Conversation 52751 - Non religieux parmi les religieux

arets
Dimanche 4 juillet 2010 - 23:00

Bonjour,

je suis non pratiquant et souhaite continuer de l'être, c'est à dire continuer de vivre mon judaïsme comme je l'entends. J'ai été invité pour shabbat dans une famille pratiquante et n'ai pas voulu assister aux prières que j'estime beaucoup trop longues avant et après le repas. D'autant qu'elles sont à taille variable d'une famille à l'autre.

Mon attitude a choqué. On m'a reproché un "manque de respect". Le fait de vivre son judaisme comme on l'entend parmi d'autres juifs qui le vivent autrement est il un manque de respect. Qui manque de respect à qui ? Le non pratiquant envers le pratiquant ou l'inverse ? Pourquoi ?

Je n'empêche personne de lire son livre de prières, mais je ne veux pas que l'on m'impose d'en faire de même. Donc je me lève de table et m'en vais sur le canapé dans la même pièce. Merci pour votre réponse à cette question qui se pose de façon récurrente.

Emmanuel Bloch
Lundi 5 juillet 2010 - 23:00

Chalom,

Dans les rapports entre religieux et non-religieux, le respect doit aller dans les deux sens. En d'autres termes, il vous faut respecter les pratiques religieuses de vos hotes, et eux doivent de leur cote respecter votre desir de ne pas etre religieux.

Il serait malvenu que vous arriviez a la table du chabbat de personnes pratiquantes, avec un telephone portable a la main ou en fumant une cigarette. Inversement, le maitre de maison n'a pas le droit de vous imposer de faire les benedictions avant ou apres le repas si vous ne le voulez pas.

Dans votre cas, ce qui me semble quelque peu deplace est le fait que vous vous soyez leve de table. En faisant cela, vous avez quelque part porte atteinte a l'ambiance du chabbat que vos hotes essaient de creer et de maintenir (et probablement de transmettre a leurs enfants) : reunion de toute la famille pour un repas festif, hospitalite envers les tiers, ambiance de spiritualite, etc. Vous avez clairement marque votre rejet de tout cela. Peut-etre meme votre acte a-t-il ete percu comme legerement meprisant envers les croyances des autres ? Il me semble que, la prochaine fois, il serait preferable que vous restiez a table avec tout le monde, meme si par choix vous ne recitez pas les prieres.

Apres tout, meme longues, combien de temps durent-elles ? Cinq minutes ? Dix ? Je pense que vous devriez arriver a trouver la patience necessaire pour cela ...

arets
Mardi 6 juillet 2010 - 23:00

CETTE QUESTION ANNULE ET REMPLACE LA 52761 qui est partie par un clic intempestif (et pas la 52751)

Bonjour, ma question était la numéro 52751. Je voudrais remercier le rav Emmanuel Bloch pour sa prompte et juste réponse. Je n'adhère pas tout à fait cependant parce que je crois que si on poussait le raisonnement à l'extrême, on aboutirait à une situation absurde.

Lorsqu'un juif est contraint par un autre de modifier sa façon de faire, il y a séparation. On aboutit à une situation où la tora nous sépare en strates imperméables au lieu de nous assembler. C'est ce qui se produit, c'est ce que je vois dans le milieu non pratiquant où j'évolue. Les non pratiquants n'assistent pas aux cours ou aux shabbats pleins. C'est dommage, les Juifs n'ont pas besoin de telles dissensions entre eux.

Ils n'y assistent pas non par choix mais parce qu'ils ne veulent pas devenir eux même pratiquants. Non par crainte d'adhérer malgré eux au raisonnement des pratiquants mais parce qu'ils savent/pensent que les pratiquants les contraindraient à des attitudes qu'ils ont décidé de ne pas choisir.

Si le respect des non pratiquants envers les pratiquants se matérialise par le fait de rester à table pendant les prières, de ne pas téléphoner, ne pas fumer, comment se manifeste le respect des pratiquants envers les non pratiquants ? Le fait que le maitre de maison ne vous impose pas de prier me semble normal, un non religieux n'imposera pas non plus aux autres de téléphoner ou de fumer…

D'autre part, "l'éducation" de base nous fait admettre certaines règles comme ne pas troubler la convivialité d'une réunion de famille par une conversation téléphonique, ne pas fumer à l'intérieur d'une maison si cela gêne d'autres personnes, ne pas hurler ou se mettre à poil ou autre.

Ces règles ne dépendent pas d'un degré de pratique religieuse, elles sont admises par la plupart de ceux qui composent notre entourage. A l'inverse, les règles religieuses ne sont admises que par les religieux. A l'inverse, la pratique religieuse est fondée sur une croyance personnelle et sur un degré de pratique personnel (et donc, est sujette à évolution) et non sur un consensus social.

