Conversation 29857 - Socrate
Bonjour,
1_Concernant les sept lois noahides, est-ce que D. a interdit le meurtre parce que le meurtre est mauvaise en soi, ou bien est-ce le meurte qui est mauvais parce que D. l'a interdit ?
2_Concernant les commandements qui ne concernent que les juifs, est-ce que D. a interdit de consommer du porc parce que cette consommation est mauvaise en elle même, ou bien est-ce que cette consommation est mauvaise PARCE QUE D. l'a interdit ?
3_ La réponse diffère t elle selon les différentes interdictions (vol, blasphème, chtanez, etc.) ?
Toda rabba
Chalom,
1. La question que vous posez a déjà été posée en d'autres termes par Platon dans l'éthique à Nicomaque (je n'ai pas les références exates sous la main): la bonté est est voulue pas les dieux parce qu'elle est bonté, ou est-elle bonté parce que voulue par les dieux? (la traduction est approximative). C'est la première question que vous posez.
Dans une réponse intitulée Thora et humanisme (2492 sur le site, page 98 dans mon livre) j'ai traité un peu de cette question:
"La question de savoir si il existe une morale humaine en dehors de la Tora est sujette a discussion.
Rabbi Tsvi Elimelekh de Dinov (1) par exemple écrit que l'interdiction de voler, commettre d'adultère ou d'assassinat vient de la Tora. C'est parce que D'ieu nous l'a interdit que nous ne le faisons pas, pas parce que notre morale nous l'interdit.
A l'oppose, le Rav Moche Chmouel Glasner (2) écrit que passer outre a ce qui est accepte par les sociétés éclairées, même si ce n'est pas interdit explicitement par la Tora, est plus grave que transgresser une interdiction explicite. Pour expliquer son propos, il donne l'exemple suivant: il est explicitement interdit par la Tora a un homme de revêtir des habits de femme. Par contre, l'interdiction d'aller complètement nu n'apparaît pas dans la Tora. Elle est acceptée de manière quasi universelle. Le Rav Glasner pose donc la question suivante: un homme dort nu dans son lit, et se réveille a la lueur d'un incendie qui ravage sa chambre. Il n'a pour se revêtir qu'un habit de femme. Devra-t-il revêtir cet habit, ou sortir nu?
J'ai l'habitude de donner un autre exemple, base sur un fait divers d'il y a plusieurs années. Un avion s'était écrasé dans les Andes, et les rescapes n'avaient survécu qu'en consommant la chair de passagers qui avaient eu moins de chances qu'eux. Si ces rescapes avaient été des juifs religieux, et qu'ils aient hésite entre consommer de la chair humaine ou des boites de conserves contenant de la viande non cachère, que leur aurait conseille un rabbin? L'interdiction de consommer de la chair humaine n'apparaît pas dans la Tora, celle de consommer de la viande non cachère (de porc, par exemple) est quant a elle explicite.
Deux autres rabbins se sont posés la question au vers les années 30 du vingtième siècle, le Rav Harlap et le rav Hirschensohn, et sont arrivés à la même conclusion que le Rav Glasner.
2. La deuxième question n'est pas obligatoirement liée à la première. Elle définit deux compréhensions bien distinctes du système des mitsvoth.
Prenons comme vous l'exemple du porc: on peut considérer qu'il est interdit de le manger parce qu'en manger est nocif. Certains diront que c'est nocif pour la santé (thèse que j'apprécie peu, adoptant en cela l'opinion de Abrabanel), d'autres que cela est nocif spirituellement, que la viande de porc a des influences néfastes spirituellement parlant.
Selon cette manière de comprendre la Tora, la différence entre la viande de porc et la viande de bovin par exemple est quasiment naturelle. Cette différence n'est pas créée par la Tora. La Tora vient la mettre en évidence.
Une approche différente de la question serait de dire qu'il n'y a strictement aucune différence entre cochon et vache, et D'ieu aurait très bien pu ordonner le contraire, interdire la vache et autoriser le porc. C'est la Tora qui fixe la différence, en dehors de l'ordre de la Tora aucune différence.
Les deux approches existent chez les rabbins, et vous pouvez choisir celle qui vous semble la plus exacte.
J'espère que ma réponse a été assez claire, sinon n'hésitez pas à ma relancer.
References: 1: Pologne, 18-19me siecle; Bney Issaskhar, maamarey h'odech Sivan, maamar 5, 22. 2: Hongrie-Israel, 19-20eme siecle; Dor Revii, intoduction. 3: Orot Hakodech, 3, p. 27.
Shalom cher Rav,
dans votre réponse à la question : 29 857 vous écrivez : "Rabbi Tsvi Elimelekh de Dinov (1) par exemple écrit que l'interdiction de voler, commettre d'adultère ou d'assassinat vient de la Tora. C'est parce que D'ieu nous l'a interdit que nous ne le faisons pas, pas parce que notre morale nous l'interdit."
Cela me donne envie de vous poser une autre question : qu'est-ce qui fonde l'autorité de la Torah ? Comment savons nous qu'elle est "emet" ?
(Excusez moi de vous poser une question aussi élémentaire, mais je suis vraiment un novice en judaisme )
Toda Rabba
Chalom,
Votre question n'est pas élémentaire.
Je la trouve admirable, parce que vous avez reconstitué un des arguments de ceux qui n'acceptent pas la thèse de Rabbi Tsvi Elimelekh. Pour eux il est évident que la morale naturelle a sa place dans le judaïsme parce qu'elle relève de la logique et du rationnel.
Ainsi, le Rav Chimone Skop (Lithuanien, 19-20ème, Charey Yocher, Chaar Hamichi, 1-2) écrit que les lois régissant les contacts humains, par exemple le droit à la propriété, ne sont pas comme les autres lois. Ce n'est pas l'interdiction de voler un objet à son prochain qui rend le prochain propriétaire de cet objet. C'est parce qu'il en est le propriétaire que je ne peux pas le voler. Il y a donc un élément qui précède la Tora et sur lequel cette dernière est basée: le droit de propriété. De même, l'obligation de rembourser une dette est une obligation juridique, qui précède la Tora et sur laquelle la Tora insiste. Mais elle existe en dehors de la Tora.
Et il ajoute: "Bien que de prime abord, cela parait étonnant. Quelle obligation pourrait incomber à un homme sans que la Tora l'impose? Mais en approfondissant bien la question, la chose est facilement compréhensible. EN EFFET, L'OBLIGATION DE SERVIR D'IEU ET DE FAIRE SA VOLONTE A AUSSI SA SOURCE DANS LA RAISON…".
Venons-en donc à votre question: qu'est ce qui fonde l'autorité de la Tora? Certains la fondent sur le témoignage que se transmettent de père en fils les Juifs depuis plus de trois millénaires sur la révélation dont ils ont été eux-mêmes témoins au Mont Sinaï. Et d'autres, comme nous venons de le voir, préfèrent la baser sur la réflexion et la raison.