Conversation 19891 - Et haran mourut devant son pere

NathanninNathan
Mardi 26 octobre 2004 - 23:00

Kvod harabbanim,

J’ai trouvé une analyse très intéressante du midrash d’un verset de la Parachat Noah, où l’auteur a reconstruit le midrash point par point.

Rabbi Avraham ben HaRambam disait que ceux qui prennent tout au pied de la lettre dans un midrash sont des fous, ceux qui ne prennent rien des hérétiques.
Le débat se pose donc en ces termes : Masorah (tradition) ou Aggada (exégèse), ou si on préfère réalité historique ou parabole morale ?
L’auteur de cet article a proposé la voie du milieu : Aggada, mais reconstruite à partir d’une lecture minutieuse du texte.
La question ayant été posée à plusieurs reprises sur le site, je souhaiterais faire profiter les cheelanautes de cet article.

Midrash Bereshit Rabba 38 :16 : interprétation du verset “Et Haran mourut devant son père” (Ber 11 :30)
(Le midrash est en capitales, la reconstruction en minuscules)

R. HIYYA PETIT-FILS DE R. ADA DE YAFFO [DIT] :

TERA’H ETAIT IDOLATRE.
Cela, nous le savons de Josué 24 :2: “Josué dit : "ainsi a dit Hachem Dieu d'Israël : vos pères ont séjourné au-delà du fleuve, Terah père d'Avraham et père de Na'hor, et ils servaient des dieux autres"”, et ce passage est repris dans la Haggadah (cf. 15184 sur ce magnifique site)
UN JOUR, IL SORTIT ET CHARGEA ABRAHAM DE LA VENTE [DES IDOLES].
La société était sédentaire, et seule la guerre ou la famine (ou Dieu) l’en faisait bouger. Or Tera’h entreprit de voyager de Chaldée jusqu’en Haran, sans intervention divine directe, ce qui ne s’explique que par le fait qu’il soit berger, marchand ou artisan. Par ailleurs, Abraham et Jacob étaient marchands. Il y a une autre histoire où idolâtrie et subsistance sont liées, dans le Livre des Juges 17-18 (lorsque les danites pillent un temple païen, toute la population poursuit les voleurs, car le temple est source de revenus pour la région, soit qu’il attire les marchands ambulants, soit qu’on y vent des Pénates.
SI UN HOMME VENAIT ACHETER UNE STATUE, IL LUI DEMANDAIT: “QUEL AGE AS-TU”?
[LE CLIENT] REPONDAIT: “CINQUANTE OU SOIXANTE ANS”.
[ABRAHAM] DISAIT ALORS: “IL A SOIXANTE ANS ET IL VEUT VENERER UNE STATUE D’UN JOUR.”
[LE CLIENT] SE SENTAIT HONTEUX ET PARTAIT.

