Conversation 45962 - Denoncer la triche a l'impot ?

AStern
Jeudi 19 février 2009 - 23:00

Shalom,

Je tiens à préciser que ma question est théorique.

En Israël, à l'égard de nombreux décisionaire l'Etat est considéré comme la malkhout, c'est grâce à cela qu'on peut notamment lui permettre d'envoyer des soldats à la guerre ou de récolter des impots.

Si une personne trompe le fisc, celle-ci est donc considérée comme si elle trompait la collectivité d'Israel. Aurait-on le droite de dénoncer une telle personne (à l'appuit de preuves évidentes, non pas par malain plaisir de faire des ennuis à notre prochain)?

Shabbat shalom

Nathan Schwob
Jeudi 9 juillet 2009 - 23:58

La question est théorique mais sans pour cela en être moins très pratique …. :)

Avant de parler du droit de porter plainte ou de témoigner (ou de l'obligation de le faire), il faut d'abord être sûr que l'impôt est légitime.

Il y a une obligation (pour beaucoup de commentateurs c'est même une obligation de la Thora) de respecter les lois du pays dans lequel on se trouve, pour autant qu'elles soient dans la norme des législations habituelles, qu'elles respectent l'égalité devant la loi et ne soient pas discriminatives. Ce principe fondamental s'appelle: "Dina Demalkhouta Dina".

Deux raisons ont été invoquées pour expliquer cette Halakha:
1) Tout pays est souverain et défend sa souveraineté. Lorsqu'on décide d'habiter un certain pays on se place sous "le parapluie" protecteur de ce pays pour profiter d'une tranquillité qui découle de cette souveraineté. Il y a donc une obligation de respecter la souveraineté du pays. Un peu comme un hôte doit respecter celui qui l'héberge.
2) Les citoyens acceptent de leur gré les lois du pays parce que ce joug est plus agréable que l'anarchie, qui plus est quand on peu profiter du retour d'impôts sous forme d'écoles, de routes, de sécurité sociale ou d'allocations familiales etc…

Il va donc sans dire que dans tous les pays démocratiques, l'autorité du gouvernement est reconnue par la majorité mais aussi par la minorité, et donc le principe de "Dina Demalkhouta Dina" s'applique et on est tenu de respecter aussi bien les lois du code de la route que de payer ses impôts et la douane sans fraude, puisque les impôts suivent des règles égales pour tous les citoyens et font partie des lois normales des états. (1)

En Israël aussi le principe de "Dina Demalkhouta Dina" s'applique, pour les mêmes raisons, puisque le gouvernement est élu et grâce à D-ieu la souveraineté est la notre, depuis l'indépendance du pays, ce qui n'était pas le cas pendant 2000 ans. En fait, même ceux qui ne veulent pas reconnaître la souveraineté de l'état d'Israël doivent respecter ses lois et payer leurs impôts, ne serait-ce que parce que le gouvernement a l'approbation du peuple suite aux élections. Mais il y a encore une autre raison: les impôts ne sont pas la propriété privé du monarque ni même du gouvernement. Le trésor public sert au développement du pays, à la sécurité, à l'éducation, à la santé, à l'aide sociale. L'argent des impôts est donc le bien commun de la collectivité et celui trompe le fisc, non seulement transgresse la Halakha de "Dina Demalkhouta Dina" mais en plus vole la collectivité. (2)(3).

Cependant il y a, en Israël des raisons supplémentaires, qui obligent à respecter la loi de l'État, et en particulier les impôts. Depuis que les communautés juives sont dirigées par des commissions d'administration comme on les appelle aujourd'hui ou bien comme on disait autrefois "les notables de la ville" (Tovey Ha'ir ou Hakahal), la Halakha reconnaît leur autorité et leur accorde le droit de prendre des décisions légales et pénales (Takanot Hakahal) qui obligent tous les membres de la communauté. La législation israélienne bénéficie donc aussi de la force des Takanot Hakahal (2).

Certain décisionnaires vont encore plus loin et pensent qu'en l'absence d'un roi tel qu'il est décrit par Maïmonide, le pouvoir est reporté sur le gouvernement élu, qui reçoit les même prérogatives que le roi, c'est l'avis que vous avez présenté dans votre question (4).

Ceci dit, passons à l'application de la loi.
Il n'y a pas, dans la loi Israélienne, d'obligation de témoigner, il n'y en a donc pas non plus par le principe de "Dina Demalkhouta Dina". Reste à savoir si on a le droit, le devoir (ou l'interdiction) de porter plainte ou témoigner, ou regard de la Halacha "classique", dans le cas que vous présentez.

À la différence de beaucoup de législations, il y a dans la Thora une Mitsva de témoigner de ce qu'on a vu. Concernant les litiges financiers, cette obligation se limite ou cas où les partis ou bien le tribunal appellent le témoin à déposer (5). Malgré cela pour quelques décisionnaires il y a une interdiction de se taire si on peut sauver l'argent de son prochain (6).

Revenons à la question: si on considère que l'autorité halakhique du gouvernement provient du principe de "Dina Demalkhouta Dina" mais aussi, et même plus, des autre raisons citée précédemment, et si on comprend que les impôts sont la propriété de la collectivité, il devient clair qu'au regard de la Halakha on a le droit de dénoncer les fraudes et peut être même le devoir moral. L'avis général des décisionnaires est en conséquence qu'il n'y a pas d'obligation ni d'interdiction, mais on a le droit par soucis d'honnêteté et pour le bien commun, de porter plainte. (7)

La question a été posée pour Israël mais elle ne se pose pas de manière très différente dans les pays de l'exil dans lesquels le principe de "Dina Demalkhouta Dina" s'applique. On permet d'aller témoigner quand on a été convié à le faire par les autorités (8).

Il va sans dire que pour une personne pour qui les qualités de vérité et de droiture font parti intégrale du bagage moral qu'ils puisent dans la Thora, il doit être naturellement impossible de signer sur une fausse déclaration d'impôts.

Sources:
(1) Choul'hane Aroukh 'Hochen Michpat 369, 6-7.
(2) Rav Eliézer Waldenberg. Responsa Tsits Eliézer Tome 16, 49 et 50. Le principe de "Dina Demalkhouta Dina" ne s'applique pas lorsque les lois sont contraires à celle de la Thora.
(3) Rav Ovadia Yossef. Responsa Ye'havé Daat 5, 63.
(4) Voir les écrits du Rav Chaoul Yisraeli dans Betsomet Hatora Vehamedina Tome 1.
(5) Maïmonide, Lois des témoignages, 1-1. Choul'hane Aroukh 'Hochen Michpat 28, 1.
(6) Cheïltot du Rav Ahaï Gaon 83 et Maïmonide, livre des commandements, négatifs 297.
(7) Peniney Halakha Rav Eliézer Melamed Tome 2 p258.
(8) Responsa Bemar'é Habazak Tome 1 p.172 No.100.