Conversation 11670 - Le silence de Loth

Anonyme
Mercredi 12 novembre 2003 - 23:00

Dans la paracha Vayera, il est dit que D. eut pitié de Loth, et donc le sauva de la destruction de Sodome et Gommorhe, et Rachi explique que du fait que Loth eut pitié d'Abraham lorsqu'il fit passer Sarah pour sa soeur auprès des egyptiens et garda le silence alors en retour D. a eu pitié de lui.
Mais n'est ce pas normal que Loth garda le silence puisqu'il s'agissait de son oncle, en quoi est-ce un mérite suffisant pour le sauver? et d'autre part loth avait une qualité qu'il avait appris de son oncle : l'hospitalité qui est une grande Mitsva donc on ne peut pas dire qu'il n'avait que le mérite d'avoir su garder le silence.

Rav Elie Kling
Dimanche 23 novembre 2003 - 23:00

Impossible de repondre a votre question sans essayer de cerner davantage le personnage de Loth. Des le depart, le texte semble vouloir entretenir une certaine ambiguite le concernant. Qu'est ce qui pousse l'orphelin a se joindre a Avraham pour rejoindre la Terre "que je te montrerai"? Est-ce par respect pour l'ordre divin ou dans l'espoir de voir se realiser les promesses materielles annoncees au patriarche? Si, aucun doute n'est permis concernant les motivations d'Avraham, le texte laisse volontairement planer un doute sur celles de Loth (v.12,4: 'Avraham partit ainsi que D.ieu lui en avait donne l'ordre. Et Loth partit avec lui'. Remarquons que le verset evite d'ecrire: Avraham et Loth partirent ainsi que l'avait ordonne D.ieu a Avraham). Mais c'est au retour d'Egypte que le voile tombe. Rendus tous deux riches par les evenements survenus chez Pharaon, les 2 parents s'eloignent progressivement l'un de l'autre. Si, en arrivant en Canaan, Loth fait incontestablement partie de la famille (12,5: 'Avraham prit Saray sa femme, Loth son neveu, et tous leurs biens..."), ce n'est deja plus le cas en revenant d'Egypte (13,1: 'Avraham monta d'Egypte lui, sa femme, tout ce qui lui appartenait , et Loth...'). La separation est devenue inevitable. Lorsqu'Avraham la propose a Loth pour mettre fin aux querelles incessantes entre les bergers (selon le midrach, ceux de Loth se comportaient deja en proprietaires du pays, pretextant que Loth, leur maitre, etait le seul heritier possible d'Avraham), celui ci semble sauter sur l'occasion (a sa place, n'auriez-vous pas tenter de tout faire pour pouvoir rester aupres du grand homme?). Il choisit la region la plus fertile mais ayant la pire des reputations (13, versets 10, 11, 12 et surtout 13)! Le midrach ne s'y trompe pas. Pour lui chacun des qualificatifs utilise pour decrire la plaine de Sdom est charge d'une sensualite a connotation erotique. C'est qu'en choisissant de quitter Avraham pour les sodomites, Loth ne choisit pas seulement la richesse et l'opulence, il est aussi attire par le relachement bien connu des moeurs des habitants. L'avertissement divin qui lui est adresse par la guerre des rois et sa captivite ne parvient pas a lui faire prendre conscience de la gravite de ses choix. N'osant s'avouer qu'il ne vaut en fait guere mieux que ceux qu'il a rejoints, il se considere au contraire comme le juste de Sdom. N'a-t-il pas garde la qualite principale de son illustre oncle, l'hospitalite? Afin de se prouver a lui meme que tel est bien le cas, il se raccroche a cette ultime qualite, sans se rendre compte qu'en fait il la deforme au point qu'il est pret , pour proteger ses invites, a livrer ses propres filles en pature aux habitants surexcites! Pratiquement force de quitter la ville, la veille du desastre, il a toutes les peines du monde a accepter de retourner chez Avraham. Comme le dit Rachi: "lorsque j'etais a Sdom, je pouvais passer aux yeux de D.ieu pour un juste digne d'etre sauve. Mais, a proximite d'Avraham, j'aurais l'air d'etre un impie"(19,19). Pauvre Loth! Il est persuade qu'il doit son salut a ses propres merites alors que c'est essentiellement par amour d'Avraham que D.ieu l'a sauve im extremis! Le seul merite que l'on est pret a lui reconnaitre, c'est de n'avoir pas denonce son oncle a Pharaon, comme si on ne pouvait s'atendre a plus de sa part!Quoi d'etonnant finalement a ce qu'il termine sa tragique aventure par l'inceste commis avec ses filles et dont il fut plus ou moins conscient (voir Rachi sur 19,33). Rav Levi n'a plus qu'a conclure: "celui qui est devore par ses pulsions sexuelles finit par en payer le prix dans sa propre chair".
Pour en revenir a votre question , vous comprenez maintenant pourquoi le simple fait de se taire en Egypte, alors qu'une denonciation aurait probablement pu lui rapporter beaucoup, est deja considere comme meritoire venant de lui. La tragedie de Loth , c'est celle d'un homme mediocre qui aurait pu se depasser en restant pres du grand tsadik de son temps, mais qui, pour satisfaire ses instincts et sa soif de richesse, prefera s'en eloigner. Ce faisant, il perdit tout a la fois les avantages materiels et l'elevation spirituelle dont il aurait pu profiter en restant chez Avraham.
Cordial chalom