Conversation 19589 - Et maintenant, le deuxieme Rachi

NathanninNathan
Lundi 11 octobre 2004 - 23:00

Rav Yakar,

Rachi 2!
Pour la traduction du commentaire, je pense qu'elle est plus ou moins conforme aux traductions courantes, mais sait-on jamais! Pour le Ramban, j'avoue que j'hésite à vous soumettre le chantier qui se veut traduction pour l'instant...

Donc :
Ce texte ne dit rien d’autre que « Explique moi » [moi est un COD, pas un COI], comme nos maîtres (Bereshit Rabba) l’ont expliqué [en disant] : pour la Tora, qui est appelée le commencement de Sa voie (Proverbes 8 :22) et pour (l’assemblée) Israël, qui a été appelée le commencement de Sa récolte (Jérémie 2 :3)
Si tu veux l’expliquer dans le sens obvie, expliques-le comme ça : « Au commencement de la création de cieux et terre, alors que la terre était tohu-bohu et obscurité, Dieu Dit : “Que la lumière soit !” »
Cependant, ce texte ne vient pas enseigner l’ordre de la création, nous dire que ceux-ci précédaient, parce que s’il en était ainsi, il aurait fallu écrire : en PREMIER Il créa le ciel etc.

Tu ne trouveras jamais dans le texte (de la Tora) un « reshit » qui ne soit collé au mot suivant. Ainsi : « Au commencement du règne de Joachim » (Jérémie 26 :1) ; « le commencement de Son royaume » (Ber 10 :10) ; « le commencement de ton blé » (Deutéronome 18 :4)
Ici aussi, tu dois expliquer “Au commencement où Créa Dieu etc.” comme “Au commencement de la Création”.
Ca ressemble à « Au début où YHVH parla à Osée » (Osée 1 :2), qu’il faut comprendre : au début de la parole du Saint Béni Soit-Il à Osée, YHVH Dit à Osée etc.

Et si tu voulais enseigner par cela qu’ils (cieux et terre) ont été créés au début et l’expliquer de la sorte : « Au commencement de tout, Il Créa ceux-là (cieux et terre) » car on trouve effectivement des textes dont le langage est concis, et où un mot est élidé. Par exemple :
•« Car [Il] n’a point fermé les portes de mon ventre (du ventre qui m’a enfanté) » (Job 3 :10) et il n’est pas dit qui a fermé ;
•« [Il] emportera les richesses de Damas » (Isaïe 8 :4) et on ne dit pas qui les emportera ;
•« S’il laboure avec des bœufs » (Amos 6 :12) et on ne dit pas si c’est un homme qui laboure avec des bœufs ;
• « prédicateur de la fin depuis le début » (Isaïe 46 :10) et on ne dit pas : prédicateur, depuis le début de la parole, de la fin de la parole.
S’il en était ainsi, donc, tu t’étonnerais toi-même [de ce que tu dis] (“tu te quoirais sur toi-même” littéralement. Quelle construction admirable que celle de l’hébreu !), car, en effet, les eaux précédaient [cieux et terre] puisqu’il est écrit : « Et le Souffle de Dieu planait à la face des eaux ». Comme le verset (1 :1) n’a pas dévoilé quand a eu lieu la création des eaux, cela t’aura par conséquent appris que les eaux ont précédé la terre. Autre exemple, les cieux ont été créés à partir de feu et d’eau. Malgré toi, tu dois admettre que le texte n’a rien enseigné de l’ordre de ce qui a été créé avant et ce qui a été créé après.

Rav Elyakim Simsovic
Mardi 12 octobre 2004 - 23:00

Suis-je supposé "corriger" la version ?
Une remarque, peut-être plus importante que toutes les autres : si vous traduisez Réchit par "début", vous réintroduisez l'équivoque que Rachi veut lever.
"Début" est irrémédiablement entaché de l'idée de chronologie. Au début, ensuite, à la fin.
Or, un Réchit, ce n'est pas juste un début. C'est le "début de" quelque chose et donc ce quelque chose en tant que tel doit être ontologiquement antérieur en quelques sortes au début de sa propre manifestation. "davouq" ne signifie pas "collé à". Cela fait référence à la forme grammaticale dite "état construit" en français et qui signifie que dans une expression composée du type "au commencement du règne" la notion de règne (qui est le "mot directeur") est tout entière antérieure à ce qui sera la manifestation du commencement particulier ("mot régi") de tel règne spécifique.
Mais voici que dans le premier verset de la Thora, le "mot directeur" semble manquer. Il faut donc, dit Rachi, comprendre que c'est toute la suite du verset qui est le "mot directeur".

