Conversation 75259 - La sainteté du nazir

elidukfar
Jeudi 5 juin 2014 - 23:00

nasso en clair : peut on justifier la sainteté du nazir ? le premier mot avant son vœu d’abstinence est très proche du verbe nofel, tomber, s’écrivant d'un façon surprenante très proche phonétiquement. donc des le début un nazir n'est pas a priori fort, stable. Il fait acte en fonction d'un état, et cette abstinence dans les dérives du raisin et dans ne pas couper ses cheveux, lui confère une sainteté. mais qu'elle est elle vraiment, fondamentalement ?

Rav S.D. Botshko
Jeudi 19 juin 2014 - 08:25

Voici un texte de mon livre A la Table de chabbat qui donnera réponse à votre question

Du plaisir au bonheur
« Qui est appelé vaillant ? Celui qui domine son penchant . »
Par ces mots, cette michna des Pirqé Avot définit la nature même de l’homme. Si toutes les créatures sont ce que sont leurs instincts, l’homme a la capacité d’être autre chose que ce que la nature a fait de lui. Il peut, par son courage et sa volonté, dominer sa propre nature. Lorsque la Thora raconte la déchéance d’Ève, elle insiste sur le fait qu’elle s’est laissée emporter par ses sens : elle n’était plus Ève, elle n’était que ce que ses sens lui dictaient :
« Elle vit le fruit et voici qu’il était désirable pour les yeux, qu’il était passion pour le palais, que même pour l’intelligence, il était enviable. »
Elle n’avait d’yeux que pour ce fruit défendu et rien ne pouvait l’arrêter tant qu’elle n’en eut pas goûté. Après l’avoir mangé, quelle désillusion ! Elle s’est sentie dépouillée de tout, elle et Adam avaient honte d’eux-mêmes, essayaient désespérément de se cacher de Dieu; et c’est peut-être ce dégoût de soi qui est la mort que Dieu leur avait annoncée s’ils désobéissaient.
Aussi, l’on comprend que dans notre paracha, la Thora nous parle du nazir, celui qui fait vœu de s’abstenir de boire du vin, qui s’engage en plus à ne pas toucher à sa chevelure, renonçant ainsi à un des désirs de l’homme : soigner son apparence. Pour tous, il faut, mais cela suffit, manger cacher. Le nazir, lui, va plus loin, plus haut et est appelé « saint » :
« Rabbi Éléazar dit : “Quiconque jeûne est appelé saint, car il est dit ‘saint il sera’ et si même celui qui s’interdit une chose est appelé ‘saint’, à plus forte raison celui qui s’interdit tout .” »
Le désir est ce qui pervertit, c’est pourquoi, dans notre paracha, « la Thora mentionne les lois sur la femme infidèle avant les lois sur le nazir pour nous enseigner que celui qui perçoit cette perversion doit s’abstenir de boire du vin . » L’antidote au feu de la passion qui dévore l’homme est justement l’abstinence.
Rabbi Éléazar de Kapar dit :
« La Thora dit à propos du nazir (qui doit apporter un sacrifice) que “Dieu lui pardonnera pour avoir fauté contre la vie”, mais à la vie de qui le nazir a-t-il porté atteinte ? C’est contre sa propre vie qu’il a fauté. Et si déjà celui qui ne s’est interdit que du vin est appelé pécheur, celui qui s’interdit tout, à plus forte raison ; de ce principe, on apprend que quiconque endure des jeûnes est appelé pécheur. »
Rabbi Éléazar et rabbi Éléazar de Qapar ont-ils deux conceptions complètement opposées du judaïsme ? Pour l’un, l’idéal serait l’abstinence, pour l’autre la jouissance.
Non. La Guémara rapporte que rabbi Éléazar lui-même, dans un autre texte, interdisait de jeûner. Et la Guémara de répondre qu’il existe deux types d’homme, celui qui supporte le jeûne et celui qui ne le supporte pas. L’idéal de l’homme est de s’élever au-dessus de la condition humaine… si on le supporte ; sinon, il faut se contenter des 613 commandements de la Thora.
C’est dans ce sens que mon père, le rav Moché Botschko זצ"ל, explique le verset d’où l’on a appris que s’abstenir de boire du vin était une faute. Ce verset a été prononcé à propos de celui qui a interrompu son vœu de nazirat avant qu’il ne soit achevé, démontrant ainsi qu’il n’était pas au niveau de s’ajouter des interdits à ceux prévus par la Thora, l’échec de son engagement le remettant à sa place.
