puissent étudier et qu'on l'écrive dans les livres (Taz, 249, 1). Ou pour acheter le droit d'être sandak.
On pourra payer sa place à la synagogue avec l'argent du maasser (Tsits Eliezer, 20, 35; Minhat Ytshak, 8, 83). On fera cependant la différence entre le cas où on a déjà mis de côté l'argent du maasser, auquel cas il faudra le remettre aux pauvres, ou si on prélève a priori l'argent du maasser dans l'intention de l'utiliser pour une autre mitsva.
On pourra sûrement donner de l'argent à Cheela ou à la Midracha!!
 
Certains auteurs écrivent que l'argent dépensé pour nourrir ses enfants de plus de six ans, que les parents n'ont pas d'obligation de nourrir selon la Halakha peut être considéré comme de l'argent de maasser, ou que cette somme peut du moins être déduite de la somme à partir de laquelle on va calculer le maasser.
C'est l'opinion du Chakh (Y.D., 249, 3)
Le Rav Moché Feinstein considère que cela n'est pas exact, ces paiements étant aujourd'hui considérés comme une obligation (Igrot Moché 1, 143). On ne pourra selon lui déduire ces sommes qu'à partir du moment où les enfants ont dépassé l'âge où généralement les enfants dépendent des parents. Il ne fixe pas d'âge précis; il me semble que l'âge de vingt deux ans est une bonne moyenne statistique.
Le Rav Ovadia Yossef écrit lui aussi que les sommes dépensées pour l'entretien de ses enfants adultes, pour les doter d'appartement et de meubles peuvent être considérées comme maasser (Y.D., 3, 76). C'est aussi l'opinion du Rav Waldenberg (T.E., 20, 42).
Les frais du mariage peuvent aussi être pris en considération.
Il me semble que si des parents mettent leurs enfants à l'école juive et que cela entraîne des difficultés financières, l'écolage pourra être considéré comme argent de maasser.
On ne pourra déduire du maasser les sommes d'argent que nous sommes tenus de payer selon la Halakha, telles les dons aux pauvres à Pourim (Yehavé Daat, 1, 87).
Mais si on veut donner plus que le minimum exigible, on pourra le donner avec l'argent du maasser.
Une personne n'ayant pas eu jusqu'à aujourd'hui le minhag de prélever l'argent du maasser et décidant de le faire pourra décider selon quelles modalités elle le fait: de quelle somme, dans quel but etc.…

Conclusion:
Le maasser est tout au plus une obligation miderabanane.
Il peut être calculé à la base de ce qui nous reste comme économie. Il vaut mieux l'utiliser pour les pauvres, mais si on ne s'y est pas engagé, pour d'autres bonnes oeuvres aussi.
Il n'y a pas de limites maximales tant que l'on ne tombe pas dans la misère.

En fin de compte, il ne reste plus grand-chose de cette mitsva: c'est un minhag, on peut ne donner que de ce qui nous reste après avoir couvert nos dépenses, nous pouvons nous en servir pour couvrir les frais de nos enfants ayant dépassé la vingtaine ou pour financer d'autres mitsvoth.
En d'autres termes les pauvres n'iront pas loin avec notre maasser.
Au point où j'en viens à me demander quelle est la logique, que ce soit une mitsva miderabanane, ou encore plus un minhag, d'instituer une telle mitsva pour ensuite l'amender jusqu'à le rendre quasi inopérante?
Il me semble que c'est justement dans ce genre de mitsvoth que nous devons nous efforcer d'en faire beaucoup plus que le strict minimum. Nous vivons dans des sociétés (occidentales ou autres) où les inégalités entre nantis et autres deviennent de plus en plus criantes, jusqu'à en être insupportables; dans un monde global où certains meurent de faim alors que d'autres amassent des richesses inimaginables. Il me semble impensable de se limiter au strict minimum qu'exige de nous la Halakha. 
Le minhag du maasser ne semble pas être la bonne solution pour aider les pauvres. Il nous reste la mitsva de la Tsedaka, qui exige de nous de pourvoir aux besoins des nécessiteux. Nous pouvons aller jusqu'au cinquième de nos moyens, et plus si cela ne nous amène pas à être dépendant de la communauté.