Le mot "prédicateur" pour "maguid méréchith aharith" est un peu malheureux ; d'autant plus qu'il s'agit d'une forme verbale et non d'un substantif : "dire la fin en fonction du commencement".

Et enfin : Darchéni ou Darchouni ne signifie pas du tout expliques-moi (ce qui signifierait que le texte ne dirait rien d'autre que l'explication de qui l'explique) mais "interroges-moi", ce qui veut dire que l'étudiant de la Thora doit se mettre en position d'écoute, écouter ce que la Thora a à lui dire, la laisser lui parler, mais après avoir su poser la bonne question, et Rachi en indique dès le commencement la méthode adéquate: "ne superpose pas tes présupposés à ce que la Thora vient te dire, tu n'entendrais plus que toi-même". Et je vais te donner quelques exemples des directions dans lesquelles il faut fouiller. Il ne s'agit de purs exemples grammaticaux. Mais de ce que peut signifier "un commencement de" par rapport à l'histoire dont c'est le commencement,
Lorsque nous disons "les prémices de la récolte" cela signifie qu'il y a d'abord récolte et ensuite prémices, de même que dans l'histoire Israël apparaîtra après que toutes les nations se sont déjà constituées. Il apparaît donc que c'est le terme (au sens d'aboutissement) qui donne un sens à ce que l'histoire a été et révèle du même coup ce qui était "premier" dans le projet.
Ce qui signifie que la traduction ne peut venir qu'au terme de l'élucidation du sens et ne peut servir ou contribuer à cette élucidation, si ce n'est par la recherche de l'expression la plus exacte pour traduire en français une notion déjà en elle-même parfaitement comprise en hébreu.
(Soit dit en passant, cela illustre parfaitement ce que le rav Askénazi disait, à savoir (en paraphrasant) que pour étudier la Thora en français, il fallait commencer par apprendre le français lui-même (en fait, il disait que le problème des traducteurs en français n'était pas tellement qu'ils ne comprennent pas l'hébreu, mais qu'ils ne maîtrisent pas les dimensions spirituelles et culturelles du français, ce qui fait qu'ils ne se rendent pas vraiment compte de ce qu'ils font dire à l'hébreu.)

NathanninNathan
Lundi 11 octobre 2004 - 23:00

La structure du second Rachi sur Ber 1 :1 me paraît la suivante: il expose brièvement le principe général, qu’il vaut mieux expliquer Bereshit interprétativement que littéralement, et revient ensuite sur les raisons de ce choix.
En premier lieu, il fait remarquer l’insolite de la formulation du verset, selon laquelle Bereshit semblerait ne se rapporter à aucun mot. C’est donc que soit (be)reshit est à interpréter (de façon homilétique), soit qu’il y aurait un mot sous-entendu ou une tournure de phrase particulière (mais pas inédite, puisqu’on la retrouve notamment dans le verset 1 :2 de Osée.) Cependant, ce n’est pas le cas ici, et il ne faudrait surtout pas penser que Bereshit indiquerait une chronologie : au commencement, mais pas au commencement de tout.
Questions :

1)pourquoi Rachi ne retient-il que deux interprétations parmi celles proposées dans le Midrash Rabba ? (Je sais que le Ramban propose une réponse, mais celle-ci suit sa logique à lui. Y en a-t-il une autre?)Pourquoi, lorsque Rachi revient et développe dans le détail les principes qu’il a exposés, n’explore-t-il pas davantage ces interprétations ?

