Conversation 10880 - Signification de 'kadosh'
Shalom rabanim,
Je retrouve le mot KADOSH très souvent sur votre site. Puis-je connaître la signification de ce mot et ce qu'il représente dans la religion ou la tradition israëlite?
En tout cas, bravo pour ce site et merci pour la clarté, la rapidité et la gentillesse de vos réponses, j'étudie l'hébreu et j'estime que la connaissance de la pensée (si tant est qu'on puisse la connaître) juive fait partie intégrante de la culture.
Todah rabah véshalom lécoulam
Le mot qadosh (que je préfère translittérer avec un "q" puisqu'il s'agit d'un "qof" à l'initiale et non d'un "kaf") est généralement traduit par l'adjectif "saint", le substantif, "qédoucha" étant traduit par sainteté.
Selon le contexte dans lequel il est employé, le terme peut avoir diverses significations, appartenant toutes néanmoins à un champ sémantique qu'il est possible de délimiter.
Appliqué à Celui qui est Dieu le mot désigne Son absolue transcendance. Le fait qu'aucune des réalités mondaines ne saurait en aucune façon ni lui être comparée ni moins encore le représenter.
Entendue comme commandement pour l'homme, comme en Lévitique 19:1 : "Vous serez saints", l'exigence de sainteté a pour condition l'éloignement de tout vice. Elle désigne une attitude de la conscience visant à l'unification de toutes les valeurs. Comme le dit notre maître, le rav Yéhouda Léon Askénazi (Manitou) de vénérée mémoire : "La sainteté se trouve en effet dans la convergence de vertus habituellement irrיductibles."
L'unification des valeurs en l'homme est la dimension morale de la croyance métaphysique en un Dieu Un. Vous serez saints dans votre dimension humaine comme Je suis saint dans la dimension divine. C'est ainsi que la sainteté humaine et la sainteté divine peuvent se rencontrer en ce lieu privilégié que la Thora appelle Qodech HaQodachim - traduit par Saint des saints - où le superlatif de la sainteté ne désigne pas seulement ce qui est plus saint que tout mais la sainteté résultant de la convergence de toutes les saintetés à leur paroxysme : la sainteté du lieu, intériorité ultime du Temple de Jérusalem, la sainteté du temps, Yom Kippour, le plus saint de tous les jours, la sainteté du plus saint des hommes, le Cohen Gadol, revêtu des habits les plus saints, ensemble de saintetés réunies devant Celui qui est Saint.
C'est ainsi que deux passages des prières, l'une trois fois quotidienne et l'autre en qui s'achèvent et convergent toutes les prières de la semaine se font écho :
Tu es saint et Ton Nom est saint et ceux-là seuls qui sont saints peuvent Te louer chaque jour.
Tu es Un et Ton Nom est Un et qui est comme Ton peuple Israël, peuple Un sur sa Terre.
Cette analyse trop succincte me paraît devoir s'achever par le rappel de la signification messianique de la profession de foi du judaïsme, le fameux "Écoute ! Israël..." Je l'emprunterai à un texte de Manitou publié dans le tome 1 de Ki Mitsion, notes sur la paracha de la semaine :
« ... Il nous faut donc admettre que malgré notre familiarité avec le principe de l'unité de Ce-Lui qui est Dieu, familiarité qui nous vient d'un très long temps d'éducation biblique, la Thora sait qu'en fait ce principe n'est pas co-naturel à l'expérience humaine. Il était nécessaire d'exhorter Israël lui-même à ne pas oublier l'expérience qu'il en a eue par évidence directe, expérience historique dont il a été l'objet et le témoin et pas seulement expérience intellectuelle de réflexion ou de raisonnement. C'est que le monothéisme de l'unité, bien qu'impliquant l'unicité, la dépasse infiniment. Que Dieu soit unique, seul à être ce qu'Il est, peut devenir une évidence de l'intelligence, après un long effort d'ascèse spirituelle. Mais le principe de l'unité des valeurs reste une connaissance reliée à la foi. Tout se passe comme si, en effet, notre monde était apparemment soumis à des absolus contradictoires et donc à un irrémédiable conflit de valeurs. Les mythes païens montraient cela dans « la guerre des dieux ». Non seulement le bien et le mal, le vrai et le faux, la vie et la mort… toutes les valeurs, selon l'expérience humaine, se contrarient : ce qui est utile n'est pas forcément le bien ; ce qui est le bien n'est pas forcément rationnel ; ce qui est beau n'est pas forcément vrai ; ce qui est juste n'est pas forcément beau, et ainsi à l'infini. La coïncidence des valeurs, la justesse de leur unité est littéralement miraculeuse, car toujours secrète, cachée et « irreprésentable ». L'insensé a dit en son coeur : il n'y a point de Dieu. « En son coeur », c'est-à-dire à cause de ce qui se passe en son coeur. D'où la forme impérative que prend cette exhortation : « Écoute Israël ! », signifie d'abord : « Prends garde Israël ! »
Le commentaire que donne Rachi de notre verset lui assigne un prolongement
considérable. Expliquant plus particulièrement le terme « notre Dieu », il enseigne :
Celui que nous avons déjà été appelés à reconnaître comme tel, déjà notre Dieu dès maintenant, est destiné à être reconnu par toutes les familles de la terre. Selon les versets suivants : Car alors Je déverserai sur les peuples une langue épurée afin qu'ils invoquent tous le nom de Hachem. (Sophonie III, 9)
En ce jour-là sera Hachem Un et Son nom Un. (Zacharie XIV, 9)
Comme si les événements de l'histoire d'Israël – qui firent de lui le peuple de la
prophétie monothéiste – étaient une préfiguration de la promotion de l'universel
humain aux mêmes certitudes quant à l'unité qui se cache au-delà du chaos des absolus, et donnent en cela, à toute personne appelée à les entendre, la connaissance et la certitude du salut. »
Avec nos remerciements pour vos appréciations et l'espoir de les mériter toujours.
