Conversation 46071 - A propos des Chérubins
Kevod HaRabanim,
Pourriez-vous nous faire part d'un commentaire au sujet des Cherubins?
Comment comprendre que soient presentes de telles statues (pour ne pas dire 'idoles' h.v.s.) dans le Saint des saints, la meme ou se manifestait la Transcendance Divine? Par ailleurs, comment comprendre la symbolique de leurs gestures (comme dans Yoma 54b par exemple)?
Je sais que ce genre de paradoxe est courant dans le Judaisme (le Mashiah est issu d'une union interdite, l'huile d'olive annule les effets de l'olive etc) et que le sujet doit etre particulierement riche et complexe mais je serais a la recherche d'une explication assez terre-a-terre (pour commencer).
Merci d'avance
La présence des chérubins dans le Tabernacle, puis dans le Temple, est abondamment commentée par le rabbin Elie Munk dans « La voix de la Thora », vol.II p. 310 et suiv. ) :
Les chérubins sont décrits par le prophète Ezéchiel comme des anges dont la forme est composée de celles de l’homme, du taureau, et de l’aigle, ces trois animaux symboles de force et d’intelligence. Les chérubins gardaient le paradis terrestre après que l'homme en eut été chassé
(Gen. III,24). Ils portent le trône de Dieu (II Sam. XXII,11), formé par le char céleste, et celui-ci sert de modèle à l'arche sainte, comme il est dit dans I Chron. XXVIII, 18. Celle-ci représente ainsi le siège de la Divinité, dans le cadre du microcosme. Le trône terrestre qui a pour piédestal les tables de la Loi, contenues dans l'arche, est entouré des chérubins aux ailes déployées qui évoquent le royaume des anges, où l'Eternel trône, comme il trône au royaume des hommes (Nahm.).
Ces chérubins sont au nombre de deux, et ils représentent, de ce fait, le dualisme qui est inhérent à toute la création. L'unité absolue n'existe qu'en Dieu. Mais dès la première phase de la création émanant de lui, le dualisme se manifeste dans toutes les sphères de l'existence. Or la création des anges, qui représentent les « intelligences séparées », se situe tout au début de l'œuvre des sept jours (Gen. Raba c. 1). Et en faisant résider sa majesté sur les deux chérubins, l'Eternel témoigne en quelque sorte que le dualisme, source de tant d'erreurs et d'aberrations, a été créé par lui (Guide des Egarés III, 45). Loin d'être l'indice d'une pluralité de divinités, il est l'une des conditions fondamentales de la nature. Les doubles tables de la Loi, qu'abrite l'arche sainte et qui sont issues des mains de Dieu, évoquent la même vérité.
L'établissement des chérubins sur le propitiatoire semble s'opposer à la défense « tu ne feras pas à côté de Moi des dieux d'argent, des dieux d'or, ni une image taillée ni une représentation de ce qui est en haut dans les cieux ou en bas sur la terre » A cette question fréquemment soulevée, Rachi répond au nom de Midr. Méhilta, après avoir fait état de certaines restrictions concernant les chérubins et résultant des défenses ci-dessus : « Ne dis pas: je vais faire des chérubins dans les maisons de prières et dans les maisons d'étude, tout comme j'en fais dans le Temple: C'est pour cela qu'il est dit : Vous ne ferez pas pour vous » (Ex. XX, 20). Juda Halévy et Is. Abarbanel développent cette thèse en soulignant que les images ou représentations de ce qui « est dans les cieux» sont défendues pour autant qu'elles sont un objet d'adoration ou qu'elles conduisent à l'idolâtrie, mais elles ne sont pas interdites par elles-mêmes. Aussi « ne trouva-t-on rien d'étrange aux images taillées ordonnées par Dieu lui-même, à savoir les chérubins» (Khouzari 1, 97). Ainsi s'expliquent les tolérances accordées sous certaines conditions à la reproduction « de ce qui est en haut dans le ciel, ou en bas sur la terre» (Yoré Déa § 141, 4).
« Déployant les ailes » : Rachi explique: « Ne les fais pas les ailes rabattues, mais déployées et dressées en hauteur, vers leur tête de manière qu'il y ait dix palmes dans l'espace compris entre les ailes et le propitiatoire. Comme cela est expliqué au traité talmudique Soucca 5b ». Il est précisé, d'autre part, que la longueur totale des ailes de chaque chérubin était de dix coudées (I Rois VI,24). Or, étant donné que l'un des chérubins était disposé au côté nord et l'autre au côté sud et que, par ailleurs, la longueur et la largeur du « debir », où se trouvait l'arche, n'était que de vingt coudées (1 Rois VI,20), on s'est demandé quelle place les chérubins eux-mêmes ont pu occuper. Une question identique se pose au sujet de l'arche sainte. Les mesures indiquées au Livre des Rois (ib,) ne lui laissent pratiquement aucune place à l'intérieur du debir au Temple de Salomon. R. Lévi répond en invoquant « la tradition ancestrale selon laquelle l'arche n'occupait aucune place et qu'elle ne tenait que par miracle »
(Megg. 10 b). Ce fait ne vient qu'ajouter à la série des miracles qui se produisirent dans l'enceinte du Temple (Yoma 21 a). Certes, la présence divine ne peut s'intégrer et se maintenir dans nos dimensions terrestres que par miracle : !'arche sainte, les tables de la Loi et la Thora qu'elle renferme concrétisent cette présence divine. Elles sont issues d'un monde immatériel, et leur établissement sur terre tient du miracle […]
Les deux chérubins, ajoute encore le Zohar, étaient l’un de sexe masculin, l’autre de sexe féminin. Et lorsque l’harmonie régnait entre Israël et son Dieu, leur visage se tournait l’un vers l’autre et leurs ailes se touchaient. Mais lorsque la désunion apparaissait, les chérubins se détournaient l’un de l’autre. La division en principe masculin et féminin fournit le schéma de la création tout entière. S’ils s’unissent harmonieusement, selon leur destinée naturelle, si l’amour règne entre le Créateur et la créature, cette union constitue la force fructifiante et la source de bénédiction de toutes les activités humaines. Les chérubins étaient en quelque sorte les instruments de mesure extrêmement sensibles de l’union harmonieuse qui s’établit entre Dieu et les hommes, entre le ciel et la terre, entre ces deux facteurs, dont le premier représente le principe masculin, fécondant et productif, source de l’énergie, et le second le principe féminin, passif et réceptif, agent de la forme.
Pour peu que cette intimité se trouvât en voie de réalisation, les chérubins se tournaient l’un vers l’autre en un geste d’amour et leurs ailes battaient comme pour chanter la gloire de Dieu. Sinon, leur visage détourné annonçait au monde que l’Eternel se détourne de lui.