2)Quant à comprendre ce commentaire, j’imagine qu’il pourrait se résumer à votre phrase : “Le récit de la création - et la notion elle-même - échappe à nos capacités d'identification au niveau du pchat de la Thora.” Le pchat n’apportant pas autant à la compréhension que le drash. Néanmoins, c’est peut-être parce que j’ai lu Nahmanide, mais quelque chose me gêne dans le raisonnement de Rachi, lorsqu’il dit qu’on ne peut pas tirer du pchat que ce verset serait chronologique. Bien sûr, cieux et terre furent phénoménologiquement mais non ontologiquement les premiers, cependant même si cela s’appuie sur des prémices très logiques (comment concevoir un produit fini, alors que ses composants n’ont pas été créés ?), cela ne revient-il pas à dire qu’il y avait quelque chose avant Bereshit, que ce mot n’indiquerait pas un commencement absolu ? Or, comme vous l’écrivez, “Le premier verset de la Thora implique qu'il faille posséder l'idée de commencement pour que devienne audible la notion de création et qu'il faille posséder cette dernière pour que l'idée de Dieu puisse avoir un sens : « Béréchit bara Eloqim »” La création ne devrait-elle donc pas se situer dans une antériorité absolue ? A moins que, comme le dit Nahmanide, eaux, feu (qui n’est pas explicitement mentionné dans le texte par ailleurs), terre, cieux auraient tous été créés à l’état de tohu, sans notion de temps ? (D’autant plus que le Sforno, non, je ne me disperse pas, mais un commentaire d’une ligne, ça me change !, explique que Bereshit signifie “Au début du temps, c’est le premier instant, l’instant primum, indivisé et il n’y eut pas de temps avant lui”)

Rav Elyakim Simsovic
Mardi 12 octobre 2004 - 23:00

J'ai déjà dit en réponse à la question 19589 qu'il ne s'agit pas d'expliquer mais d'interroger. Ce qui signifie bien sûr appliquer la méthode du "drash" plutôt que la méthode "assertative". Si l'on y prend garde, Rachi nous démontre que la différence n'est pas tant dans le contenu de la réponse que la méthode fait apparaître que dans la complexité de la structure syntaxique que suppose la lecture qui se veut "littérale", et que pour rendre compte du pchat de la tournure d'un mot, il faut changer le pchat d'un autre mot ("beréchit bero elohim ett hachamayim ve-ett haarets.... vayomer elohim yéhi or")

L'idée d'un commencement absolu est indispensable pour comprendre l'idée de création. Cela ne signifie pas que le récit commence par le commencement absolu. Avant le "Beth" de Beréchit, il y a bien un "Alef", ne serait-ce que l'Unité absolue du Créatur de ce commencement, antérieur à toute antériorité (et qui donc échappe à toute chronologie, ce qui signifie que "l'instant du commencement" n'est lui-même pas dans le temps puisqu'il instaure le temps.)
Etant donné que la création du monde ne saurait être antérieure à son propre commencement et que le verbe "créer" signifie "ex nihilo" c'est-à-dire que (il faut faire ici une entorse au français en utilsant une tournure positive au lieu de la phrase négative grammaticalement nécessaire) rien (ne) précède la création. Le mot "au commencement" est donc de trop. A quoi sert-il ?
Rachi va nous dire en substance la chose suivante : puisque c'est écrit dans la Thora et pas réservé aux seuls initiés, bien que le sens précis ne peut se comprendre qu'au bénéfice de la dite initiation et que nous allons donner des indices qui permettront de soupçconner certaines choses, il faut bien un peu élucider ce que cela enseigne aux non-initiés. Hé bien, pour comprendre ce que cela peut vouloir dire, il faut commencer par écarter résolument les fausses pistes : la chronologie est la première d'entre elles. La "Genèse" n'est pas l'exposé d'une cosmogonie mais des fondements de l'histoire : comment faire en sorte qu'un monde créé par Dieu puisse néanmoins avoir une histoire autonome.
Le débat entre Rachi et Nahmanide porte sur notre conceptualisation du temps : est-ce que l'instant initial en fait partie ou non.
Ou pour le dire autrement, le mot "Beréchit" implique-t-il nécessairement toujours, comme l'affirme Rachi, un mot directeur, même s'il est élidé ou sous-entendu, ou bien, comme le disent ou le sous-entendent Nahmanide et Sforno, il s'agit d'un terme absolu ayant une morphologie d'état construit, et ceci pace qu'il s'agit d'un "instant hors du temps". (J'ai essayé d'en dégager les implications dans la réponse 19589.)
Rachi ne fait pas une anthologie des midrachim. Il tente de nous faire pressentir les significations qui nous permettront de lire le verset.