Elyakim P. Simsovic
epsimso@trendline.co.il
A propos de la 10880
Je ne comprends pas tout a fait la notion d'unification des valeurs , ou d'unite des valeurs (est-ce la meme chose ?) qui est le gage de saintete. C'est quoi cette "convergence" des valeurs ? c'est le fait que le bien soit egal au mal , ou le fait qu'autrefois, avant la Faute , le bien correspondait a la verite , et le mal correspondait au mensonge , mais qu'aujourd'hui tout est trouble , Alors l'unification des valeurs , ce serait revenir a cet etat d'avant la faute ?
je m'exprime mal . l'unifcation des valeurs c'est quoi ? c'est l'etat actuel du monde ou c'est ce a quoi on aspire ? c'est ce que la Thora propose contrairement aux Nations qui propose des valeurs toujours en conflit ?
Bon bref je ne comprends pas bien votre reponse .
Je vous propose de lire "Le Sens humain de la durée" dans La Parole et l'écrit du rav Askénazi (Manitou) zatsal.
Peut-être cela vous éclairera-t-il ?
a propos de la 11507:
le re-lire plutot . Ce sont des textes supers , mais si difficiles a comprendre completement ...
C'est pour cela qu'il faut les lire "bekoved roch", attentif à chaque phrase et à chaque mot. S'arrêter entre les paragraphes pour récapituler les idées, les laisser infuser en nous. Bref, c'est cela qui s'appelle lire !
A propos, le tome 2 de La Parole et l'écrit devrait paraître début 2004. Une série de cours audio vient de paraître, en hébreu et en français sur CDs à l'occasion de la hazaqara qui a eu lieu le 9 hechvan.
Plusieurs publications sont en cours d'édition en hébreu et en français.
Bonjour Rav,
je vous interpelle au sujet de votre réponse 10880 de Cheela. Je
croyais que "qadosh" voulait dire "séparé". Je sais que le latin l'a
traduit par "saint" mais je trouve que le sens commun donne à cette
traduction une dimension mystique, de plus mystique chrétienne, qu'il
n'a pas en hébreu. Je préfère la traduction de "qadosh" en "séparé" car
elle ne dit que ce qui doit être dit. Dieu est qadosh parce qu'il est
séparé des hommes etc... De même qu'il peut y avoir une séparation vers
le bien il peut aussi avoir une séparation vers le mal... Savoir ce qui
se ressemble et qui est séparé est certainement une des premières
fonctions de l'intelligence humaine.
Qu'en pensez vous ?
Bien à vous,
Patrick
PS après une conversation privée, j'ai réalisé que je faisais une confusion entre "saint" et "sacré" mais en hébreu existe-t-il une telle distinction ? Je ne connais que le mot "qadosh" pour exprimer ces deux concepts qui sont marqués fortement par la pensée chrétienne.
Si qadosh veut dire "séparé" ce n'est certainement pas au sens d'une
fonction intellectuelle mais morale. Comme le dit Rachi au début de son
commentaire sur parachat Qédoshim.
Et lorsque Israël est déclaré mis à part ou que Dieu se dit Qadosh, cela
renvoie effectivement à la catégorie de la transcendance.
Mais vous faites erreur sur le sens de saint. Vous lui attribuez les
caractères de ce qui en culture occidentale se dit "sacré".
La sainteté n'est pas du tout de l'ordre des expériences mystiques. On parle
de "terreur sacrée" mais de "saintes vertus".
La sainteté, enseignait rav Askénazi (Manitou), est présente dans l'unité
des valeurs et c'est cela qui est le projet existentiel d'Israël.
En réponse au P.S.
En effet, il faut se méfier des significations chrétiennes qui "déteignent"
sur les contenus propres à la spiritualité hébraïque. Mais le fait que des notions existent ailleurs ne signifie pas qu'elle n'ont pas d'abord été apportées au monde par le message de la Thora d'Israël. Qu'il faille se méfier de la contamination, surtout en ce temps de distorsion du langage, c'est certain. Mais aussi longtemps que nous parlerons en français, c'est par sainteté que nous traduirons qodesh et par saint que nous traduirons qadosh, en prenant garde de leur donner les contenus spécifiques enseignés par la tradition hébraïque et juive.
De manière plus précise, si la avodat haqodesh exprime le service de la sainteté, ce sera par avoda zara que s'exprimerait le mieux, je pense, l'idée d'un détournement de la sainteté vers le sacré, en quoi ce service est étranger à Israël.
Pensez à la gradation indiquée dans la téfila :
yécharim = les hommes de droiture (disposition au bien)
tsadiqim = les hommes de vertu (qui règlent leur conduite sur la loi)
hassidim = les hommes de moralité (chez qui l'adhésion à la vertu coincide
avec la volonté d'obéïr à la loi)
qédochim = les hommes de sainteté (qui unifient les valeurs conflictuelles
de la loi dans l'unité de leur être) [il faut penser ici aux implications de
ce que Maïmonide dit au début des Huit chapitres]
Bon courage !