Lorsque vous dites qu'on ne peut pas imposer à un non religieux les bénédictions avant ou après le repas, j'en comprends qu'on ne peut pas imposer au non pratiquant de les réciter ce qui me paraît logique, sinon on en viendrait aux mains, mais en revanche, on lui impose d'y assister. C'est à dire qu'on lui impose une attitude. Une attitude qu'il ne veut pas avoir. Une attitude au détriment de toutes celles qui sont également possibles.

Savez vous ce qu'est une conversation entre informaticiens ? C'est abscons, c'est absolument incompréhensible; si l'informatique ne vous intéresse pas et si la conversation dure, vous avez envie de quitter la table. C'est exactement ce qui se produit pour les prières. Est ce bien ce résultat auquel on veut aboutir ?

D'autant qu'il est impossible d'interrompre la prière, de mener une autre conversation avec quelqu'un d'autre ou d'avoir une autre activité. Il y a bien rupture de la convivialité pendant le temps que le pratiquant le décide parce que les prières sont de taille variable d'une famille à l'autre. On est là comme un idiot, les yeux dans le vague et on attend que ça s'arrête.

Le fait que les pratiques religieuses participent d'un processus personnel et sont sujettes à évolution m'incite à penser que celui qui les impose dicte sa loi. Et le fait qu'une conversation fut ce avec son propre psychisme, parce que l'existence de Dieu n'est qu'une hypothèse invérifiable et en tout cas non partagée par tout le monde, puisse mettre mal à l'aise un non pratiquant me fait penser qu'il devrait être autorisé à quitter momentanément la table, laissant le temps aux spécialistes de s'unir autour du thème qui les intéresse.

La dite tolérance du pratiquant prévaudrait elle sur le bien être de ses invités ? Et qu'en est il lors des shabbat pleins organisés dans la Communauté ? L'esprit de shabbat ferait il l'économie des plus ou moins 90% de Juifs qui ne pratiquent pas ? Ne faut il pas plutôt le considérer comme un ciment du peuple Juif dans son intégralité ?

Faut il que les non pratiquants aient honte de leur manière d'être Juif ? Cette dernière question parce que c'est bien ce que je vois autour de moi. On fait exactement ce qu'on veut lorsque personne ne vérifie, on laisse chanter les rabbins mais dès qu'on en voit un, on met une kippa. Tout en restant intérieurement ce qu'on est.

On présente la vitrine du judaisme de l'autre. Est ce cela qu'on entend par le respect de l'autre ? Annihilation de la différence et absence de terrain de dialogue. Ne devrait on pas être fier d'affirmer sa différence ? De pratique j'entends. Si l'un ou l'autre se trompait, on reverrait les choses autrement mais s'il n'y a pas de différence affichée, comment peut il y avoir un dialogue, un partage, une réflexion ?

Si je ne dis pas au rabbin : je ne te crois pas, je ne mets pas de kippa et je fume, à qui s'adresse t il ? A celui que je fais semblant d'être pour le "respecter" ou à celui que je suis en réalité ? Comment peut il me convaincre ? Comment moi je pourrais le convaincre ? A qui croit il parler ? Où est le respect de celui qu'on feinte ? Respect par la conformité de l'apparence ? Triste constat !

Pour moi, l'ambiance du shabbat ne se résume pas à quelques minutes de prières, l'esprit de shabbat, c'est la famille, la réunion, l'étude de la tora peut être pour une rupture nécessaire avec le monde matériel, la liaison avec le spirituel et chose importante, la liaison entre cellules familiales distinctes.

Or ce n'est pas exactement ce que je vois. Famille oui, réunion oui, étude de la tora non. Parce que ceux qui se déclarent choqués par le fait que vous ne participiez pas à leurs prières, le plus souvent n'étudient pas la tora, vont régulièrement à l'encontre de son enseignement de base et donc n'en comprennent pas l'esprit.

Rupture avec le monde matériel non parce que ces gens sauf temps de prière ne savent parler d'autre chose que de leur semaine de travail, de leurs affaires, de la route qu'il faut prendre pour aller à Nice, ou de leurs robes et chapeaux.

Liaison avec le spirituel non parce que les prières n'amènent pas la compréhension du monde, sinon la foule de ceux qui prient sauraient pourquoi on est là et nous l'expliqueraient. On ne sait pas, on croit.

Liaison entre cellules familiales distinctes non parce qu'il est trop rare que dans une famille il y ait un ou plusieurs représentants d'autres familles. Ce point me paraît important et impossible à retirer de shabbat.