Je ne sais pas si j'ai assez répondu. Vous êtes en train de m'arracher un commentaire sur Rachi que je n'ai jamais eu la prétention d'écrire.

NathanninNathan
Mardi 12 octobre 2004 - 23:00

19589 et 90
"corriger" la traduction? Pas comme un devoir d'école certes, mais comme ce que vous avez fait, m'empêcher de creuser mes propres ornières (très très difficile de se tirer d'une ornière, surtout avec des chevilles maintes fois foulées)

Bon, comme je n'ose toujours pas vous soumettre le supercommentaire du Ramban, du moins dans son intégralité, voici quelques petites questions pour m'aider à me dépatouiller si vous le voulez bien :

1)dans la première partie, Nahmanide explique le midrash qu'a choisi Rachi car il dit que ce midrash est très vague et (hatoum???) Que siginifie ce dernier mot ?

2)il explique l'intentionnalité des sages en nommant "tout et n'importe quoi reshit" (disent les gens de peu de foi) comme cela :
"le mot Bereshit fait allusion à “le monde a été créé par dix Sefirot” (réflexion du Sefer Yetsira 1 :14), et allusion à la sefira appelée sagesse qui est la base de tout, ainsi que le dit (Proverbes 3 :19) « YHVH a fondé la terre au moyen de la sagesse » "

Si j’ai bien compris, cela signifierait que (Be)reshit ferait allusion à une multitude d’occurrences, dont chacune se suffirait à elle-même et résumerait les autres.

Ai-je bien compris?

3) J'essaie non de vous arracher un commentaire mais de comprendre Rachi, et Dieu merci!, votre aide en ce domaine m'est précieuse et inestimable (si!) Je médite déjà vos réponses, et franchement, ce que vous avez dit suffit déjà plus qu'amplement au novice que je suis (cela dit, même si j'étais plus chevronné, je pense que ça m'aurait suffi aussi)
Grand merci enfin d'avoir répondu si vite (et si bien) à la 19591

Bivrakha neemana!

Rav Elyakim Simsovic
Dimanche 17 octobre 2004 - 23:00

1. Il ne dit pas que ce Midrash est très vague. Il dit qu'il est hermétique. Satoum veut dire bouché et hatoum veut dire scellé. Vous mettez un bouchon sur le vase et vous le cachetez de cire : il est satoum et hatoum. L'apparente simplicité du midrach risque de nous faire passer à côté de sa signification. Imaginez une maison sur les murs de laquelle seraient paints un salon, une cuisine, une chambre à coucher, etc. Nahmanide nous dit : fais attention. Tu crois comprendre, mais en réalité tu ne vois que les murs extérieurs de la maison et tu n'as pas pénétré à l'intérieur.

2. "Tout et n'importe quoi" ? Non ! Diverses choses, chacune étant présentée dans les midrachim comme exclusive : "il n'est d'autre réchit que..." ce qui fait que ces midrachim semblent se contredire, ce que ne supportent pas les "rationnalistes" comme Ibn Ezra, à qui il semble bien que Nahmanide décoche son "hommes de peu de foi".

3. "comme cela" est de trop. Le mot "amrou", "ils ont dit..." ne se rapporte pas aux hommes de peu de foi mais au maîtres du midrash que Nahmanide va citer, ensuite de quoi il va commencer à donner l'explication qabbaliste du midrash: ce qu'ils veulent dire c'est que le monde a été créé par 10 séfiroth et le mot réchit fait allusion à celle qui est appelée Hokhma...

4. Ce n'est pas que chacune se suffise à soi-même. Elles constituent ensemble une sorte de réseau de significations qui éclairent l'idée que le verset exprime sous divers angles : si le monde est comparable au pain, le réchit est la hala, s'il est comparable à un champ, ce sont les bikourim, si c'est une récolte ce sont les dîmes...
Mais aussi, avec le beth d'intentionnalité, c'est en vue de cette chose qui est appelée "réchit" que le monde a été créé. Dans le sens direct, ce n'est pas "au moyen de" la sagesse mais "sur" la sagesse. Elle est le "lieu" duquel l'édifice sera élevé.