Conversation 18217 - Avraham le negociateur

relige26
Dimanche 11 juillet 2004 - 23:00

Shalom!

Un ami m'a pose les questions suivantes et je n'ai pas eu de reponses claires a lui donner, merci de m'aider...

Lorsque Hashem dit a Avrahame Avinou qu'Il a l'intention de detruire Sodome, celui-ci "negocie" leur salut en arguant la presence parmi eux d'un nombre de Justes grace auxquels il faudrait sauver tout Sodome(meme les Resha'ime).

1/ En partant du postulat que Avrahame a eu pitie de toute la ville et y a vu par dessus tout leur Tselem E-Lokim, pourquoi a-t-il du prendre pour argument la presence de Tsaddiqime: ne pouvait-il pas demander directement le sauvetage des Resha'ime?

2/ Si le postulat precedent est erronne, et que Avrahame ne voulait sauver que les Justes, pourquoi ne l'a-t-il pas demande clairement a Hashem?

D'autre part, il apparait du texte de la Tora que ces Justes auraient eu le pouvoir de proteger toute la ville.

3/ Pourquoi donc un mecreant qui vivrait dans une ville ou vivent aussi quelques Justes serait-il plus a epargner qu'un mecreant qui a la "malchance" de ne pas etre dans le voisinage de Justes? Quelle difference y a-t-il entre eux?

4/ Quelle est est donc l'influence "magique" du Juste sur son entourage immediat (la ville)?

5/ N'y aurait-il pas la un conseil pour ceux qui sont Justes d'aller dans des endroits vides de spiritualite pour proteger le maximum de mecreants?

Merci de vos reponses! Elles seront lues (et repetees) avec beaucoup d'attention...

Rav Elyakim Simsovic
Lundi 12 juillet 2004 - 23:00

Je commencerai par la quatrième question, car c'est elle qui contient la clé du problème.
Les Justes n'ont aucune influence magique. Peut-être même n'ont-ils pas d'influence du tout. En tout cas la question qui se pose est la suivante : que font-ils au sein de la société dans laquelle ils vivent ? Se contentent-ils de ne pas faire le mal ou tentent-ils d'éduquer leurs semblables ? Participent-ils des instances dirigeantes ? Protestent-ils contre l'immoralité ? Interviennent-ils dans le RER D lorsqu'une jeune femme y est molestée, au risque de violence, ou se contentent-ils de hocher la tête en disant qu'on n'est plus en sécurité nulle part et que fait la police, etc. bien qu'eux-mêmes ne commettraient jamais de tels actes et les condamneront avec la plus grande fermeté.
Bref, pour préciser un point capital d'exégèse biblique, sont-ils "au sein de la cité" (betokh ha'ir) ou simplement habitent-ils dans la ville (ba'ir) ? La "cité", c'est la dimension politique de la ville, celle sur laquelle se contruit le civisme et le citoyen, ce qui en fait la Citadelle de Saint-Ex. Y a-t-il des Justes engagés dans la cité, comme aurait pu demander Camus, ou pas ? Et combien ? En nombre suffisant pour pouvoir avoir une influence ? Communiquent-ils entre eux ou sont-ils dispersés, voire opposés et se neutralisent-ils les uns les autres ?
Bref encore, y a-t-il quelque chose qui pourrait justifier un sursis au nom de l'espoir d'une évolution, peut-être longue et douloureuse, mais finalement positive ?
Ou bien, malgré les quelques Justes qui y vivent, même peut-être par dizaines, la ville est perdue car la cité est à l'abandon ?

Ce qui me conduit, dépassant un peu le cadre de la question, de préciser un autre point capital à la compréhension de ce passage.
Avraham est réputé dans la conscience juive traditionnelle pour être l'homme de la générosité et de la charité, celui qui propage la connaissance du Dieu de bonté et de grâce.
Dieu s'interroge à son sujet et la Bible nous livre cette "méditation" de Dieu : vais-Je cacher à Avraham ce que Je fais (= comment J'interviens dans les affaires du monde, comment s'exerce Ma Providence) ? Or, Avraham est appelé à devenir une grande nation par qui seront bénies toutes les nations de la terre (cette nation sera un relai de la Providence) ; car je l'ai distingué afin qu'il prescrive à ses fils (les hommes) et à sa maison (les femmes) à sa suite (=de le suivre) de préserver la voie de Hachem, pour réaliser la justice et le droit, afin qu'Hachem accomplisse pour Avraham ce qu'Il a déclaré à son sujet (=afin que se réalise le projet d'Hachem pour Avraham).
Voilà toutes les données du problème : Avraham est l'homme de la générosité pure. Il ne fait aucun doute qu'il intercèdera pour Sodome et Gomorrhe. C'est sa vertu cardinale. La question qui se pose est : saura-t-il arrêter de prier ? Saura-t-il comprendre qu'une fois dépassé un certain seuil de mal absolu, en l'absence d'hommes résolument engagés à renverser la vapeur et agissant à visage découvert au sein de leur société (le fait qu'ils puissent ainsi y survivre étant le gage de l'espoir), en l'absence, donc, de ces Justes, sauver la ville n'a plus de sens. Ce n'est plus générosité mais crime à l'égard des villes environnantes, crime contre l'humanité que de sursoir à la destruction de ceux dont le visage ne porte plus la trace du "tselem elohim", du projet que Dieu a proposé à l'homme en quête de sa propre humanité.
Avraham passera l'épreuve. Il aura su aussi bien prier et négocier pas à pas que reconnaître, non son échec, mais la vérité de la justice divine et cesser, alors, de prier. Dès le début - si on y prend garde - c'est au nom de la justice et non au nom de la grâce qu'il a prié le Juge de la terre. Et c'est devant sa justice qu'il s'incline.

relige26
Lundi 12 juillet 2004 - 23:00

Merci beaucoup de votre reponse tres rapide.

Quelques questions se posent alors du point de vue de Avrahame:

1/Comment voit-il le fait que Hashem lui fait part de son projet, "prenant conseil" avec Sa creature qui lui est par definition inferieure?

2/Pourquoi pense-t-il que Hashem n'a-t-Il pas conscience de tous les parametres qui l'ont menes a prendre la decison d'aneantir Sodome? Croit-il reveler a Hashem la presence d'un nombre suffisant de Justes que Hashem n'auraient pas prise en compte?

Merci pour tout.

Rav Elyakim Simsovic
Mercredi 14 juillet 2004 - 23:00

C'est avec Avraham que recommence l'histoire du projet divin de confier à la créature elle-même la responsabilité de sa destinée. Rien d'étonnant donc à ce que le Créateur "vérifie" par épreuves successives (il y en aura dix) que le candidat est à la hauteur de la candidature. Et aussi, que nous sachions pourquoi c'est avec Avraham que commence l'aventure d'Israël : les épreuves révèlent l'homme à lui-même et du même coup le révèle aux autres.

Cela répond aussi, à mon sens, à la deuxième question.