Conversation 84553 - La réincarnation : spéculation ou nécessité ?

Serge PASTORINI
Jeudi 3 octobre 2019 - 08:44

Chalom Rav Emmanuel Bloch

J’ai lu vos conversations relatives au guigoul et suis bien d’accord avec vous, ainsi que vous le rapportez dans chacune de vos réponses, qu’en la matière rien n’est prouvé. Mais pour autant, je souhaiterais revenir sur l’intérêt à accorder à cette notion, car en 57740 vous en concluez qu’il s’agit là « de spéculations un peu stériles sur des sujets ésotériques » et vous clôturez la 65099 par cette question : « Est-ce vraiment important, vous pensez ? »

1) Tout d’abord, commençons par dire que si l’on devait ne retenir et mettre en pratique de la spiritualité que des notions rationnellement démontrées et absolument certaines, alors nous ne ferions pas grand-chose. Etes-vous d’accord sur ce point ?

2) L’humilité nous invite même à être beaucoup moins exigeant que cela, car sans aller jusqu’à démontrer une assertion spirituelle, la plupart du temps, le simple fait d’en saisir la logique ne suffirait-il pas à nous remplir le cœur de bonheur ? Combien de notions ne sont-elles pas totalement inexpliquées bien que pourtant essentielles à la compréhension de la vie ? À commencer par le « mal » qui assombrit notre quotidien. Vient-il de D.ieu et pourquoi ? Ou encore de « la Justice Divine que l'on ne peut ni comprendre, ni expliquer », ainsi que le rappelle la réponse 72512. Donc, non seulement on ne peut pas démontrer, mais la plupart du temps et sur des notions essentielles de l’existence, on ne peut même pas comprendre. Etes-vous d’accord sur ce point ?

3) La réincarnation est une très ancienne « spéculation ». Elle est présente dans beaucoup de religions. Mais ce qui fonde son intérêt dépasse le cadre de son ancienneté et de sa diffusion. Sans la réincarnation l’homme est jugé pour l’éternité sur la base aléatoire d’une seule et courte vie (un enfant meurt à peine est-il né : alors, comment juger son action si c’est sa seule et unique expérience de la difficulté à être un homme sur terre ?). Un enfant qui naît dans une favela aura-t-il les mêmes opportunités d’étudier la Torah que le fils d’un rabbin ? La réincarnation pallie cela. Au-delà de l’interprétation de la souffrance par le karma, elle offre une (et même plusieurs) autres « chances ». Elle me donne de l’espoir ; elle me dit que rien n’est perdu, que ces efforts que j’accomplis dans cette vie, je pourrais les reprendre dans une autre pour continuer inlassablement mon chemin vers D.ieu. Alors, est-ce vraiment important ? Oui, cela l’est ! Comment répondre à ces questions sans la réincarnation ? Sans elle, la religion est un échiquier sans la reine. Retirez-la et vous laisserez à la place un vide affreux et intolérable (un de plus !) qu’aucune notion de viendra compenser et vous serez contraint de dire une fois encore que « les voies de D.ieu sont impénétrables ». Vous pourriez me répondre : « si tu as besoin de la réincarnation, alors adopte-la ! », mais je préférerais que vous me disiez comment concevoir l'apprentissage de D.ieu sans elle…

Respectueusement

Avec mes remerciements

Emmanuel Bloch
Mercredi 18 décembre 2019 - 19:52

Chalom,

 

Je vous remercie d'avoir ainsi parcouru mes differentes reponses sur le sujet de la reincarnation. Pour autant que je me souvienne (je n'ai personnellement pas eu le temps de tout relire ici), chacune de ces reponses devait avoir sa structuration propre, dans laquelle je donnais a mon questionneur les elements de reponse pertinents (dans la mesure ou je les connais, s'agissant d'un sujet complexe) avant de souligner que l'important dans la Torah c'est l'action, la pratique des mitsvot et l'etude de la Torah, et le monde present bien plus que le monde futur.

 

Chaque remarque que vous citez se veut donc une maniere de remettre "la synagogue au milieu du village", et certainement pas  une critique du concept de la reincarnation en tant que telle. Et je suis tout a fait d'accord avec vos points 1 et 2: le non-rationnel a sa place dans la pratique religieuse, et le standard de preuve n'est pas forcement celui d'autres domaines de la vie (justice, science, ...). Par contre, je regrette que tant de nos correligionnaires croient en des choses irrationnelles (= prouvees fausses), mais c'est un tout autre debat.

La reincarnation est-elle un concept necessaire dans la Torah ? La reponse est clairement negative. De nombreux maitres n'y croyaient pas, et parfois (comme pour Saadia Gaon) voulaient prouver qu'elle est impossible. Ces autorites repondaient a vos questions sur la justice divine, et autres, avec d'autres reponses que celles offertes par les tenants des guilgoulim, mais ces autres reponses sont egalement legitimes.