Conversation 6681 - Tendre la main à un aveugle
Cher Rav Kahn
Une femme peut elle serrer la main a un aveugle, si celui ci la lui tend? Je vous dirais simplement que mon grand pere (aveugle) ayant un jour tendu la main a une certaine personne religieuse, celle ci a mis sa main hors de portee de celle de mon grand pere et lui a dit: je ne sert pas les mains. Mon grand pere a compris la raison (il est tres comprehensif) mais la situation m'a personnellement choque et irrite. Donc plutot que de continuer a m'enerver inutilement, je vous demande ce que vous en pensez.
Merci beaucoup.
Yonatan
Le Rav Zenou a repondu tres prudemment a cette question, et je desire etre plus explicite qu'il ne l'a ete. La maniere de traiter de cette question halakhique etant tres revelatrice de la methode employee. Notons qu'il n'y a aucune divergence d'opinion, me semble-t-il, entre le Rav Zenou et moi meme. Disons juste que le Rav Zenou est plus delicat que moi.
Dans le cadre des lois de la femme "sota" le Talmud dit que le Cohen pose sa main sous la main de la femme et que celui la souleve. Sur quoi le Talmud (1) demande si ceci est correct, et repond que vu que cela ne dure qu'un court instant, il n'y a rien a craindre.
Le Rema (2) note qu'il faut eviter avec les femmes les situations qui sont des preuve d'intimite (דרך חיבה ).
Le Ben Ich H'ay (3) ecrit que les rabbins a qui des femmes font le baise-mains n'ont pas a s'y opposer, car elles ne le font pas par affection, mais par respect, comme elles embrasseraient le Sefer Tora. Par la suite il ecrit que l'habitude qu'ont les Europeens de se serrer les mains est a eviter. La maniere dont il decrit cette action ressemble assez peu a la maniere qu'ont aujourd'hui les Francais de se serrer la main. Il insiste trois fois dans un passage de deux lignes que l'on se tient fortement les mains et que ceci est un signe d'affection.
Plus pres de nous le Rav Moche Feinstein (4) ecrit qu'il est dur de se baser sur l'opinion que ce n'est pas un signe d'affection.
Nous avons la un cas type de principe halakhique immuable (toute signe d'affection avec un femme autre que la sienne est prohibee) qu'il faut appliquer a une realite changeante (5). La question de l'apprehension de la realite est ici primordiale, et il est evident que la realite a Paris ou a Mea Chearim est differente. L'application de la Halakha est donc bien evidemment differente. A Paris, serrer la main, c'est marquer la distance. Si on est proche, on se fait la bise. Serrer la main est donc bien un signe de politesse, non d'intimite. Vouloir appliquer tel quel ce qu'ecrit le Rav Moche Feinstein est a mon humble avis denaturer la Halakha. Pour trancher la Halakha, il faut bien connaitre la realite precise de la communaute a laquelle on s'adresse. C'est la que reside le danger de la litterature des cheeloth outechouvoth (responsa) quand elle est lue par des personnes ignorant l'histoire et les situations dans lesquelles elles sont ecrites, et c'est la que reside le probleme de notre site, sur la page de garde duquel il est ecrit que nous ne pouvons en aucun cas remplacer ce que j'appellerais pour les besoins de la cause "les rabbins de proximite".
Bien que sur de la logique et de la verite de ce que j'avance, je n'ai pas pour habitude de tendre la main aux femmes pour dire bonjour et je me contente d'incliner le buste. Cependant, le respect du a autrui me semble imposer de ne pas laisser en l'air une main qui nous est tendue.
Le fait qu'il s'agisse dans le ces precis d'un non voyant ne peut que faciliter encore la chose.
Mais que voulez-vous, le tact n'est pas la qualite la mieux partagee.
Puis-je cependant vous conseiller de vous inspirer de la conduite de votre grand pere, et de faire preuve de grande comprehension, meme envers ceux qui nous semblent parfois denaturer la Halakha?
1: T. Y. Sota, 3, 1.
2: Even Haezer 21, 5.
3: Choftim
4: Even Haezer 1, 56.
5: Voir ma reponse a la question 2658, "la Loi peut-elle evoluer?".