Conversation 31414 - Donner gauchement de la Tsedaka
Chalom,
On dit qu'il faut donner la Tsédaka avec la main droite. Mais on m'a rapporté au nom du Ari Zal que même un gaucher devait la donner avec la main droite. Ce qui est contraire à ce qu'on m'avait appris là-dessus. Qu'en est-il ?
Connaissez-vous un livre bien fait et bien indexé qui traite de façon générale de ce que les gauchers doivent faire de la main droite et de ce qu'ils doivent faire de la main gauche ?
Merci beaucoup
Je n'ai pas trouvé dans le Choulh'an Arouch du Ari Zal, Halachot de Tsedaka, qu'il parle de la main gauche, mais peut être ai-je mal cherché. Cela ne veut pas dire non plus que ce qu'on vous a dit est faut puisque c'est la tendance de ceux qui tranchent la Halacha suivant la Kabbala, comme nous allons le voir.
Je ne connais pas de livre comme vous cherchez mais en utilisant l'encyclopédie Talmudique Volume 1, colonne 476 "Iter", Volume 21, colonne 652 "Yad" et Volume 24, colonne 643 "Yemin", vous arriverez à la majorité des références. En consultant en parallèle le Kitsour Choulchan Arouch annoté par le Rav Mordechay Eliyahou à la base du Ben Ich Hay, vous aurez le complément de la Halacha tranchée, suivant un avis ou l'autre.
Et maintenant au travail:
Tout d'abord il y a des Mitsvot qui doivent être obligatoirement accomplies de la main droite par tout le monde, et si on les fait de la main gauche, elles sont sans valeur et il faut les recommencer, par exemple le service dans le Temple.
Il y a aussi des Mitsvot qu'il faut obligatoirement accomplir de la main droite pour les droitiers et de la main gauche pour les gauchers, et si cela n'a pas été respecté la Mitsva n'est pas valable. Par exemple, le scribe qui écrit un rouleau de la Thora (ou Tefiline et Mezouza) doit le faire de sa main habituelle. Un Sefer Thora écrit de la main droite par un gaucher est Passoul (Inapte à la lecture publique) et vis versa. Les Tefilines du bras se placent sur le biceps "faible" (1): à gauche pour le droitier et à droite pour le gaucher. Celui qui inverse n'a pas accompli la Mitsva (2).
S'accouder au Seder de Pessah: Rabbi Yossef Karo et le Rema sont d'accord que les gauchers comme les droitiers s'accoudent du coté gauche. Les raisons anatomiques, identiques pour tout le monde, sont expliquées par le Michna Beroura, il s'agit d'éviter de s'étouffer en mangeant accoudé. Si un droitier s'accoude du côté droit, il n'a pas accompli la Mitsva de nos sages de s'accouder et doit (dans certain cas) recommencer. Par contre, un gaucher s'étant accoudé à droite s'est acquitté de la Mitsva, car pour certain décisionnaire, on ne peut s'accouder que sur la main qui ne sert pas à manger. (3)
Et puis il y a tous les autres Mitsvot pour lesquelles il n'y a ni d'obligation ni de contre indication sur la main à employer. Le choix de la main relève du Hidour Mitzva, c'est à dire de la manière la plus belle d'accomplir la Mitsva.
La coupe de vin du Birkat Hamazone (Kidouch et Havdala): Il faut la tenir de la main droite. Rabbi Yossef Karo écrit:: certain disent de la main gauche pour le gaucher (4). Le Kitsour Choulchan Arouch écrit qu'un gaucher tiendra la coupe de la main gauche (qui est sa main droite). Rav Mordechay Eliyahou précise que pour Rabbi Yossef Karo et le Ben Ich Hay, même un gaucher tiendra la coupe de sa main droite.
Vous avez ici un premier exemple de la tendance rationaliste pour qui la main droite d'un gaucher est sa main gauche et de la tendance kabbaliste pour qui la main droite a une signification mystique qui est valable aussi bien pour les droitiers que pour les gauchers.
