Conversation 72349 - Abus d'autorite parentale

zancrow003
Samedi 2 novembre 2013 - 23:00

Voila,

étant un ado de 15 ans actuellement je me permet de vous demander conseil sur ma relation avec mon père. Depuis 3 ans et demi il arrive fréquemment des disputes entre lui et moi et ce dans 50% des cas ou je lui répond car je trouve que des fois il abuse de son autorité envers moi et le laisser en profiter serait contribuer a son emprise tyrannique et psychique sur moi.
Dois-je suivre ce que je pense être bon en lui rappelant tous les méfaits qu'il me fait ou ne pas répondre et espérer qu'il comprenne sa nervosité qu'il transmet dans la famille.

Ps : tout le temps je m'excuse de peur de ce que demain nous réserve...

Merci a toute l'équipe de Cheela qui fournit un excellent travail

Rav Samuel Elikan
Jeudi 5 décembre 2013 - 07:27

Shalom,
Merci pour vos encouragements.
Je comprends votre situation qui n'est pas évidente. On peut souvent ressentir de la solitude, une perte de moral et de la colère dans ce genre de cas et le sentiment de culpabilité finit par nous ronger.
Premièrement, vous avez raison qu'il n'est jamais évident de se créer une identité propre sans se distancer d'une certaine manière l'un de l'autre.
En outre, il est également très difficile de le faire sans blesser personne, tout en étant conscient de la place de chacun. Cela requiert une grande intelligence sentimentale qui n'est pas donnée à tous.
Il faut se rappeler également que nous devons une reconnaissance infinie à nos parents de nous avoir amené au monde, élevés, etc. On ne pourra jamais assez les remercier pour tout ce qu'ils font et ont fait pour nous. Une gratitude infinie ne saura jamais être exprimée, et il faut toujours avoir cela à l'esprit.
La réponse doit être conséquente - en se rappelant qu'on aime nos parents infiniment - et le moins possible dans la colère.
Le mieux serait donc de ne pas entrer en état de conflit ou critique envers ses parents tout en essayant d'expliquer calmement la problématique, le sentiment de manque de liberté, "d'abus d'autorité" que vous ressentez, etc.

Cependant, il existe, dans le cadre de traitements thérapeutiques, des cas où les psychologues encouragent leur patient à "se confronter" à leur parent, afin de changer la dynamique familiale dans le cas de comportement heurtant.
Il s'agit donc, comme dans votre cas, je suppose, de parents responsables qu'il faut respecter le plus possible.

La première question qui se pose est celle de la possibilité hilh'atique de faire des remontrance (toh'eh'a) à ses parents s'ils font du mal (objectivement) à leurs enfants, et ce, bien que de nos jours personne ne sache faire ou accepter des remontrances convenablement (TB Erkhin 17).
La halah'a bien évidemment le permet, mais il faut que cela soit fait respectueusement.
On ne dira pas "c'est interdit". Mais "ne nous as-tu pas appris que cela est interdit ?" (cf. Rambam, hil. De'ot 6,7; Sh. Ar. HaRav OH 156,8; H'afetz H'ayim, Hil. Issourei Lashon Hara, Klal 10,14 et en note de bas de page et Kitzour Sh. Ar.).

Par ailleurs, il faut agir de manière similaire si un parent veut agir contre la Torah ou ne pas faire de mitzvot. On n'a pas le droit de réveiller ses parents, mais si la dernière prière en minyan va avoir lieu de manière imminente et qu'il n'y en n'a pas d'autres - on a le droit de réveiller son père, si on sait qu'il va prier tous les jours (H'ayei Adam, Klal 67,11).

Cependant, la guemara (TB Kidoushin 31b) raconte que la mère de Rav Assi lui a fait honte devant tout le monde et Rav Assi a laissé la dynamique se détériorer.
Le Rambam (hil. Mamrim 6,10) tranche par conséquent qu'on doit aider nos parents et les respecter le plus possible, même (et surtout) si leur esprit se détériore, et même si cela nous nuit. En outre, ajoute-t-il si quelqu'un souffre énormément de ses parents, il peut demander à d'autres de s'en occuper en leur donnant les instructions nécessaires.
Le Raavad (ad loc.) n'est pas de cet avis et dit que n'importe qui peut remplacer le soin donné par un enfant à son parent, même si celui-ci ne le fait pas tellement souffrir.
Le Kessef Mishné (ad loc.) rejette l'approche du Ra'avad, en effet, dit-il le Rambam se base sur l'histoire de Rav Assi et il n'y a donc pas lieu de remettre ses propos en cause.
Le Ra'avad semble cependant comprendre que l'idée qu'un fils laisse son père (ou sa mère) dans les mains d'autres personnes est permise dans la mesure où cette tâche n'est pas réalisable par le fils (parce que cela lui nuit).
Le Radbaz (ad loc.) et l'Aroh' HaShoulh'an (YD 240,32) expliquent que dans ce cas précis l'enfant ne peut pas s'occuper de son parent, en effet, d'autres pourront s'occuper avec plus de charisme et de force (chose qui peut parfois être nécessaire), alors que c'est interdit à l'enfant de se comporter ainsi envers ses parents.

Ainsi, si l'enfant veut "répondre" à son père, il vaut mieux, selon la halah'a, qu'il veille à ce que ce soit quelqu'un d'autre qui le fasse et ne se mette pas dans cette situation vis à vis de ses parents.
Ainsi, le parent pourra approcher l'enfant et ensemble ils pourront chercher des moyens d'améliorer leur lien.

Un autre avantage halah'ique à ce qu'une tiers partie s'en mêle est la possibilité pour le parent "d'annuler" son honneur (moh'el) avant la discussion qui s'ensuit avec son enfant. En effet, la guemara (TB Kidoushin 32a) nous enseigne qu'un parent étant prêt à "annuler" l'obligation du respect qui lui est dû par ses enfants peut le faire.
Certains ajoutent (Ra'avad cité par le Rivash, resp. 220 et Beit Yossef YD 334) qu'il ne peut qu'annuler son droit à être honoré mais ne peut pas permettre la disgrâce et un manque de respect actif.
Certains rabbins comparent cette "disgrâce" à un parent permettant d'être frappé par ses enfants (Tourei Even sur Meguila 28a), alors que d'autres distinguent entre ces deux cas (Pri Yitzh'ak, siman 54).
Quoi qu'il en soit, un certain degré d’interaction négative devrait être permis, ainsi qu'on le voit dans le Talmud (TB Kidoushin 32a): un rabbin a commis un acte énervant son fils pour voir quelle serait sa réaction. La guemara pose alors la question suivante: pourquoi ne dit-on pas que c'est interdit, en effet, il entraîne son fils à ne pas le respecter ! Celle-ci répond que ce n'est pas interdit, car par un tel acte il montre bien qu'il ne veut pas de ce respect (cf. aussi Birkei Yossef, YD 240,14).

On voit donc qu'il est très important de respecter ses parents et de ne pas "répondre" sauf dans des cas où ceux-ci ont dépassé certaines limites objectives - cela doit alors se faire avec respect, calmement et le mieux c'est de recevoir, dans ce cas, l'aide de quelqu'un d'autre (de préférence quelqu'un dont c'est la profession - thérapeute, etc.).
Cordialement,