Pourtant, une lecture attentive des propos de rabbi Éléazar : « Quiconque endure des jeûnes est appelé pécheur » suggère qu’il condamne de manière générale l’abstinence. Quelle est donc sa conception du plaisir ? Serait-ce de l’élever au niveau de la finalité de l’existence ? Ce n’est pas possible. Le prophète Isaïe, déjà, condamne sévèrement ceux qu’on pourrait appeler des épicuriens et qui disent : « Mangeons et buvons car demain nous mourrons . » « C’est une faute impardonnable », dit-il .
Quel est alors l’idéal pour rabbi Éléazar de Kapar ? Au printemps, nous avons l’obligation de remercier Dieu « pour les beaux arbres et les bons fruits qu’il a créés, pour ce monde auquel rien ne manque afin que l’homme en jouisse (Rituel). »
La possibilité de jouir est un cadeau d’Hachem. Refuser le plaisir est un pouvoir de l’homme, qui est corps, mais aussi esprit et se distingue de toutes les créatures par son appartenance à deux mondes, celui d’en-haut et celui d’en-bas. N’appartenir qu’à celui d’en-bas, c’est se transformer en bête. Ce refus de spiritualité, plus que le refus des plaisirs, est porteur de mélancolie : il vide la vie de sens, la tête de valeur, l’homme de son identité. La couronne du Juif est dans sa capacité, son désir, sa passion pour la Thora. Empêcher l’homme de s’élever, c’est le mutiler gravement, aucun espoir alors qu’il arrive au bonheur et à la plénitude. Mais ses pieds sont sur la terre, et son désir de plaisir est puissant également.
La grandeur du Juif, enseigne rabbi Éléazar de Kapar, est dans la conscience que le plaisir est un cadeau de Dieu. C’est Dieu qui l’a créé et ses joies, c’est de Lui qu’elles viennent. Dans cette conscience, jouir n’est plus refuser la spiritualité. Bien au contraire, l’homme devient alors capable de saisir Dieu à travers Ses bienfaits les plus matériels. Le monde des mitzvot est pour rabbi Éléazar de Kapar cette aventure extraordinaire qui donne une valeur à toutes choses, même les plus matérielles, unifiant ainsi le cadeau de Dieu à l’effort de l’homme.
Les lendemains de ceux qui s’adonnent aux plaisirs bruts sont désenchanteurs, un grand vide emplit leur âme, et ils risquent une course effrénée vers d’autres plaisirs toujours aussi passagers, dont les lendemains seront toujours aussi décevants, à l’image de notre société en crise, à laquelle l’abondance de matérialité n’a pas apporté l’équilibre.
« Celui qui voit la femme sota dans sa déchéance, qu’il s’abstienne de vin (Rachi). » Si l’homme perçoit en lui qu’il n’est pas capable de jouir et de servir Dieu simultanément, à l’instar de la femme infidèle dont le péché est justement que le droit au plaisir est devenu l’ossature de son existence, à la vue de cette déchéance et de sa propre déchéance possible, il doit apprendre à se maîtriser et faire vœu de naziréat. Mais à la fin de cette période, il apportera trois sacrifices : une ‘ola, holocauste, un ‘hatat, sacrifice expiatoire, puis un chélamim, qui représente la paix et l’harmonie .
La ‘ola représente cette soumission à Dieu, condition nécessaire à toute vie spirituelle. Il faut être prêt à renoncer, à sacrifier ce qui est secondaire pour ce qui est essentiel. Puis, le nazir doit demander à Dieu de lui pardonner le déséquilibre qui était le sien et qui l’a ainsi conduit à fuir le monde auquel il n’aurait plus pu résister. Puis il apporte un qorban chélamim. L’essentiel de la viande de ce sacrifice est mangé par son propriétaire, jouissant ainsi de la viande « à la table de Dieu », montrant ainsi que, grâce aux commandements divins, les jouissances deviennent des mitzvot.
Et c’est ainsi que le plaisir se transforme en bonheur.