Le loulav: Pour Rabbi Yossef Karo: un gaucher tiendra dans la main droite le bouquet du Loulav, myrte et saule, et dans sa main gauche, l'étrog, comme les droitiers. Pour le Rema: le gaucher inverse les mains. Le Michna Beroura explique: pour Rabbi Yossef Karo, lorsque le choix de la main droite pour un droitier est motivé par l'importance que nos sages veulent accorder à la Mitsva, alors il n'y a pas de différence entre un gaucher et un droitier. Pour le Rema, nous apprenons des Tefilines qu'en général, la droite d'un gaucher est sa gauche (5). Second exemple.
Birkat Hanehenin: Lorsqu'on prononce la bénédiction pour un aliment ou une plante aromatique, il faut la tenir de la main droite. Rabbi Yossef Karo ne précise pas de différence entre un gaucher et un droitier (c'est clair), le Rav Mordechay Eliyahou met les points sur les "i". Le Michna Beroura explique que le choix de la main droite sert à exprimer l'importance que l'on accorde à la bénédiction et donc un gaucher doit utiliser sa main gauche (6). Troisième exemple.
Pourquoi cette préférence pour la main droite et le côté droit en général? Premièrement parce qu'on constate que la Thora elle-même accorde une primauté à la droite (7). Que devons nous apprendre de là?
Pour les rationalistes, la main droite (pour le droitier) c'est la main "à-droite", habile, la main forte comme nous l'apprenons à propos des Tephilines, bref, la main la plus importante. Cela veut dire qu'il faut accomplir les Mitzvot avec soin, être méticuleux et leur donner de l'importance. La main droite du droitier, et la main gauche du gaucher, montrent l'importance que l'on confère à l'action de la Mitsva.
Pour les mystiques, par contre, la "main droite" reste la droite pour les droitiers comme pour les gauchers parce que cette main droite de l'homme rappelle la main droite de D-ieu (sans anthropomorphismes), qui elle représente les interventions divines dans le monde qui apparaissent comme des signes de bonté (Rachamim). Plus généralement, en accomplissant les Mitsvot, chaque juif joue le rôle de messager divin, un parmi les nombreux messagers que D-ieu envoie pour réaliser Sa volonté dans le monde et pour y dévoiler Sa Présence. Chaque Mitsva se rapporte à une partie du corps qui permet de la pratiquer, et qui devient elle-même témoin de la Providence et vecteur de cette même volonté divine originelle. Pour que tout ceci soit parfait il faut que la réalisation de la Mitsva dans tous ses détails corresponde exactement aux valeurs spirituelles attendues, aux sphères. Les Mitsvot qu'on accomplit par des actions se rattachant de manière générale à ce que signifie la notion de "main droite de D.", elle doivent donc être accomplie de la main droite.
Il y a quand même quelques petites exceptions.
A la fin de la prière (Amida) et du Kadich, lorsqu'on dit "Ossé Chalom": on se courbe d'abord vers la gauche puis vers la droite puis au milieu. Tous les décisionnaires sont d'accord que par respect pour D-ieu devant lequel on prie, il faut commencer par la "droite" du vis-à-vis, c'est à dire pratiquement la gauche de celui qui prie (8).
Les trois pas en arrière, à la fin de la prière (Amida) et du Kadich. Le premier pas se fait du pied gauche. On explique, qu'en général un droitier démarre du pied droit mais pour bien montrer que nous avons de la peine à mettre fin à la rencontre privé avec D-ieu que constitue la prière, nous reculons avec hésitation, d'abord du pied gauche. Le Kitsour Choulchan Arouch en bon rationaliste écrit donc qu'un gaucher retirera d'abord son pied droit (9). Rabbi Yossef Karo aussi est cohérent et ne précise pas de différence entre un gaucher et un droitier. Mais par contre le Michna Beroura ne se prononce pas, et les deux avis co-existent ensemble pour de multiples raisons supplémentaires (10).
