Conversation 77909 - Mon amie, future incinérée ?

Une femme
Samedi 2 mai 2015 - 23:00

Bonjour,
Une amie d'enfance, qui n'est pas du tout pratiquante, mais à une forte conscience juive, m'a confié ses dernières volontés. Elle est actuellement jeune et en bonne santé mais elle vient de perdre son père et m'a dit ne pas supporter l'idée qu'à sa propre mort elle soit mise "dans une boîte" et enterrée. Elle m'a donc confié vouloir être insinérée. Bouleversée par sa demande je lui ai dit qu'elle ne pouvait pas me demander cela, que je refusais cette responsabilité qui assurerait la victoire posthume des nazis.
J'aurais besoin de lui donner d'autres motifs de renoncer à cette volonté. Pouvez-vous me donner des références de lectures ? Je me sens très démunie pour argumenter contre cette volonté.
Je précise que mon amie est une intellectuelle, qui n'a néanmoins jamais étudié la pensée juive et se méfie "des religions" comme elle dit !

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Emmanuel Bloch
Lundi 4 mai 2015 - 11:29

Chalom,

Sans connaître votre amie, il est particulièrement malaisé de donner une réponse adaptée à sa situation particulière. Dans un premier temps, je vous conseille de lire certaines réactions sur notre site, dont celle, très personnelle et touchante, du rav Simsovic (http://www.cheela.org/cheela.php?id=6264).

Mais je vais essayer ci-dessous de résumer en quelques lignes la position juive face à l’incinération. Comme vous le verrez, elle est (quasiment) complètement négative. Je vous laisse voir directement avec elle mais j’espère que les informations données vous seront utiles pour discuter du sujet avec votre amie.

La Torah affirme que tous les êtres humains sont créés frappés du sceau de l’image de Dieu. De cette affirmation, il découle pour la Tradition juive qu’un corps, ou même une partie d’un corps, ne peut être privé d’enterrement une fois que la vie a définitivement cessé. Ceci vaut même pour les pires criminels (cf. Deutéronome 21 :23), à plus forte raison pour les gens moraux et droits. D’autres injonctions dérivent des mêmes versets : il est interdit de mutiler un cadavre humain, d’en tirer un bénéfice, ou même d’en retarder la mise en terre.

La Torah nous enjoint également d’assumer nos responsabilités en cas de « met mitsva », c’est-à-dire un corps découvert sans vie et sans personne pour l’enterrer (Deutéronome 21 :1). La personne qui le trouve doit l’enterrer, même si cela représente pour elle un coût financier ou l’oblige à se rendre impure (pour un Cohen). Enterrer un corps est perçu comme un commandement de la plus haute importance et une manière fondamentale de prendre acte de la valeur intrinsèque à tout être humain. Dès lors, si une personne décède en laissant des instructions explicites de ne pas l’enterrer, la loi juive (qui respecte profondément les dernières volontés d’une personne) choisit exceptionnellement de passer outre.

Quelle est la définition juive de l’enterrement ? Les textes bibliques et rabbiniques contiennent un certain nombre de descriptions utiles. Ainsi, les récits des Patriarches mentionnent la Cave de Makhpelha, soit le caveau familial dans lequel furent enterrés les patriarches et matriarches (cf. Genèse chapitre 23, 25 :9, 27 :30, 50 :13). Par ailleurs, selon un midrash (Pirkei de Rabbi Eliezer 21), le premier homme (Adam), ne sachant pas, dans sa peine, quoi faire du corps de son fils Abel assassiné, apprit des oiseaux la manière de restituer les corps a la terre.

Les autorités rabbiniques rejettent toute forme de préservation du corps, comme l’embaumement (Emek Halakha 1 :48-49). De même pour la conservation du corps par cryogénisation (Iggrot Moshe, Yoreh Deah 3 :143-144).

Le débat sur l’incinération des corps date du 19eme siècle. Dans leur immense majorité, les Sages juifs rejetèrent cette option comme manquant de respect envers la dignité d’un corps humain. Les quelques rares voix en sens contraire (à ma connaissance, elles n’existaient qu’en Italie – le Gd Rabbin de Rome, Hayyim Castiglioni, fut parmi les rares à penser que l’incinération était halakhiquement acceptable, et il choisit cette propre voie pour lui-même (!)) furent rapidement écartées, sur la base de certains passages talmudiques (Sanhedrin 82a notamment).

Certaines autorités rabbiniques on tranché que les cendres d’une personne incinérée ne peuvent être enterrées dans un cimetière juif ; d’autres, qu’elles doivent être enterrées dans un endroit séparé au sein du cimetière juif (cf. Melamed LeHo’il Yoreh Deah 2 :114). Les enfants de la personne incinérée n’ont pas besoin de tenir les 7 jours de deuil (shiva). Etc.

Finalement, au-delà de l’aspect purement légal, il existe aussi de nos jours la réticence à faire une action qui ressemble d’un peu trop près aux crimes commis par les nazis pendant la Seconde Guerre Mondiale.