Conversation 69180 - Bilham vs Moshé

Dante
Dimanche 12 mai 2013 - 23:00

Bonjour a tous les Rabbanims.

J'avais pose une question a l'époque sur Bilham.
On nous dit que Bilham serait l'équivalent au niveau de la lucidité du côté sombre du monde, a Moshe Rabenou.
Il est vrai que Bilham avait le don de deviner quand dans la journée Ha'chem peut se mettre en colère.
Mais comment peut on dire qu'il est l'égal de Moshe Rabenou sachant, qu il était borgne, apparemment boiteux et zoophile ( ayant eu des rapport avec son ânesse)
En passant, la sidra de Balak est celle de ma bar mitsvah d'où le fait que je m y intéresse fortement.
Merci

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Rav Samuel Elikan
Jeudi 20 juin 2013 - 18:51

Shalom,
Premièrement, rien de ce que vous dites n'est écrit dans le texte de la Torah.
Deuxièmement, ce sont les propos de nos Sages et je vous propose d'y revenir, par une brève étude sur la personnalité de Bilaam.

Selon les propos de nos Sages dans le traité Brah’ot (7a), il y a un instant, chaque jour, où D'ieu se mettrait en colère et dirigerait le monde selon la vertu du jugement (midat haDin), si un homme maudit à ce moment précis, sa parole aura alors valeur certaine et amènera malheur et désarroi. Bilam savait quand était ce moment, et, nous dit la guemara, si D'ieu ne nous avait pas fait la bonté de ne pas "agir de la sorte" ce jour-là, cela aurait été la fin de notre histoire.
Mais qui de nos jours sait reconnaître ce moment?
Selon les Tossafot (ad loc., s.v. she'ilmalei) c'est un temps durant lequel on peut prononcer un mot long de trois lettres ! C'est donc une fraction de seconde. Il y a dans une heure trois milles six cent secondes et vingt-quatre heures dans une journée… Bonne chance pour trouver le moment exact ! Et peut-être est-ce précisément au milieu de la nuit quand tout le monde dort, ou alors à l'aube…
Pour cela, nos Sages disent : "Que la malédiction d'un simple ne soit pas petite à tes yeux", peut-être a-t-il, par hasard, parlé juste au mauvais moment !

D'aucuns affirment que Bilam était en fait un magicien et toute la force de sa malédiction provient des forces de l'impureté (toum'ah), comme les magiciens d'Egypte, capables de faire les mêmes signes que Moshé ou avec le roi Shaoul qui va chez Ba'alat Ha'Ov, malgré l'interdit de la Torah (Devarim 18:10), ou encore dans le livre de Yirmiahou, avec les faux prophètes accomplissant des miracles…

Cependant, cette vision semble être incompatible avec le midrash Tanh'ouma (1) affirmant que Bilaam était prophète.Certains répondent que cet enseignement est "effrayant, incompréhensible et incompatible avec les propos connus et reçus de nos Sages" (Rav Itzh'ak Areima dans son Akeidat Itzh'ak, portique 82).
Ainsi, le "Efodi" dans son commentaire sur le Guide des Egarés du Rambam (II, 41) écrit : "de la même manière que Moshé est arrivé à la plénitude de la vraie prophétie, ainsi Bilaam est-il arrivé à la plénitude de la magie, selon la capacité de l'homme, mais pas de la prophétie".
De la même manière, dans le livre de Yehoshoua (13:22), le verset dit : "Et Bilaam fils de Beor le magicien (haKossem) a été tué par le Peuple d'Israël au fil de l'épée…"
Le Ramban, quant à lui, va dans un même sens en affirmant que Bilaam était magicien (comm. sur Bamidbar 23:31), mais il semblerait qu'il ait finalement eu une vision prophétique, comme le soulignent le texte et les midrashim, cela n'est pas étonnant, dit-il, puisque par et pour le mérite d'Israël. C'est-à-dire que la prophétie n'est pas due à ses propres qualités et n'était qu'éphémère.

