Conversation 37911 - Ouvert ou fermé?
Kvod HaRabanim.
Concernant les 10 commandements dans la Torah, j'ai cru un moment que les Sagour et Patouah les separaient les uns des autres mais je me suis rendu compte qu'en fait les deux premiers ne sont pas separes de cette maniere et le dernier est divise en deux. Pourquoi ?
Parce que la tradition nous propose plusieurs manières de lire et d'interpréter le message du décalogue, suivant le principe des "70 facettes d'une même vérité qui se nomme Thora".
Dans la division classique, le premier des 10 commandements commence par "Je suis l'Éternel", le second commence par "Tu n'auras pas d'autre dieu", le troisième commence par "Tu n'invoqueras point", et les deux passages "Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain" et "Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain" sont comptés comme un seul commandement, malgré l'espace blanc qui les sépare. La tradition de cette division apparaît dans le Taam Eliyon. En effet, les Taamim, ces signes de la Massora qui accompagnent chaque mot, ne servent pas seulement au chant mais aussi et surtout à la division syntaxique du texte.
La place des parachot Sagour et Patouah' propose une autre division du texte des 10 commandements. Le premier commencerait par "Je suis l'Éternel" et inclurait "Tu n'auras pas d'autre dieu", "Tu ne te feras pas d'idole" etc… Le second commence par "Tu n'invoqueras point". Les deux passages: "Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain" et "Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain" sont comptés comme deux commandements, ce qui s'accorde bien avec l'espace blanc qui les sépare.
Dans cette division des 10 commandements (appelons la celle des paragraphes), tous les versets dans lesquels D-ieu parle à la première personne sont réunis en un commandement qui inclut tout ce qui concerne la croyance en D-ieu Un et l'interdiction de l'idolâtrie. La division des paragraphes propose ici une cohérence du style et du message. Il n'y a pas de différence entre une idolâtrie "pratique" ou une idolâtrie de "croyance". On peut être idolâtre dans son cœur simplement parce qu'on s'imagine qu'il existe une quelconque force qui influence quoi que se soit dans le monde indépendamment de la volonté de D-ieu. Le verset "Tu n'auras pas d'autre dieu en ma Présence" constitue une charnière entre l'obligation d'accepter la Divinité de D-ieu qui nous a fait sortir d'Égypte et l'interdiction de servir des idoles. Quand on le lit à la suite de "Je suis l'Éternel", il interdit les fausses croyances et quand on le lit relié à la suite: "Tu ne te feras pas d'idole", il interdit les actions idolâtres.
Par contre, la division classique des 10 commandements (appelons la celle du Taam Eliyon), sépare "Je suis l'Éternel…", de "Tu n'auras pas d'autre dieu…". Dans ce cas, le premier commandement ne parle pas d'idolâtrie mais de l'acceptation du joug divin. Les mots importants sont: "qui t'ai fait sortir de la maison d'esclavage". Nous sommes les esclaves de D-ieu et la sortie d'Égypte n'est que le passage d'un esclavage à un autre. Le premier commandement sert donc d'introduction en définissant la base de tous les autres commandements et de toute la Thora. Cette lecture proposée par le Taam Eliyon a inspirée le midrach suivant: Un roi, qui visitait une des villes de ses provinces se fit dire par ses serviteur: "décrète leurs des lois". Il répondit: lorsqu'ils accepteront ma royauté je les soumettrais à mes lois, car s'ils n'acceptent pas ma royauté, mes décrets non plus ils ne les accepteront pas. Ainsi D-ieu dit aux Enfants d'Israël: "Je suis l'Éternel" vous avez accepté ma royauté en Égypte, ils répondirent: "Oui". Il leur dit alors: acceptez mes commandements: "Tu n'auras pas d'autre dieu…" (1).
Passons à: "Tu ne convoiteras pas".
D'après le Taam Eliyon les deux sont comptés comme un seul commandement, alors que d'après les paragraphes ils sont comptés comme deux commandements.
Les deux lectures soulèvent des questions: pour le Taam Eliyon il faut comprendre la division d'un commandement en deux paragraphes alors que pour la division des paragraphes il faut comprendre pourquoi les deux derniers commandements parlent de la même chose: "Tu ne convoiteras pas". La clé se trouve dans la répétition des 10 commandements par Moché dans la Paracha Vaéth'anan, où il est dit d'abord: "Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain", puis "et tu ne désireras pas la maison de ton prochain".
La division en paragraphes transmet la lecture que nous présente la Mechilta (2) et qui a des implication pratiques reprisent par le Rambam (3): il y a deux interdictions distinctes, celle de convoiter et celle de désirer. La première "Tu ne convoiteras pas", interdit un comportement qui fait pression sur autrui: la seconde "et tu ne désireras pas", interdit l'envie qui reste cachée au fond du cœur. D'après cette lecture, Celui qui scrute les cœurs exige de nous de dominer, non seulement nos actions mais aussi nos pensées.
Mais pour le Taam Elyion, il n'y a qu'une seule interdiction, un seul commandement concernant le cœur. Les actions, quant à elles, sont interdites par d'autres versets. La différence entre la convoitise et l'envie réside dans leur origine psychologique. La convoitise se réveille suite à la vue de l'objet tandis que le désir provient de l'imagination. La source de l'un est extérieure à l'homme qui réagit mal à un stimulus extérieur. La source de l'autre, par contre, est intérieure à l'homme qui s'excite lui-même par son imagination (4). Le Taam Eliyon, qui unit les deux "Tu ne convoiteras pas", en un, nous invite à une introspection profonde, qui ouvre les horizons vers un des niveaux les plus élevés de l'accomplissement des Mitsvot en nous obligeant à poser la question suivante: puisque d'un côté, nos pensées et nos sentiments se réveillent en nous de manière automatique et incontrôlée mais que d'un autre côté D-ieu nous interdit certaines pensées, alors par quel moyen peut on arriver à un tel degré d'accomplissement des Mitsvot et à un niveau si élevé dans l'éducation de sa personnalité et le raffinement de son caractère?
(1) Mechilta Yitro, Massechta DeBeH'odech, début du paragraphe 6.
(2) Mechilta Yitro, 6-14.
(3) Loi sur les vols et les objets perdus 1, 9-11. Livres des Mitsvot: 265-266. Le Rambam compte deux Mitsvot.
(4) Voir par exemple Malbim Yitro. Nechama Leybovitch sur "Tu ne convoiteras pas".
Voir aussi:
Les commentaires de Iben Ezra sur Chemot et Vaeth'anan.
Rav Mordechai Breuer: Les divisions du Décalogue en Versets et Commandements dans "Les dix commandements, vus par la tradition et la littérature au fil des ages". Edition Magness, Université de Jérusalem.