La Birkat Kohanim du Chaliah' Tzibour (officiant) lorsqu'il n'y a pas de cohanim. Lorsque le Chaliah' Tzibour dit les mots "Veyichmerécha" il se courbe vers sa droite, "Panav … vih'ounéka" vers sa gauche etc… Cette habitude qui à sa source dans le Zohar (!) n'est pas rapporté par Rabbi Yossef Karo, mais par le Michna Beroura. Elle est imprimée comme halacha même dans les Sidourim qui se refusent d'inclure des textes de prières d'origine mystique, le Kitzour Choulh'ane Arouch ne la rapporte pas mais tout le monde le fait. Tout est clair n'est ce pas?
Dans la Kedoucha aussi, lorsque le Chaliah' Tzibour dit "Vekara zé el zé" il se courbe d'un côté puis de l'autre, pour imiter les anges qui s'interpellent pour entonner ensemble la Kedoucha. Rav Mordehay Eliyahou, dans son Sidour, écrit qu'on se courbe d'abord à droite puis à gauche. Je n'ai pas trouvé d'autres sources écrites, mais j'ai entendu une fois un fidèle bien intentionné qui reprochait au Chaliah' Tzibour de s'être tourné d'abord vers la droite puis vers la gauche en ces termes (citation): "Vous prenez votre droite pour celle de D-ieu?". Vous comprendrez facilement l'intention mystique qui se cache en arrière pensée, dommage que ce brave homme n'a pas eu aussi en arrière pensée la longue liste d'interdictions de la Thora qu'il aurait pu transgresser en vexant le Chaliah' Tzibour.
J'ai tourné beaucoup de pages pour vous montrer comment une valeur qui apparaît à l'origine dans la Thora s'élargit ensuite dans les décisions de nos sages pour s'étendre ensuite dans le Minhag jusqu'à émaner finalement dans le subconscient des gens qui cherchent honnêtement à bien faire. Vous remarquerez que si au départ il y a obligation, plus on s'éloigne de la source, plus chaque individu est appelé à s'identifier à sa manière avec l'accomplis-sement de ses Mitsvot. C'est ce que nos sages nous enseignent lorsqu'ils disent que D-ieu attend de l'homme que son cœur soit avec Lui. Servir D-ieu de tout son cœur ne peut pas se limiter à servir le codex de la Halacha. Mais celui-ci est le tremplin indispensable pour y arriver. Il ne vous reste plus qu'à vous re-situer dans votre accomplissement des Mitsvot, ou d'un côté plus rationnaliste ou d'un côté plus mystique ou bien dans une synthèse qui vous sera originale et dans laquelle vous ressentirez que vous agissez ainsi par amour pour D-ieu. En attendant je ne peux que vous garantir que le Ari Zal donnait beaucoup d'importance à la Mitsva de payer ses employés à temps même s'il devait un peu emprunter sur le temps de la prière pour trouver de l'argent liquide. Payait-il de la main droite? Le témoignage précédent ne le dit pas.
(1) Chemot 13, 16. Voir Rachi.
(2) Choulh'an Arouch Or Hah'ayim Chap.27, parag.6, Michna Beroura 24.
(3) Choulh'an Arouch Or Hah'ayim Chap.472, parag.3, Michna Beroura 10, 11.
(4) Choulh'an Arouch Or Hah'ayim Chap.183, parag.4-5, Michna Beroura 12, 20.
(5) Choulh'an Arouch Or Hah'ayim Chap.621, parag.3, Michna Beroura 18.
(6) Choulh'an Arouch Or Hah'ayim Chap.206, parag.4, Michna Beroura 18.
(7) Voir l'encyclopédie Talmudique et Choulh'an Arouch Or Hah'ayim Chap.2, parag.4, Michna Beroura 5.
(8) Choulh'an Arouch Or Hah'ayim Chap.123, parag.1, basé sur le Talmud Yoma 53b.
(9) Kitsour Choulchan Arouch 18-12.
(10) Choulh'an Arouch Or Hah'ayim Chap.123, parag.3, et Biour Halacha. Voir aussi Beth Yosef sur le Tour ibid.
(11) Choulh'an Arouch Or Hah'ayim Chap.227, parag.2, Michna Beroura 8.