Quant à la transmission de l'ambiance d'un shabbat aux enfants, il y aurait beaucoup à dire sur ce qui se fait, sur les résultats obtenus et sur ce qu'on pourrait faire, mais je n'ai pas de gosses. Peut être peut on dire que les enfants sont rapidement confrontés à la nécessité de différences. A l'école et ailleurs. Y compris dans leur cercle familial.

Pour terminer, je marque en effet un rejet de ce qui ne me paraît pas aller dans le bon sens. La prière pour la prière n'intéresse pas. Elle n'est pas liée au spirituel et même elle est en contradiction. Je parle de la plupart, l'immense majorité des pratiquants qui vous donnent des leçons et vous demandent d'assister à leurs prières, la prière n'apprend pas, elle n'apporte pas.

J'en veux pour preuve (entre autres) qu'à la sortie des conférences de Benshétrit et à la sortie des synagogues, on parle de façades de téléphones portables, de la clim dans sa voiture, et de ce qu'on fera le we prochain, on n'adresse la parole qu'à ceux qu'on connaît, à ceux qu'on sélectionne sur la base d'une affinité vestimentaire. Plus généralement, dans les sorties juives pratiquants ou pas, on ne se regarde pas, on se toise.

La pratique religieuse ne peut apporter qu'en ce qu'elle est le complément d'une compréhension théorique nécessaire pour avancer sur la route de la connaissance et non sur celle de la croyance. Pour autant je n'ai pas programmé (par manque de temps) de me lancer dans l'étude de la tora, le repas de shabbat ne devrait pas être une affaire de spécialistes.

Bon, le sujet est loin d'être clos évidemment, pour moi en tout cas mais puis je vous demander si vous voyez une faille dans le présent raisonnement ?

Emmanuel Bloch
Jeudi 12 août 2010 - 12:24

Chalom,

Votre longue question soulève différents points intéressants, mais je vais devoir essayer de me limiter dans cette réponse au principal problème, celui qui est à la base de votre première interrogation, soit la question des relations entre religieux et non-religieux.

Pour situer la discussion, il me faut au préalable poser cette question a priori quelque peu gênante – quelle est la place du Juif non pratiquant selon la Torah ? Comment la halakha voit-elle celui qui choisit, volontairement et consciemment, de ne pas se plier à ses exigences ?

A. Le non-religieux dans la halakha.

1. Au départ, la situation est relativement sans ambiguïtés: celui qui ne pratique pas n'est rien d'autre qu'un pécheur, qui utilise son libre-arbitre pour se rebeller contre son Créateur. La halakha attend de tout Juif qu'il respecte le chabbat et les jours de fête, mange cachère, étudie la Torah, etc. Celui qui adopte un autre mode de vie ne vit pas son Judaïsme "d'une autre façon", il fait tout simplement fausse route. On attend de lui qu'il fasse Techouva, c'est-à-dire qu'il revienne à un comportement plus en conformité avec les normes religieuses.

2. Si cette vision n'a jamais été réellement complètement abandonnée, elle a quand même été sérieusement mise à mal avec l'arrivée des temps modernes, l'ouverture des murs du ghetto et l'exposition des communautés juives aux influences du monde extérieur. En peu de décennies apparut ce qui constituait alors un phénomène radicalement nouveau: des communautés de Juifs, non pratiquants au sens religieux du terme, mais qui continuaient à revendiquer leur attachement au Judaïsme, quoique sur une base différente de celle de la pratique religieuse.

(Je décris ici l'évolution du monde ashkénaze, qui est celui que je connais le mieux, mais des tendances assez comparables peuvent être mises en évidence pour le monde séfarade également, à des époques plus récentes).

Les réactions des autorités rabbiniques traditionnelles à ce nouvel état de faits furent diverses et variées. Mais je crois qu'il est juste de résumer la chose ainsi: les mouvements concurrents du Judaïsme orthodoxe étaient dénoncés et combattus vigoureusement, mais les individus, pris en tant que tels, faisaient l'objet d'une attention relativement bienveillante, surtout si leur déviation de la pratique religieuse avait été motivée par des considérations économiques ou une simple ignorance des sources juives, et non par des raisons idéologiques.

Une techouva particulièrement importante, dans ce contexte, fut rédigée par le rav Yaakov Ettlinger (Binyan Tsion he-'Hadachot, responsum numéro 23). Le rav Ettlinger y avoue ouvertement sa perplexité: comment considérer une personne qui fait les prières du chabbat à la synagogue, récite le kiddouch une fois rentré chez lui, puis profane ouvertement le chabbat ? N'est-ce pas paradoxal de proclamer la sainteté du 7eme jour pour la fouler aux pieds dans les minutes qui suivent ? Ce juif paradoxal, conclut le rav Ettlinger, et à plus forte raison ses enfants qui n'auront jamais appris de leur père l'importance du chabbat, doivent dès lors être assimilés à la catégorie halakhique des "enfants captifs" (tinokot she-nishbeou). Ils ne pratiquent pas, certes! mais ce n'est pas de leur faute, car personne ne leur a appris.