Il y a encore de nombreux exemples qui soulignent que Bilaam était dangereux, car sa parole il savait la diriger selon les forces du mal, et c'est ainsi qu'ils interprètent le guemara dans Brakhot, citée auparavant. Pour comprendre cela en profondeur, le Rav Baroukh HaLévi Epstein propose, dans son commentaire "Torah Temimah" (sur Devarim 34:10, lettre 26), une allusion, au nom de son maître :

"J'ai entendu au nom du génie Rabbi H'ayim de Volozhin za"l une explication à ce midrash [le Sifra, cité précédemment, en note 1] - c'est l'allégorie à un aigle et à une chouette qui tous deux savent quand se lève et se couche le soleil, mais chacun selon son point de vue. En effet, il est bien connu que l'aigle aime les rayons de soleil et la nuit sa vue baisse, alors que la chouette, elle, trouve son répit dans l'obscurité et craint la lueur. Les deux savent quand l'aube apparaît, mais le but de leur connaissance est bien différent. L'aigle sait qu'il peut se réveiller et voler, alors que la chouette doit aller se trouver une cachette, un endroit sombre. Et inversement à la tombée de la nuit. Et cette allégorie nous apprend la connaissance de Moshé et de Bilaam de D', car lorsque c'est un moment de grâce, de volonté ('èt ratzon) Divine pour apporter lumière et bénédiction sur le monde, la prophétie de Moshé "se réveille", et il visait sa prophétie dans ce but là. Bilaam aussi connaissait ce moment, mais c'était pour "se cacher", telle la chouette. Et lorsque "Son Moment de Bonté" se terminait, sentait alors Bilaam qu'il était le moment d'agir contre Israël et faisait ce qu'il pouvait. Mais Moshé pendant ce temps là esquivait et maintenait sa prophétie jusqu'à ce que la colère passe. Selon cela, nous comprenons que les deux connaissaient la Volonté Divine, mais un cherchait la lumière et l'autre l'obscurité."

C'est-à-dire, selon Rabbi H'ayim de Volozhin (disciple du Gaon de Vilna et auteur du Nefesh HaH'ayim), que la prophétie de Bilaam n'en était pas vraiment une puisqu'il cherchait la force de l'impureté, le moment de colère, afin d'arriver à ses fins. C'est pour cela que nos Sages l'appellent Bilaam le mécréant, l'impie (HaRasha). C'est ainsi aussi qu'il faut comprendre la Mishna du traité de Avot ("les maximes de nos Pères") chap. 5, mishna 19 (21 selon les éditions) affirmant que les disciples de Bilaam sont caractérisés par "l'envie, l'orgueil et une volupté insatiable".
Cette manière de voir le monde est négative en soi et c'est pour cela qu'on en craint les malédictions. Voir les défauts d'autrui à la place de chercher ses qualités, c'est également cela l'envie (Ayin Ra'ah) - de la jalousie, chercher le mal, la haine gratuite (2).
Mon maître, le Rav H'aim Sabato a expliqué cette Mishna de manière quelque peu différente, en affirmant que D'ieu avait appris à Bilaam comment voir le monde d'un bon œil, tout comme Avraham, c'est pour cela qu'il a eu droit à une prophétie et ne savait pas s'arrêter, il ne voulait plus (cf. encore Likoutey Moharan de Rav Nah'man de Breslav 17, II).

Ce ne sont pas tant les mots en eux-mêmes qui nous font peur, mais le fait que des gens avec un tel potentiel à lier le fini et l'infini (telle la prophétie) le gaspillent et arrivent à donner une réalité à leur vision négative, par les mots certes, dans notre monde - c'est là un véritable danger, où l'aide Divine est nécessaire. On a peur d'être atteint par leur vision négative et lugubre du monde où la spiritualité sert la matérialité, dans quel cas, comme le dit la Mishna dans Avot, la fin est au "Guéhinom".

En espérant vous avoir répondu,
Kol touv

Sources:
(1) Balak 1,1 - cf. également dans le midrash rabba et yalkout shimoni sur le début de la parasha ; cf. Sifra sur Devarim 34:10 - "il n'y aura point en Israël de prophète comme Moshé, en Israël-non, dans les nations-oui, qui est-ce? Bilaam fils de Beor".
(2) Cf. Rabbeinou Yonah, Shaarei Teshouva, portique 3, siman 217; Midrash Rabba Bamidbar 20:2 ; T.B. Kidoushin 70b ; Kountrass "Talmidav shel Avraham Avinou" du Rav Moshe H'adash, Ayin Tova - aleph et beth [imprimé à la fin du livre Meir Dereh', livre de moussar sur la parasha].