UNE FEMME VINT UN JOUR, AVEC UN PANIER DE FARINE. ELLE DIT: “VOICI POUR TES DIEUX.” ABRAHAM PRIT UN BATON, ET FRACASSA TOUTES LES IDOLES, À L’EXCEPTION DE LA PLUS GRANDE DANS LA MAIN DE LAQUELLE IL MIT LE BATON.
SON PERE REVINT ET DEMANDA CE QUI S’ETAIT PASSE. [ABRAHAM] REPONDIT: “CACHERAIS-JE QUOI QUE CE FUT A MON PERE? UNE FEMME EST VENUE AVEC UN PANIER DE FARINE ET M’A DEMANDE DE LES DONNER A CES DIEUX.” LORSQUE JE L’AI OFFERTE, UN DIEU A DIT: “MOI D’ABORD!” UNE AUTRE, “NON, MOI D’ABORD.” ALORS LA PLUS GRANDE S’EST LEVEE ET A BRISE TOUTES LES AUTRES.
[SON PERE] DIT: “TE MOQUES-TU DE MOI? COMMENT POURRAIENT-ELLES FAIRE QUOI QUE CE SOIT?”
[ABRAHAM] REPONDIT : TES OREILLES N’ENTENDRAIENT PAS CE QUE TA BOUCHE VIENT DE DIRE?
Le style d’argumentation d’Abraham est assez particulier, il n’expose pas ses croyances de prime abord, reprend les mots de son interlocuteur et lui démontre l’inconsistance de ses propres raisonnements.
Plutôt que de réprimander le client d’acheter un “dieu fraîchement sorti du four”, il lui demande (apparemment à brûle-pourpoint, en toute ingénuité) son âge. On entendrait presque Abraham marmonner dans sa barbe “Il a soixante ans et il veut vénérer une statue d’un jour.” – on verrait presque le client honteux s’éclipser du magasin sans demander son reste.
Qu’Abraham se fût déjà idéologiquement engagé à répandre le monothéisme est assez évident à le lumière des versets (Ber 12:1-3). Cependant comment les auteurs de ce Midrash Aggadah ont-ils eu connaissance de cette méthode de disputation fort peu conventionnelle ?
On peut voir une ébauche de réponse dans l’échange entre Abraham et Avimelekh (Ber 20). Contrairement au premier épisode “femme sœur” (en Egypte), qui avait été rendu nécessaire par la famine, Abraham n’avait pas de raison de descendre à G’rar (20:1).
Abraham savait déjà, qu’il devrait utiliser son stratagème “femme/soeur” pour sauver sa vie (v. 11) – mais pourquoi y aller?
A noter qu’Abraham ne réprimande pas le roi (et, indirectement, sa cour) sur sa turpitude morale jusqu’à ce qu’ils viennent à lui, prêts à entendre l’explication de son curieux comportement. S’il était venu à G’rar pour propager la parole et faire des adeptes (comme le pensent Rachi sur le 12:5 et le Sforno sur le 12:9), pourquoi n’était-il pas immédiatement venu critiquer leurs mauvaises moeurs?
Alternativement, s’il savait que Sarah serait mise en danger, pourquoi y aller?
Il semblerait qu’Abraham y allait pour engager la discussion, qui ne pourrait se tenir qu’une fois que le people l’avait défié et était devenu réceptif (à cause de la grande peur) à ce qu’il avait à dire. IL semble que c’ait réussi, au moins en partie, car Avimelekh (ou son fils) ont reconnu que Dieu Soutenait Itzhak (26:28), ce qui implique qu’ils aient compris qu’il y avait Un Dieu d’Abraham et qu’il fallait Le respecter.
Nous avons ici une preuve de la dialectique d’Abraham en action, et ceci dans le sens obvie du texte. Les Ba’alei haMidrash peuvent donc supposer qu’Abraham a utilise ces voies plus tôt dans sa vie. (Il ne s’agit donc pas de croire que le Midrash relate une réalité historique stricto sensu. Cependant l’extrapolation à partir de détails historiques rapportés par la Tora en permet une approximation très fine)

TERA’H EMMENA [ABRAHAM] CHEZ NEMROD
Nemrod fut le premier à être considéré roi (Ber 10: 8-12)
Abraham est également appelé prince puissant par les Hittites (Ber 23:5-6)
De plus, ils étaient idéologiquement adversaires. Tant la Tora que les Prophètes exècrent les dirigeants humains (voir la réaction de Gédéon envers le peuple de Manassé, Juges 8, et la diatribe de Samuel lorsque le peuple demande un roi, cf. I Samuel 8)
Nemrod étant le premier souverain autoproclamé, il se pose en adversaire du règne du Seul Véritable Roi. Abraham, lui, a consacré sa vie à apprendre au monde qu’il n’y avait de Vrai Dieu que YHVH, encourageant les gens à accepter Son autorité.
La vie de Nemrod et celle d’Abraham se chevauchent partiellement, et le premier régnait sur la Chaldée, région où Abraham prêchait, à tout le moins durant ses jeunes années. Leur rencontre est donc tout à fait envisageable.

