Conversation 29634 - 10 commandements sans tête

levmaz
Lundi 13 mars 2006 - 23:00

J'ai lu que la lettre TET n'aparait pas dans les 10 Commandements. Y a-t-il une raison particuliere?

Nathan Schwob
Jeudi 4 janvier 2007 - 12:13

Effectivement, la lettre TET n'apparaît pas dans les dix commandements de la paracha de Yitro mais dans les 10 commandements de la paracha de Vaéth'anan, elle figure 2 fois: la première, dans la 4ème parole sur le Chabbat qui rappelle la sortie d'Egypte réalisée par D. d'un bras ÉTENDU (נטויה neTouya), la seconde, dans la 5ème parole qui promet longévité et BIENFAITS (ייטב לך yiTav lach) à celui qui respecte ses parents.

Le Midrach (1) compare les tables de la lois - qui sont en fait les tables de l'ALLIANCE (לוחות הברית) entre D. et le peuple d'Israël- à la Ketouba, qui elle est le contrat de mariage. Malheureusement la mariée (le Peuple d'Israël), a trompé son mari (D.) en servant le veau d'or. Dès lors, elle aurait dû être répudiée sans espoir de retour (à D.). Mais il s'est trouvé un vice de forme dans le contrat: toutes les lettres de l'alphabet y figuraient sauf le TET. Le contrat s'étant avéré sans valeur et le mariage caduc, il fut alors possible de le réitérer. Les deuxièmes tables ont donc scellé le renouvellement de l'alliance entre D. et Israël. Pour compléter la lacune, la lettre TET a été écrite deux fois, une pour réparer l'omission des premières tables et l'autre pour les secondes.

Ce Midrach demande des explications, ne serait ce que celle de l'hypothèse que l'alliance avec D. n'est valable que si toutes les lettres de l'alphabet y apparaissent.

Le Ramban (2) donne une explication très bizarre. Il rapporte une habitude connue à son époque. Lorsqu'une personne voulait liquider une autre, elle lui confiait un message, à transmettre à l'exécuteur. Ce message contenait un signe particulier, appelé TETA. À la vue de ce signe, le messager était immédiatement assassiné. La lettre TET a donc été omise volontairement afin que Moché, le messager portant des tables de la loi contenant un TET, ne soit pas assassiné. Le Ramban n'explique pas pour quelle raison il eut été possible d'imaginer un seul instant que D. voulait faire assassiner Moché. Il conclut en disant que la véritable explication est celle de nos sages, dans le Traité de Baba Kama (3).

En fait votre question n'est pas posée explicitement dans le Talmud, mais tout le monde le comprend de cette manière. Rabbi H'anina ben Aguil demande pourquoi n'est-il pas dit TOV (bien) dans les premières tables contrairement aux secondes et on lui répond qu'il aurait dû avant tout demander si il est dit TOV ou non dans les dix paroles. Ce dialogue se comprend facilement si la lettre TET est appelée TOV. Puis on lui répond que c'est parce que les premières tables ont fini en morceau! (Ah bon!). Finalement, on lui explique que si la lettre TET du mot TOV (ייטב לך) avait été brisée le peuple d'Israël aurait pu croire, par erreur, avoir perdu à jamais les bienfaits, le bien-être, le bonheur, les béatitudes accordée par D., car la première utilisation de la lettre TET dans la Thora a été dans le mot TOV lorsque D. a vu que la lumière était bonne (4).

