Conversation 37896 - Caro a-t-il du coeur?

philoux
Mardi 21 août 2007 - 23:00

Comme vous le savez un parti antisémite russe a récemment publié un violent pamphlet antisémite dans lequel les pires accusations de conspiration étaient portées. Ce parti est, cela va de soi, méprisable et dangereux, et ses accusations de complot sont totalement délirantes. Il reste que, parmi les accusations graves qui circulent actuellement sur le judaïsme, on trouve des citations du « Choukhan Aroukh » ou du « Kitsour Choukkhan Aroukh » (je suppose qu’il s’agit, comme son nom l’indique, d’un abrégé qui aurait circulé dans le judaïsme russe), dont certaines sont particulièrement choquantes. Vous serait-il possible de me dire
1°) si ces citations sont controuvées ou au contraires exactes ? Dans ce domaine, les manipulations ne sont pas rares et le vrai est souvent mêlé au faux.
2°) si elles sont justes, quelle est la position que vous adoptez à leur égard ?
3°) Est-il vrai que les traductions qu’on en donne dans les pays occidentaux sont généralement censurées pour ne pas heurter le lectorat non-juif ?
Il semble que, selon le Choulkhan Aroukh, comme du reste pour la majorité des rabbins de votre site, le christianisme relève encore de l’idolâtrie, donc que ce qui, selon les détracteurs du Choulkhan Aroukh, est dit à propos des « akoums » par Yossef Caro comme vaudrait pour les chrétiens parmi lesquels vivaient les juifs de son époque (16e siècle).
Mon trouble vient de ce que le Choulkhan Aroukh jouit encore aujourd’hui d’une grande autorité dans le milieu orthodoxe. Une autorité en tout état de cause supérieure à celle du révéré Méiri qui a eu, sur le statut des Gentils (des « goyim »), des propos infiniment moins sectaires, alors même que, si je ne me trompe, il écrivait près de deux siècles avant Yossef Caro
Je reconnais que le sujet est scabreux. Mais il me semble que l’on ne gagne rien à laisser prospérer des rumeurs ou à demeurer dans l’ambiguïté et la méfiance, et qu’il vaut mieux affronter clairement ses accusateurs.

Voici quelques-unes des citations litigieuses. Je compte sur vous pour éviter les réponses « politiquement correctes » et pour m’éclairer avec sincérité. Encore merci :

– Il est prescrit de proférer contre « la maison de l’idolâtrie (c’est-à-dire l’église) la malédiction « Que D-u arrache la maison des orgueilleux » et en voyant une église détruite, on doit s’écrier : « D-u a manifesté sa vengeance ! ». Et surtout, un peu plus loin on propose une variante de cette prescription : « Certains pensent qu’il s’agit des maisons des non-juifs, qui vivent en paix, dans la tranquillité et la richesse » (art. 389-390)

– Les non-juifs sont traités d’excréments (art. 47 et 48).

– Il est interdit d’enseigner un métier aux non-juifs (art. 390).

– « Une juive ne doit pas aider une non-juive dans ses couches. » (art. 390)

 (Iore de’a, 377-1) « Il est interdit de leur porter secours [les non-juifs-akoum] quand ils risquent de mourir. Par exemple, si tu en vois un tomber à la mer, ne l’aide pas à sortir, même s’il te propose de te payer… Il est permis d’essayer un médicament sur un akoum, pour voir s’il est efficace.

 » (Iore de’a, 158-1) « L’argent des akoums est pour ainsi dire sans propriétaire légal et le premier qui le prend en devient le propriétaire. »

 « Il n’y a pas de tromperie quand il s’agit d’un akoum. » (Khochen Gamichpat 156-5, Haga ; 227-26 ; 348-2, Haga)

 « Quand un juif a volé un akoum et qu’on l’oblige (le juif] à prêter serment…, il doit déclarer dans son for intérieur que le serment est invalide parce qu’il a été contraint de le prêter. » (Iore de’a 329-1, Haga).

 « Tous les habitants du lieu doivent contribuer financièrement aux dépenses nécessaires pour le tuer. » (Khochen Gamichpat 388-15 et 16) « Il est permis de tuer un traître n’importe où, de nos jours encore. Il est permis de le tuer avant qu’il ait le temps de faire une dénonciation [susceptible de provoquer des dommages « physiques, financiers, même s’ils sont minimes »]… et quiconque le tuera le premier en tirera un mérite (Khochen Gamichpat 388-10)

 « Un juif libre-penseur, c’est-à-dire qui accomplit les rites religieux des akoums… c’est une bonne action de tuer tous ceux qui le font. Quand on a le droit de les tuer en public à l’épée, il faut le faire ; si on n’a pas ce droit, il faut tout entreprendre pour le tuer. Par exemple, si tu vois l’un d’entre eux tomber dans un puits et qu’il y a une échelle dans ce puits, dépêche-toi de l’enlever en disant : “J’ai des ennuis, il faut que j’aille chercher mon fils sur le toît, mais je te la rapporte tout de suite“, etc. » (Khochen Gamichpat 425-5)

Jacques Kohn z''l
Jeudi 23 août 2007 - 02:39

1. L’affirmation péremptoire selon laquelle, pour le judaïsme, le christianisme relève encore de l’idolâtrie, est controversée. Il est vrai que, pour beaucoup de penseurs, le monde chrétien est apparu comme l’incarnation de Rome, représentation moderne d’Esaü. D’autres ont considéré, en revanche, que le christianisme, dans la mesure où il reconnaît à la Bible un caractère divin, pourrait être un instrument providentiel utilisé par Hachem pour rapprocher les Gentils du monothéisme.

2. Une indication intéressante sur l’attitude du judaïsme à propos de l’idolâtrie est donnée par la Michna : « Si Hachem ne désire pas l’idolâtrie, pourquoi ne la détruit-Il pas ? Réponse : Si les hommes avaient adoré des choses inutiles, Il les aurait détruit, mais ce sont le soleil, la lune et les planètes qu’ils adorent. Aurait-Il dû détruire Son univers à cause de ces insensés ?
Mais alors, demande-t-on, pourquoi ne détruit-Il pas celles des idoles dont le monde n’a pas besoin, et ne conserve-t-Il pas celles qui sont indispensable à la marche de l’univers ?
S’Il l’avait fait, répond la Michna, cela aurait été donner force et crédit à ces idolâtres, car ils auraient dit : “Celles de ces idoles qui ont été épargnées sont des divinités authentiques, du moment qu’elles n’ont pas été détruites !” » (‘Avoda zara 4, 7).

3. Les citations, que vous avez rapportées comme empruntées à un pamphlet antisémite russe, sont soit inexactes soit rapportées hors de leur contexte. Il est inutile que je m’y appesantisse, tant elles reflètent toutes les littératures anti-juives qu’a connues l’histoire, comme par exemple certains textes de Voltaire, comme son « Dictionnaire philosophique », où il a écrit : « Vous ne trouverez en eux qu'un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition. ».

4. Il me paraît important de rapporter, en contraste, certaines citations du Kitsour Choul‘han ‘aroukh qui portent sur les non-Juifs un regard dépourvu de la sévérité dont font état ces écrits :
– On doit habiller et nourrir les indigents non juifs tout comme les indigents juifs (34, 3).
– On ne doit pas hésiter à inviter un non-Juif à sa table, même le Chabbath (87, 19).
– On doit visiter les malades non juifs, enterrer leurs morts, prononcer leur éloge funèbre et consoler leurs proches (167, 16 et 193, 12).