Conversation 74361 - Dati-Léumi en clair...

javier_pastore
Lundi 17 mars 2014 - 23:00

Bonjour rav elikan.
Je sais que vous appartenez au courant mizrahi (ou dati leumi ?).
Un ami harédi m'a posé des questions sur ce mouvement, 2 en particulier, je lui ai dit que je connaissais un rav mizrahi sur internet (je pensais a vous), et que je lui enverrai ses questions :

1. Savez vous combien de mizrahim y'a t'il en israel et dans le monde ? (et combien y'a t'il dans les autres courants, hassidim, haredim, Modern orthodox, etc., pour avoir un ordre de grandeur de leur étendue)

2. Connaissez vous des livres a recommander pour connaitre en détail la shita du rav Kook, l'histoire du courant mizrahi, et surtout, qu'en pensaient les autres grands rabbanims des autres courants ?

MERCI A VOUS

Rav Samuel Elikan
Mardi 24 juin 2014 - 06:06

Shalom,
Vous m'excuserez pour le retard. J'ai longtemps pensé à votre question.
Au début, je me suis dit que je devrais expliquer d'où vient le terme "Mizrah'i" et celui de "Dati-Léoumi" qui l'a aujourd'hui presque totalement remplacé et quelles sont les différences entre ces deux terminologies.
Je me suis dit également qu'il serait bon de vous donner des données sociologiques complètes sur le sujet, ainsi qu'une bibliographie rabbinique et historique, j'ai même commencé une liste de bouquins à lire impérativement, et me suis vite rendu compte qu'il y a de quoi remplir plusieurs bibliothèques...

Après réflexion, je me suis dit que c'était vain et qu'il valait mieux parler de l'unité du Peuple d'Israël et analyser avec vous cet enseignement rabbinique fantastique (1) affirmant que D'ieu pose Ses tefilin, dans lesquels il est écrit qu'il n'y a aucun Peuple, comme Israël, qui soit "un" (ou "uni") dans le monde, c'est dire l'importance de l'unité. Je voulais alors analyser le commentaire du Rashba (2) qui s'étend sur cette notion d'unité; ramener ensuite un passage sur le sujet vers la fin du 'Em HaBanim Semeh'a, tout en racontant son histoire. extraordinaire.
Mais je me suis dit que ce serait "annuler" complètement les différences, certes existantes, mais minimes concernant ces visions "juives" du monde.

Comme vous l'aurez compris je n'accorde que très peu d'importance aux "courants" du Peuple Juif - il y en a apparemment toujours eu (depuis les douze tribus...) et il y en aura toujours, leurs noms changent, leur forme aussi - mais dans le fond il faut se rappeler qu'au delà de toute théologie ce qui nous lie c'est notre identité, nous faisons partie d'un même Peuple et avons le devoir de s'aimer, c'est une obligation religieuse !
(Vous noterez par ailleurs que le terme latin "religare" signifiant "relier", marquant un lien, serait selon Servius (3) et Lactance (4) à l'origine du terme "religion" (5). C'est donc, selon cette étymologie, comme l'a noté le Rav HaNazir, dans un article sur la philosophie du Yasha"r de Kandia, que la religion devrait avoir pour but de lier les gens l'un à l'autre).

Je crois que le besoin de se définir exactement et de dire à quel courant on appartient, etc. n'a que très peu d'importance.
Les critères de judéité à prendre en compte sont ceux fixés par la halah'a et celle-ci ne définit pas les croyances. Le judaïsme, en fin de compte, est plus une orthopraxie (une pratique droite ou juste) qu'une orthodoxie (croyance juste), ou dans les termes du philosophe André Comte-Sponville, il s'agit plus une "fidélité" qu'une "foi" (6).
Bref, vous avez compris où je voulais en venir, on peut penser différemment, mais nous prierons quand même dans le même minyan, malgré des différences idéologiques ou sociales.
Par conséquent, je ne vois pas de raison de dénombrer les gens appartenant à un courant plutôt qu'à un autre, à mes yeux c'est futile et peut-être même interdit par la halah'a (7).

En outre, je peux vous conseiller un très bon livre en français qui synthétise bien la pensée "dati-léoumi", à mon sens, surtout dans ses aspects théologiques et idéologiques :
- "Le Retour d'Israël et l'espérance du monde" d'Abraham Livni, Editions du Rocher, Bibliophane, 1984, puis réédité en 1999.

Si l'aspect philosophique de la pensée du Rav Kook vous intéresse, vous pouvez également consulter la très bonne traduction française de C. Challier du livre de Yossef Ben-Shlomo, "Introduction à la pensée du Rav Kook", éd. du Cerf, Collection «Patrimoines - Judaïsme», Paris, 1992

Résumé du livre, trouvé sur la page web des éditions Cerf:
"Cette introduction (première étude sur la pensée du rabbin Abraham Isaac Kook, 1865-1935) explique les principes qui guident la démarche d’un des plus grands penseurs du judaïsme contemporain : son idée de Dieu, sa théorie de la connaissance, sa conception de la matière ou encore sa philosophie de l’histoire. Le livre analyse le lien dialectique qui unit, selon le Rav Kook, la matière et l’esprit, le profane et le saint, la liberté et la nécessité".

Cordialement,

Notes
(1) TB Berah'ot 6a.
(2) ad loc., dans ses H'idoushei Aggadot.
(3) Commentaire de l'Énéide, VIII, 345.
(4) Institutions divines, IV, 28, 3-16.
(5) cf. aussi Augustin, La Cité de Dieu, X, 3 ; Les Rétractations I, XIII, 9 ; De la Vraie Religion, 55, 111 et 113, Quant. Anim., 36, 80.
(6) cf. p. ex. son "Dictionnaire philosophique", s.v. Judaïsme.
(7) cf. TB Yuma 22b et Nah'al Eitan du Rav Kaniewsky, chap. 6, seif 10, s.k. 7 duquel il semblerait que c'est formellement interdit (tant pour le Re'em que pour R"I HaLavan, etc).; cf. aussi Rambam, hil. Temidim ouMoussafim, 4,4 et comm.; Maguen Avraham OH 156, s.k. 2; Pri H'adash OH 55, s.k. 1; Kaf HaH'ayim 13,10, resp. Teshouvot veHanhagot III, 387, etc.