Les textes du Midrach et du Talmud, présentent une certaine ressemblance. Les deux nous enseignent que la faute du veau d'or n'est pas irrémédiable, grâce à l'omission de la lettre TET. Les deux nous montrent que l'enjeu de l'alliance avec D. est l'idéal de perfection, de plénitude qui s'inscrit dans la Parole Divine. Il faut toutes les lettres pour que la Parole soit parfaite de même qu'on ne peut atteindre le bien idéal sans la lumière spirituelle. Les deux sous entendent que "l'omission" du TET était en fait préméditée par D., comme si les premières tables de la loi n'avaient eu qu'un rôle pédagogique. Là, les deux textes divergent et s'éclairent mutuellement.
Pour le Midrach, dans la première tentative d'alliance, il manquait quelque chose de crucial qui a été complété dans les secondes tables et a aussi complété les premières, pour réunir les deux tentatives en une et même alliance, à deux facettes (5). Que manquait-il? Le "bras étendu" de D. qui punit les Égyptiens pour le mal qu'ils ont fait et les "bienfaits" qui récompensent ceux qui respectent les parents (6). En d'autres termes: la justice divine, le principe de récompense et punition, de bien et de mal, de libre arbitre. L'alliance avec D. a donc deux closes. La première, symbolisée par les premières tables concerne un monde idéal qui beigne dans la connaissance de D., dans le vécu de Sa parole révélée à tous, dans la joie de pouvoir l'accomplir sans entraves. Dans ce monde de félicité spirituelle il n'y a pas de bien parce qu'il n'y a pas de mal, il n'y a pas non plus de liberté, et par-dessus tout, il est déconnecté de la réalité humaine véritable. Les premières tables devront donc être brisées, car ce monde là représente l'idéal vers lequel le Peuple d'Israël doit aspirer et vers lequel il doit guider l'humanité. La seconde close, symbolisée par les secondes tables concerne la réalité humaine que nous côtoyons avec ses pires bassesses et ses envolées ferventes vers D.. Elle exige que l'homme utilise sa liberté pour être meilleur et sa créativité pour améliorer le monde. Les premières tables représentent le modèle, les secondes, sa réalisation, les premières l'idéal absolu, les secondes un idéal relatif.
Le Talmud, de son côté, s'attache aux conséquences de la faute. Même la pire des fautes ne remet en question ni l'alliance, ni son but, ni sa réalisation. C'est le principe de le Techouva.
Et pour reprendre les termes du Maharal de Prague (7), après la révélation du Sinaï, le niveau spirituel des enfants d'Israël était celui des anges, celui de Adam au jardin d'Eden avant la faute et celui de l'humanité dans le monde futur, qui est un monde sans le mot TOV. Après la faute du veau d'or, leur niveau spirituel est redevenu celui d'Adam après la faute, celui que nous connaissons dans ce monde ci, celui du TOV. Car seul ce monde a été appelé TOV par D. lorsqu'il l'a créé, parce qu'il amène au monde futur comme l'indique le 5ème commandement dont les bienfaits promis concernent le monde futur. Cette promesse, qui a été rajoutée dans les secondes tables que Moché a taillées, n'a pas été brisée, car tout Israël a droit au monde futur.

Nous pouvons maintenant comprendre éventuellement les intentions du Ramban. Le nom de naissance de Moché n'est-il pas Tovia, le TOV de D. ? Moché n'est-il pas celui qui fut à la fois libéré de ses contingences matérielles comme les anges, et pourtant qui fut un mortel comme tout humain? Celui qui fut choisi par D. pour servir de lien entre l'Éternité et le monde, l'idéal divin et sa réalisation pratique? Imaginons maintenant que Moché redescende du Sinaï, porteur de tables de la loi contenant la lettre TET, c'est à dire du message divin destiné à un niveau spirituel inférieur à celui dans lequel vivent encore les enfants d'Israël, sous le "choc" du face à face avec D.. Ils auraient pu facilement croire que Moché à trahit sa mission divine et mérite la mort. Cette faute aurait alors été équivalente à celle du veau d'or mais sur le compte de Moché, ce que D. voulait éviter. En effet, même si D. "attendait" la faute pour que les hommes retrouvent leur place, elle ne devait pas provenir d'une méprise sur les intentions de D. mais du libre arbitre des hommes, sans pour autant perdre Moché dont le véritable rôle n'était pas de ramener des anges à D. mais bien des hommes à leur Créateur, des êtres éphémères à l'éternité.

Si vous acceptez cette réponse.

(1) Psikta Zoutreta (Lekah' Tov 5b).
(2) Rabbi Moché Ben Nachman, "Croyance et confiance" ch.19 dans "Écrits du Ramban" Tome 2 p.423, Ed. Mossad Harav Kook (en hébreux).
(3) Talmud Bavli, Baba Kama 55a.
(4) Berèchit 1,4.
(5) Cela nous rappelle l'enseignement de nos sages que les débris des premières tables se trouvaient dans l'arche sainte avec les secondes.
(6) Le respect des parents est intimement lié au respect de D., de même que l'existence de chacun relève d'un lien créatif intime entre les parent et D.
(7) H'idouchè Agadot Baba Kama 54b.