Cette logique est à la base d'un vaste mouvement d'adaptation de la halakha à une nouvelle réalité sociologique, celle dans laquelle la vaste majorité des juifs ne sont pas orthodoxes. Parce que ces juifs non religieux ne sont pas vraiment responsables de leur ignorance, on a finalement le droit (par exemple) de leur donner une aliyah à la Torah, de les inclure dans un minyan, etc. Cette permissivité n'était pas gagnée d'avance, mais la halakha a su, à sa manière quelque peu formelle bien entendu, prendre en compte la nouvelle donne de la société moderne.

Des positions similaires ont été prises par de nombreux autres décisionnaires (cf. par exemple l'avis de rav David Tsvi Hoffman, Melamed Le-Ho'il, Orah 'Hayim 29; celui de rav Moshe Feinstein, Igrot Moshe, Even ha-Ezer 2:20; etc.).

Alors, bien sûr, le Juif religieux espère que les non-pratiquants feront bientôt Teshouva en masse. Il existe des associations dont le but est de rapprocher les "brebis égarées" de la tradition ("kirouv"). L'idéal reste ici clairement celui d'un monde juif 100% religieux. Mais en pratique, le Judaïsme orthodoxe a appris à s'accommoder, au niveau de son vécu comme au niveau de sa norme, du fait qu'il existe de nombreux Juifs non pratiquants.

B. Les rapports entre religieux et non-religieux de nos jours.

Après ce rapide récapitulatif, venons-en à votre question. Je précise d'emblée que je n'ai pas vraiment de réponse absolue à vous proposer, il s'agit là simplement de quelques modestes pistes de réflexion personnelles.

A mon sens, vous risquez de créer une certaine confusion en mélangeant différents espaces dans lesquels religieux et non-religieux interagissent. Il faudrait distinguer:

1. Dans un espace familial.

Je pense par exemple ici au cas de votre première question : un Juif non religieux est invité à manger un repas du chabbat chez une famille religieuse. Mais on peut tout aussi facilement imaginer le cas inverse, celui du religieux qui se rend chez un non-religieux. Dans ce contexte, il me semble logique que le ton de la rencontre ne puisse être fixé par le visiteur. Au contraire, il lui incombe de faire attention de ne pas froisser les sensibilités de ses hôtes. Si cela lui pose un problème particulier par rapport à ses propres choix identitaires, il me semble préférable que le visiteur s'abstienne et reste chez lui, plutôt que de commettre un impair.

Dans votre exemple, et sans vouloir aucunement vous vexer, je continue de penser qu'il n'était pas très diplomate de quitter la table du chabbat pendant le temps des prières, si ce faisant vous froissiez vos hôtes. Si vous pensiez ne pouvoir patienter le temps que les bénédictions soient finies, il valait probablement mieux mentionner cela avant le repas, et au besoin décliner l'invitation.

Il va de soi que les mêmes règles de politesse valent pour le religieux qui s'aventure chez autrui moins pratiquant, et qui devra veiller à ne pas choquer par son comportement.

2. Dans un espace communautaire.

La situation que vous décrivez est à l'évidence celle d'une petite communauté unitaire, telle qu'on la trouve encore (et heureusement) dans les petites villes de province. Dans les grandes communautés, les gens se regroupent en fonction de leurs obédiences spécifiques, et les contacts entre religieux et non-religieux sont bien moins fréquents.

Dans une communauté mélangée, il faut que chacun y trouve son compte. Les religieux doivent avoir la possibilité de respecter la cacheroute, d'organiser le culte, d'avoir un mikveh valide pour la vie familiale, etc. Les non-religieux doivent également pouvoir organiser les activités qu'ils désirent. Je ne crois pas qu'il y ait de règles fixes, chacun devant faire preuve de pragmatisme et de respect du prochain. Les concessions ne sont pas à sens unique, religieux comme non-religieux devant en faire.

3. Dans la société en général.

Les interactions, au sein de la société civile, entre Juifs pratiquants et non-pratiquants, sont soumises aux règles générales de la société laïque. Il n'y a pas vraiment de différence par rapport à une situation où un Juif rencontrerait un non-Juif, le propre de la société moderne étant d'offrir à tous ses citoyens un espace laïque, vide de toute valeur religieuse, dans lequel ils peuvent interagir librement.

Ce point peut sembler évident. Mais il ouvre un vaste débat, celui des rapports entre religieux et non religieux au sein de la société israélienne. Ce sera peut-être pour une autre fois…