[NEMROD] LUI DIT: “ADORONS LE FEU”.
[ABRAHAM] LUI DIT: “EN CE CAS, ADORONS L’EAU QUI ETEINT LE FEU.”
[NEMROD] LUI DIT: “ADORONS L’EAU”.
[ABRAHAM LUI DIT: “EN CE CAS, ADORONS LES NUAGES QUI PORTENT L’EAU.”
[NEMROD] LUI DIT: “ADORONS LES NUAGES”.
[ABRAHAM LUI DIT: “EN CE CAS, ADORONS LE VENT QUI DISPERSE LES NUAGES.”
[NEMROD] LUI DIT: “ADORONS LE VENT”.
[ABRAHAM LUI DIT: “EN CE CAS, ADORONS L’HOMME QUI RESISTE AU VENT.”
[NEMROD] LUI DIT: “CE QUE TU DIS EST ABSURDE; JE NE M’INCLINE QUE DEVANT LE FEU. JE VAIS T’Y PRECIPITER. QUE LE DIEU DEVANT LEQUEL TU T’INCLINES VIENNE ET T’EN SAUVE.”
Lorsque Dieu S’Adresse à Abraham afin de conclure la première alliance (Bereshit 15), Il lui Dit: Je Suis L’Eternel qui t’a fait sortir (הוצאתיךָ) d’Ur Kasdim (Ber 15:7).
Deux remarques: que signifie “Ur Kasdim” ? Le nom “Ur” peut designer un lieu (d’où “Ur en Chaldée”) ou bien, “Le UR en Kasdim” – le mot UR signifiant four ou fournaise (cf. Isaïe 31:9 et 50:11). On peut concilier en estimant qu’Ur désigne un lieu nommé d’après un four qui faisait sa réputation.
D’autre part, comment comprendre le verbe הוצאתיךָ (Je t’ai Fait sortir)?
Sortir de ta terre לךָ לךְ ou cela fait-il reference à une intervention plus directe?
On ne retrouve ce verbe הוצאתיךָ qu’une fois dans la Tora, dans le premier Commandement:
Je Suis L’Eternel ton Dieu (Tout-puissant) qui t’A fait sortir (הוצאתיךָ) du pays d’Egypte. (Shmot 20:2, Devarim 5:6)
En ce cas, הוצאתיךָ s’est fait via des interventions miraculeuses.
On peut donc inférer à partir de ce verset de Shmot la signification du verset de Bereshit: Dieu Est intervenu, miraculeusement, pour sauver Abraham, de la même manière qu’Il sauverait plus tard son peuple d’Egypte.
On notera au passage que le séjour en Egypte est qualifié (dans Devarim 4:20, I Melakhim 8:51 et Jérémie 11:4), de fournaise de fer…
De ce simple verset Ber 15:7, on a donc pu déduire qu’Abraham avait été sauvé d’une fournaise!

HARAN SE TROUVAIT LÀ.
IL [SE] DIT : QUOIQU’IL EN SOIT, SI ABRAHAM S’EN SORT, JE DIRAI QUE JE SUIS D’ACCORD AVEC ABRAHAM; SI C’EST NEMROD QUI TRIOMPHE, JE DIRAI QUE JE SOUTIENS NEMROD.
APRÈS QU’ON EUT JETÉ ABRAHAM DANS LE FOUR ET QU’IL EN SORTIT INDEMNE, ON INTERROGEA [HARAN]: “AVEC QUI ES-TU [ALLIÉ]”?
IL LEUR DIT: “JE SUIS AVEC ABRAHAM.”
ILS LE PRIRENT ET LE JETERENT DANS LE FEU ET SES TRIPES BRULERENT.
IL SORTIT ET MOURUT DEVANT TERA’H SON PERE.
Quel était le rôle d’Haran? Il a fait un pari de Pascal (rien à perdre à croire en Dieu, tout à gagner si Dieu Est) Sa foi, en contraste à celle d’Abraham, est dépeinte d’opportuniste. Et la Aggadah est claire sur ce point : les professions de foi ne sont pas d’une pièce et la foi qui sauve de la fournaise est celle qui a déjà été forgée au creuset, non pas celle d’une commodité temporaire. D’où les Ba’alei haMidrash tiennent-ils que c’est cela qui fut le défaut d’Haran? N’aurait-il pu mourir avant son père pour un autre pêché?
Comme les textes ne parlent que fort peu d’Haran, il faut se référer à la source qui s’en rapproche le plus : son fils, Lot.
De celui-là, nous savons qu’il a toujours privilégié la voie la plus commode du moindre effort quand bien même cela affecterait la société où il pénétrait, lui et sa famille.
Quand Abraham et Lot durent se séparer, Abraham laissa Lot choisir: “Si tu prends à gauche, j’irai à droite; et vice versa” d’où nous savons que cela a lieu sur la chaîne de montagnes, entre le nord (à gauche) et le sud (à droite).
Abraham abjura Lot de rester dans les montagnes, plus propices à la foi et à la solitude (cf. Devarim 11:10-12, par exemple). Au lieu de cela, Lot choisit la “bonne vie” de Sodome, qui, à l’époque, semblait être “le jardin d’Hashem, le pays d’Egypte” – humide et fertile.
Fuyant la cité égoïste et condamnée, Il prie les anges de lui permettre de rester à proximité, parce qu’il se sent incapable de marcher. Avec les conséquences qu’on sait, la saôulerie et l’inceste à son insu.
En conclusion, bien qu’on en sache peu sur Haran, son fils est taxé d’opportuniste. Le premier fils à décéder avant son père (meurtre excepté) meurt donc de son opportunisme appliquée à la grande foi d’Abraham.

VOICI LA SIGNIFICATION DU VERSET: “ET HARAN MOURUT DEVANT SON PÈRE.”

(Source de l’article : AVRAHAM: THE EARLY YEARS by Yitzchak Etshalom, Mikra, torah.org)

Rav David Zenou
Jeudi 28 octobre 2004 - 23:00

:-)